Nova Materia : “Essayer de se défaire de l’écoute productiviste de la musique”
Début avril dernier, nous étions à la Gaîté Lyrique pour une écoute en avant-1ère du nouvel album de Nova Materia (ex-Pánico), dans des conditions un peu particulières : dans une pièce spécialement aménagée par les ingénieurs Thibault Javoy...
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Début avril dernier, nous étions à la Gaîté Lyrique pour une écoute en avant-1ère du nouvel album de Nova Materia (ex-Pánico), dans des conditions un peu particulières : dans une pièce spécialement aménagée par les ingénieurs Thibault Javoy et Antoine Petroff, une installation de hauts causeurs encerclant une poignée d’invités comme dans un rituel ancien, jouaient XPUJIL, un disque enregistré au moyens de micros binauraux. Façon d’embarquer l’auditeur dans un trip “immersif” total aux allures de longue procession invisible.
Avant leur passage sur la scène du festival Villette Sonique ce samedi 29 mai, et en attendant la sortie du l’album le 25 juin et une série de performances à la Gaîté Lyrique à la fin de l’année (avec des invités tels que Gaspard Claus ou encore Agnès Gayraud), Caroline Chaspoul et Eduardo Henriquez nous donnent les clefs pour déchiffrer le code d’XPUJIL. Rencontre.
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Pourriez-vous présenter XPUJIL, le nouvel album de Nova Materia qui sortira le 25 juin prochain ?
Caroline Chaspoul : Xpujil, c’est une petite ville mexicaine située dans le Yucatán, à côté de laquelle se trouve une cité maya tentaculaire où un temple a été défriché il y a une vingtaine d’années. On est parti là-bas il y a deux ans et demi, avec, en tête, l’idée de s’immerger dans la forêt en captant des sons à l’aide d’un micro binaural. Cela fait maintenant quelques années que nous faisons ce genre de captations et, après avoir mis en boîte un maximum de choses, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de cette matière. On ne voulait pas d’un truc expérimental qui finirait dans un projet parallèle, on voulait faire un disque. A partir de là, nous avons donc réécouté différents enregistrements capturés en Birmanie, au Chili ou ailleurs sur la planète, qui constituent aujourd’hui la base musicale de cet album.
Votre duo s’est monté sur l’idée de composer à partir de la manipulation de la matière (les pierres, entre autres). En quoi XPUJIL se démarque-t-il de votre méthode de travail sur It Comes (2018), votre 1er album ?
Eduardo Henriquez : Ce disque, nous l’avons appréhendé de la même façon, à la différence que la matière, ici, c’est la bande. C’est à partir de ce matériau source qu’on a extrait toute la musicalité de notre projet.
Comment avez-vous travaillé ce matériau sonore ?
Edu : On a commencé par bosser sur la bibliothèque de sons du Mexique en ralentissant les bandes.
Caro : C’est un procédé qui nous a permis d’entendre des sons que notre oreille ne perçoit pas en temps normal.
Edu : On s’est dit qu’il y avait quelque chose à décrypter, un code à trouver. On ne voulait surtout pas utiliser ces captations comme une décoration qui viendrait ornementer des compositions, avec des sons de jungles et des échos en tout genre. On voulait au contraire aller chercher une information au milieu de tout cela. On voulait comprendre.
Caro : Nous étions à la recherche d’un langage commun. En ralentissant les bandes, non seulement, il y avait ces sons inaudibles et ces fréquences que l’on n’entend pas en temps normal, mais aussi l’idée de retrouver des formes de pattern qui sont partout si l’on se donne les moyens de les entendre. Une foule qui manifeste et une jungle en action, si tu ralentis les deux expériences, tu arrives à entendre quelque chose de très similaire.
Vous avez monté tout cela pendant la pandémie, une période elle aussi de ralentissement.
Edu : Oui, cela a été très empirique. C’est en travaillant sur ces bandes que l’on a commencé à percevoir cette dimension. On veut rattacher ce disque à cette période. On a fait l’analogie entre ce que l’on a découvert en ralentissant ces enregistrements et ce qu’était en train de vivre l’humanité. On s’est demandé si notre travail ne devait pas être, en définitive, un travail sur l’idée d’essayer de se défaire de l’écoute productiviste, en flux tendu, de la musique. Il fallait profiter de ce moment pour nourrir cette réflexion.
A partir de quand avez-vous eu entre les mains un fil conducteur cohérent ?
Edu : On s’est rendu compte que les différents pattern que l’on avait de Birmanie ou au Chili fonctionnaient ensemble. Nous avions alors une sorte de collage de field recording. A partir de là, on a bossé sur toute une instrumentation, dont un duo d’ocarinas.
Caro : Le disque s’est fait sur un temps très long, nous avions toute latitude pour expérimenter.
La traversée du disque évoque un rituel, une procession, avec ces cloches et ses gongs, venus d’Asie et d’Amérique du Sud. Quelque chose entre le vacarme et la tranquillité qui fait le lien entre ces deux extrémités du globe. C’est ce genre de pattern que vous recherchiez ?
Edu : Oui, absolument. Au début du disque, c’est effectivement une procession de la communauté Mapuche, des natifs du sud du Chili. Ils jouent de la percussion avec des cloches. Et vers la fin, les cloches viennent d’une pagode en Birmanie. A 19h, la vie s’arrête et 100.000 petites clochettes se mettent à retentir, pendant que les gens, dans les temples, tapent sur des gongs.
Caro : C’est intéressant, parce que Rangoun est une capitale très bruyante et quand tu mets un pied dans ce temple, tu trouves une espèce de plénitude qui te coupe de tout. Un monde dans le monde.
Edu : Et ces pagodes qui pointent vers le ciel, comme les pyramides au Mexique. Cela témoigne d’un même rapport au cosmique.
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Vous avez aussi travaillé avec la musicienne japonaise Ikue Mori et le violoncelliste Gaspar Claus sur ce disque. Comment avez-vous intégré leur composition ?
Edu : Le disque a aussi été nourri par des dj set ambient que l’on faisait dans le passé et qui contenaient des sons à nous, mais aussi des sons d’Ikue Mori extraits de son disque Class Insecta (2009), sur lequel elle revisite le bruit des insectes avec des instruments de musique. On lui a demandé si elle était partante pour participer à ce disque et trois semaines après, elle a envoyé ces pistes magnifiques, calées sur le squelette de notre plage. Et Gaspard a ensuite joué sur le disque.
Le disque, longue plage instrumentale de 40 minutes et 32 secondes, semble restituer une expérience charnelle et sensorielle, proche de ce que Terrence Malick a pu mettre en scène dans son film Le Nouveau Monde (2005). Avez-vous été inspiré par des lectures, des films ?
Edu : On a beaucoup revu Aguirre, la colère de Dieu (1972) de Werner Herzog. Dans sa genèse, XPUJIL a aussi été nourri par la lecture de ce livre d’Alexis Jenni, La conquête des îles de la Terre Ferme (2019), qui est une retranscription des écrits du secrétaire d’Hernán Cortés, qui expliquent comment les Espagnols sont arrivés au Mexique. En faisant des recherches sur ce pan d’histoire, on a donc découvert cette cité maya et c’est pour cela que nous sommes partis là-bas.
Caro : Il ne s’agissait pas de causer des conquistadors, mais de comprendre l’inconnu.
Edu : Au moment de l’arrivée des Espagnols, la civilisation Maya est éteinte et les cités sont déjà enfouies dans la jungle, laissées à l’abandon. Je trouvais cela très beau cette idée d’une civilisation qui en découvre une autre, éteinte, mais moderne et très avancée.
Caro : Au-delà même de l’idée de civilisation, c’est celle de la découverte d’une terre inconnue qui m’a aussi intéressée. Tu rentres dans une jungle, tu entends des bruits lointains, tu ne vois rien, l’invisible domine. Cela dépasse la civilisation. Tu t’abandonnes.
Edu : Après notre voyage, nous avons lu Emanuele Coccia, le philosophe italien qui a écrit un livre appelé La vie des plantes : Une métaphysique du mélange (2016), dans lequel il cause beaucoup de l’idée d’immersion. Quelque chose que l’on a vécu en traversant ce territoire de la jungle, un lieu particulier, sorte d’écosystème très riche et parsemé de vestiges précolombiens pas vraiment défrichés. C’est un lieu hanté, le passé est partout.
Entre field recording et bandes triturées, avez-vous replongé dans l’écoute de compositeurs contemporains durant l’enregistrement d’XPUJIL ?
Edu : Oui, et notamment dans l’œuvre de Knud Viktor, un compositeur danois qui a vécu en France. L’un des 1ers bioacousticiens. Il enregistrait le son des insectes et les passait ensuite dans ses synthétiseurs, un travail qui résonne beaucoup avec le nôtre. Il y a aussi eu quelques pièces de musique contemporaine, dont Treatise, du britannique Cornelius Cardew (assistant de Karlheinz Stockhausen, travaillant sur l’improvisation et la conception de partitions graphiques NDLR), où il y a beaucoup de vide, une façon de spatialiser les sons. Et évidemment John Cage.
Vous parliez de l’idée de se défaire de l’écoute productiviste de la musique. XPUJIL est-il une façon d’entrevoir le futur de la musique et de sa réception ?
Edu : Absolument, on est arrivé à un moment de l’histoire où le concept d’album est devenu obsolète, le numérique favorisant plutôt les playlists. En partant de ce constat, on s’est demandé à quoi ressemblerait l’album du futur. Est-ce que cela ne serait pas plutôt des pièces sonores, mélangeant la musique avec un environnement ? A terme, comme on développe la réalité virtuelle, on va finir par avoir des disques immersifs. D’où ce travail de recherche, en utilisant des outils et des matériaux que l’on ramènerait dans le champ de l’art. L’écriture et la composition sont harmoniques, mais aussi sensorielles, en jouant notamment avec la spatialisation.
Caro : Nous ne sommes pas les seuls à réfléchir comme cela. Le Covid, la question environnementale, obligent à redéfinir la pratique de l’art. La musique sera moins une pratique normée de composition, mais davantage une forme plus hybride d’expression.
Propos recueillis par François Moreau
En concert : Le samedi 29 mai, au festival Villette Sonique (Paris XIX)
Album : XPUJIL (Crammed Discs) – Sortie le 25 juin