Nicolas Philibert nous embarque en immersion “Sur L’Adamant”, au plus près des soignés et des soignants
Un grand gaillard annonce qu’il va chanter La Bombe humaine, du groupe Téléphone. Ce n’est pas un divertissement mais une bombe en effet, dont la déflagration est audible dans le phrasé épileptique du chanteur quand il crie : “Je vois à l’intérieur...
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Un grand gaillard annonce qu’il va chanter La Bombe humaine, du groupe Téléphone. Ce n’est pas un divertissement mais une bombe en effet, dont la déflagration est audible dans le phrasé épileptique du chanteur quand il crie : “Je vois à l’intérieur des images, des couleurs/Qui ne sont pas à moi, qui parfois me font peur/Sensations qui peuvent me rendre fou.” C’est la 1ère séquence du documentaire que Nicolas Philibert a consacré à un centre psychiatrique de jour (L’Adamant du titre) qui, depuis 2010 sur un bateau-péniche amarré à un quai parisien, accueille des hommes et des femmes, pour des thérapies favorisant leur autonomie.
Cette introduction est un laissez-passer pour une contrée ténébreuse où séjournent Patrick, Muriel, Olivier, Nadya… Par-delà leurs prénoms, comment les appeler ? Malades ? Patient·es ? Fous ou folles ? François le chanteur, brechtien en diable, a sa définition : “Ici, il y a des acteurs qui ne comprennent pas qu’ils sont acteurs.” Des acteurs et des actrices qui interprètent la détresse de leurs vies cabossées. Par des mots, des chansons, des dessins. Sans que jamais le filmage insiste. Il ne s’agit pas de sortir son mouchoir, bien que certaines séquences mettent les larmes aux yeux, ni de faire l’aumône de sa compassion. Sur L’Adamant n’est pas un Téléthon mais un regard qui va voir là-bas si nous y sommes.
“Ils m’ont volé ma liberté. Vous êtes libres, vous”
Voir à l’intérieur des images comme dans la chanson de Téléphone. Voir à l’intérieur des clichés. Ils et elles ne sont pas de doux·ces dingues, quoique souvent tendres et hilarant·es, par exemple lors d’une réunion consacrée à la comptabilité domestique qui vire à la comédie foutraque. Font parfois peur quand ils et elles alpaguent nos propres craintes, telle cette dame qui n’a que deux choses à dire : “Ils m’ont volé ma liberté. Vous êtes libres, vous.” Vous, c’est d’abord l’équipe du film, qui pose des questions autant qu’elle répond à celles, terre à terre, de ses interlocuteur·rices : “C’est quoi ton prénom ? Tu as une bonne amie ?” Vous, direct à l’estomac, c’est nous aussi.
La folie est une bête furieuse
Sur L’Adamant cadre des miroirs reflétant des miroirs. Difficile d’y distinguer soigné·es et soignant·es, de séparer filmé·s et filmeur·ses. Un collectif de plans intensifs, criblé par ces trous dont cause Fernand Deligny dans une citation inscrite au début du film : “S’il n’y a pas de trous, où voulez-vous que les images se posent ? Par où voulez-vous qu’elles arrivent ?” Trous d’un visage claquemuré dans son énigme. Trous des images intercalées : reflets sur la Seine, ramure des arbres, jeune fille qui danse en silence sous l’emprise de son casque audio. Ce ne sont pas des interludes apaisants mais des tremblements du même récit, des failles qui ouvrent sur des désirs aussi troublants et méconnus que ceux dévoilés par le voyage en Adamant. Des contes de la folie ordinaire.
En février dernier, Sur L’Adamant a obtenu l’Ours d’or au festival de Berlin. Cet ours n’est pas un nounours. La folie est une bête furieuse qui rôde dans les forêts de nos vies. Dangereuse et, qui sait ?, encourageante. À l’ombre de ce doute, le film, ultime intelligence, se termine sur la vue d’un brouillard enrobant le bateau.
Sur L’Adamant de Nicolas Philibert (Fr., 2023, 1 h 49). En salle le 19 avril.