[Nos jeunes gens modernes] La Fève, sensation rap singulière

Afin de contourner l’affirmation selon laquelle un·e rappeur·se se doit de remplir l’Accor Arena pour asseoir sa légitimité (solution ô combien coûteuse), La Fève, 24 ans au compteur et nouvelle sensation du rap français, s’est essayé à un...

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Afin de contourner l’affirmation selon laquelle un·e rappeur·se se doit de remplir l’Accor Arena pour asseoir sa légitimité (solution ô combien coûteuse), La Fève, 24 ans au compteur et nouvelle sensation du rap français, s’est essayé à un coup de billard à trois bandes. Celles d’Adidas, qui donne son nom au nouveau méga-complexe (8 500 places) ouvert cette année dans le XVIIIe arrondissement de Paris, rempli en quinze minutes montre en main par le jeune prodige de Fontenay-sous-Bois.

Une manière de se laisser la place d’aller chercher d’autres records (et les désormais plus de 20 000 places de l’ex-POPB) dans les prochains mois de sa fulgurante carrière, bien en avance sur ce qu’il s’était fixé dans sa seule entrevue au long cours accordée aux Inrockuptibles en mai 2021 : “Depuis deux ans, je me suis mis dans un truc où, si je veux vraiment percer, je dois faire de la musique tous les jours. Même si ça met dix ans.”

Contourner la voie royale

Face aux mastodontes de l’industrie, où Jul et PNL font figures d’exception par leur attachement viscéral à l’indépendance, La Fève, né Louis Ambroise, semble tracer un itinéraire bis pour tous·tes les rappeur·ses de sa génération ayant explosé pendant et après la pandémie, à la fois cause et conséquence d’une certaine émulation créative qui a vu l’apparition de nouveaux corps intermédiaires de l’industrie du rap – médias sur X (ex-Twitter), créateur·rices de contenus – accompagner l’émergence de nouveaux·elles artistes. On savoure l’ironie de voir La Fève, produit de cet isolement, exploser au grand jour sur l’une des plus grandes scènes du pays, quand d’autres plus gros vendeurs auront accumulé les choix tièdes dans leur carrière.

Plutôt que de s’engouffrer dans une idée préconçue de sa musique, il a fait de son dernier disque en date, 24, une grande entreprise de clarification des intentions qui l’animent depuis ses débuts, l’exégèse de sa jeune carrière. En convoquant l’époque du Brick Squad de Gucci Mane et Waka Flocka Flame, des mixtapes vendues au détail par DJ Drama et des morceaux qu’on teste en 4Matic et en strip clubs avant de les passer en radio, il fait de la trap (littéralement “le piège”) des origines un moyen d’explorer sa nostalgie, de témoigner de ses influences et de faire l’autopsie des incompréhensions qui l’entoure. “En France, on n’est pas des flemmards, mais on cherche trop la facilité. On s’accroche trop aux recettes de projets qui marchent, assénait-il en 2021. Mais ces recettes sont dépassées ! Il faut changer l’air, c’est comme ça, l’art. C’est toujours des choses qui se détruisent et qui recommencent.”

Partagé entre la célébration déférente de la ville d’Atlanta et l’egotrip, La Fève endosse le rôle de passeur d’une culture toujours plus diluée dans le rap français. Il est désormais ce qu’il a toujours voulu être, une nouvelle figure tutélaire du genre dans l’Hexagone, sans qu’on ne le comprenne vraiment jusqu’à la sortie de 24, en partie confectionné dans la ville de Géorgie avec le producteur iconique Zaytoven (Migos, 21 Savage, Gucci Mane).

Comme si, trop obnubilé·es par l’émergence d’une nouvelle génération de rappeur·ses estampillé·es new wave, une étiquette trop pesante ou trop confortable, on n’avait pas su entrevoir les signes avant-coureurs de son retour aux sources : l’évidence Voiture sportive qui sample le culte Int’l Players Anthem (I Choose You) d’UGK et OutKast et l’inscrit dans l’héritage du rap sudiste des États-Unis ; sa série des Empty the Bin, consistant à publier tous ses fonds de tiroirs sur Soundcloud, dans la grande tradition des mixtapes-fleuves période DatPiff ou des dizaines de milliers de morceaux non publiés de Young Thug. Les grandes lignes de son plan, lui qui se rêvait en “futur grand” lorsqu’il rappait à voix basse dans l’obscurité de sa chambre, étaient déjà sous nos yeux.  

Sur des bases solides

Il ne s’agit pas ici d’un exercice de style ou un simulacre, mais d’une mise à plat, une manière de combler les angles morts qui subsistaient quant à sa musique ; l’apex de sa 1ère partie de carrière et le commencement d’une autre. Cette oraison trap, “l’affamé” est allé la chercher au mépris des attentes, dépouillé des oripeaux new wave qu’on lui prêtait jusque-là et d’ores et affranchi des contraintes de l’industrie.

Mais au-delà de l’autocongratulation mélancolique qui lui sied si bien, jamais rassasié de son propre succès, celui qui rappe sa Chienne de traplife avec le même ravissement désenchanté que Future pense sûrement déjà plus loin que ce qu’on pourrait imaginer ; de quoi nourrir d’immenses espoirs pour la suite. Se libérer par la trap, il fallait y penser.