On a fouillé dans les poubelles d’Elliott Smith

Il y a à la maison ce vieux numéro d’Actuel daté d’avril 1972 (50 ans qu’il voyage de main en main, de bouquiniste en bouquiniste, de vide-greniers en vide-greniers) avec, en couverture, la tronche de Bob Dylan émergeant d’une poubelle dégoulinante...

On a fouillé dans les poubelles d’Elliott Smith

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Il y a à la maison ce vieux numéro d’Actuel daté d’avril 1972 (50 ans qu’il voyage de main en main, de bouquiniste en bouquiniste, de vide-greniers en vide-greniers) avec, en couverture, la tronche de Bob Dylan émergeant d’une poubelle dégoulinante et cette accroche : “La rock culture dans les poubelles de Dylan”. À l’intérieur du magazine, en plus de quelques fragments de Tarantula (le 1er bouquin de Bob écrit chez Joan Baez, à Carmel-by-the-Sea), traduits par Dashiell Hedayat, on y trouve un dialogue halluciné entre le barde et A.J. Weberman, figure iconoclaste du New York sixties qui avait fini par avoir l’entretien qu’il cherchait depuis longtemps avec son héros contrarié. Ce type, Weberman, est à l’origine de la “Dylanologie” et fut l’un des fondateurs du Rock Liberation Front, un mouvement garde-fou qui visait à prévenir l’embourgeoisement des hérauts de la contre-culture, et du Dylan Liberation Front (DLF), destiné à “sauver Dylan de lui-même”. La particularité de Weberman, c’est qu’il passait son temps à fouiller dans les poubelles de Dylan, comme un archéologue des bas-fonds, en quête de tout et n’importe quoi qui viendrait alimenter ses idées farfelues. Une méthode que l’on pourrait qualifier de harcèlement et qui préfigure la folie du star-système actuel, dans le fond, mais qui explique autre chose, nous allons le voir. Mais, quand même, vous imaginez, vous, trouver tous les matins un mec en bas de la maison en train de fouiller dans vos ordures ? Tout cela pour dire quoi.

Elliott Smith au lycée

Que la semaine dernière, le 2 mars 2023, Pitchfork a révélé une drôle d’histoire qui, en apparence, n’a rien à voir, mais qui, dans le fond, pourrait bien être liée à celle susmentionnée. Des fans d’Elliott Smith ont ainsi déterré six albums du musicien, mis en boîte avec une bande de potes lorsqu’il était encore au lycée, sous les noms de Stranger Than Fiction, A Murder of Crows et Harum Scarum. Les albums en question sont disponibles en ligne sur YouTube depuis l’année dernière, et ne cumulent pour l’heure qu’une poignée de milliers de vues. Une des raisons recensées par Pitchfork, quant à cette faible exposition de ces trésors inestimables, est que même les fans les plus hardcore de feu-Elliott Smith ignorent tout de cette période floue de sa vie. Le problème avec ces enregistrements, relate le journaliste, c’est que Smith lui-même ne voulait pas qu’ils sortent : “Je me suis vraiment promis il y a longtemps que j’empêcherais toujours que ceux-ci voient le jour”, le cite-t-il d’une vieille entrevue. Parmi les fanboys du kid d’Omaha, Nebraska, un certain Cameron McCrary, tout juste 20 ans au compteur, explique sa démarche : “Je veux que les gens les voient comme faisant partie du reste de son travail. Je ne pense pas qu’il serait devenu ce qu’il était, s’il ne les avait pas enregistrés.” Voilà qui croise beaucoup de choses, et qui pose la question de la volonté post-mortem de l’artiste (et pas que post-mortem, d’ailleurs) de ne pas voir surgir de ses poubelles ce qu’il ne considère pas valoir le coup d’être lu, vu, entendu.

À cette sempiternelle interrogation, je dirais que les musées seraient vides si toutes les volontés de ce genre étaient respectées. D’un autre côté, cette exigence vise aussi à protéger ce patrimoine perdu des velléités mercantiles de l’industrie (aussi bien que l’intégrité de l’œuvre visible du musicien).

Mais cette exhumation galvanisante (allez écouter les disques, c’est bizarre, super, improbable, mal branlé par endroits, bien foutus par d’autres), pose une autre question qui me paraît intéressante à explorer : qui fait l’Histoire ? Est-ce Bob Dylan et Elliott Smith ? Ou A.J. Weberman et le dénommé Cameron McCrary ? C’est tout l’enjeu de la culture populaire, qui n’est populaire justement que parce qu’elle a été absorbée et transformée en quelque chose de plus mystique, par les représentants auto-proclamés des volontés du peuple que sont ces deux olibrius qui doivent avoir une drôle de vie.

Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 10 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !