“Nomadland” ou la libre exploration d’une Amérique sans adresse

  On avait laissé Chloé Zhao en 2017 sur une œuvre unique et déchirante, The Rider, travail entre fiction et documentaire centré sur un cow-boy amérindien, espoir blessé et déchu du rodéo. Mais même si le triomphe critique et festivalier ouvrait...

“Nomadland” ou la libre exploration d’une Amérique sans adresse

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On avait laissé Chloé Zhao en 2017 sur une œuvre unique et déchirante, The Rider, travail entre fiction et documentaire centré sur un cow-boy amérindien, espoir blessé et déchu du rodéo. Mais même si le triomphe critique et festivalier ouvrait alors un avenir plein de promesses pour la jeune réalisatrice sino-américaine, un film comme Nomadland n’en faisait pas vraiment partie.

The Rider n’avait pas l’air d’un marchepied vers des projets plus ambitieux ; trop hybride, trop à nu, il appelait plutôt à la continuité, à la prolifération d’une œuvre à la marge façon Kelly Reichardt, qu’à l’ascension vers les Oscars. La voilà pourtant soudain auréolée de ce qui est peut-être le plus grand tableau de chasse ever d’une saison de récompenses : Lion d’or, combiné meilleur film et meilleure réalisatrice aux Golden Globes, aux BAFTA et aux Oscars.

 

Adapté d’un livre-enquête à succès (Nomadland de Jessica Bruder, Éditions Globe, 2019) sur la crise du logement et l’Amérique post-subzrimes des vandwellers, ces déclassé·es vivant dans des vans aménagés qu’il·elles emmènent de petit boulot en petit boulot, le film tente d’en faire défiler les visages par l’intermédiaire d’un personnage de veuve désargentée entrant dans ce monde, incarné par Frances McDormand. L’actrice a produit le projet et elle-même choisi Chloé Zhao après avoir vu The Rider.

Sous ce vernis épais, le film reste en définitive assez sauvage

C’est à la fois une continuité et une ascension. Car d’une certaine manière le film en reprend l’hybridité : au-delà de trois comédien·nes professionnel·les, tous les personnages sont de véritables nomades s’inspirant de leurs propres rôles. Mais cette hybridité est étrangement arrondie, diluée dans un lait de grande fresque célébrant la solidarité des laissé·es-pour-compte. Il y a dans Nomadland une certaine imagerie humanitaire, un goût pour les sourires de gueules burinées par la misère – on n’est pas toujours loin de JR. Il y a aussi trop de jolies lumières chaudes et rasantes de fin de journée ; et trop de musique de pub tire-larmes (Zhao a commis la faute de goût d’embaucher Ludovico Einaudi, le soupier d’Intouchables).

Mais heureusement sous ce vernis certes épais le film reste en définitive assez sauvage, et laisse à la mémoire des images et des rencontres plus tenaces que n’en produirait une fiction bon teint. Sans doute parce que sa part documentaire, même camouflée, est en fait bien là et travaille en sourdine à lui insuffler vie. C’est aussi parce que de ce que le livre de Jessica Bruder avait déjà proposé d’établir comme principe philosophique des vandwellers (une croyance fervente dans les promesses de la route et des lendemains, représentée par cette manière de ne jamais se dire adieu, même après la mort, mais “see you down the road”), Zhao tire un principe de récit.

Le 1er film bidenien

Nomadland est aussi nomade que son héroïne : il ne s’installe pas plus dans les lieux que dans les intrigues, saute inopinément d’un chapitre comme d’un camping site à l’autre, sans vraiment suivre une trajectoire dramaturgique établie. Certains personnages se volatilisent et, effectivement, reparaissent down the road, ou non. Fern, l’héroïne, ne semble jamais vraiment conduite par un schéma type “parcours du héros” : le film suit une courbe sinusoïdale très libre et s’attache habilement à respecter une certaine vraisemblance aléatoire des événements.

A lire aussi : notre critique de “Les chansons que mes frères m’ont apprises”, le 1er film de Chloé Zhao

S’il faut donc faire le deuil de la belle marge où Chloé Zhao aurait pu persister, et s’il y a bien quelques tendances sirupeuses, il y a là une maturité très précocement atteinte. Nomadland est un peu le 1er film bidenien : explorer une Amérique sans adresse, y filmer une misère nouvelle mais surtout une solidarité retrouvée, tâcher par le nomadisme de réconcilier blue states et red states – en évitant notamment la question raciale – autour de la reconquête, entre récoltes agricoles et entrepôts Amazon, d’un récit commun somme toute galvanisant sur la workforce.   

Nomadland de Chloé Zhao, avec Frances McDormand, David Strathairn (E.-U., 2020, 1 h 48).