“Oppenheimer” de Christopher Nolan : bombe atomique ou pétard mouillé ?

La promo ultra agressive déployée autour d’Oppenheimer depuis des semaines, matraquant les déclarations ampoulées de Christopher Nolan himself, grand manitou des technologies analogiques et puriste du cinéma total, pourrait être le symptôme...

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La promo ultra agressive déployée autour d’Oppenheimer depuis des semaines, matraquant les déclarations ampoulées de Christopher Nolan himself, grand manitou des technologies analogiques et puriste du cinéma total, pourrait être le symptôme d’une certaine intranquillité, dissimulée par le réalisateur d’Inception. Reconverti VRP de son propre film, le cinéaste s’est ainsi auto-congratulé de manière un peu gênante, nous promettant une expérience à nulle autre pareille, un film ne contenant “aucun plan CGI” et, cerise sur le champignon atomique, une “explosion nucléaire réalisée sans effets spéciaux”.

Ces petits arrangements avec la réalité trahissent l’insécurité de l’enfant prodige d’Hollywood, qui pour la 1ère fois depuis qu’il a le monde à ses pieds, sort sensiblement de sa zone de confort, délaissant le film d’action high concept pour un biopic en apparence plus classique, se ramifiant en fresque politique aride et bavarde, façon JFK d’Oliver Stone. Mais c’est précisément dans cette “prise de risque”, et ce qu’elle dit du rapport de Nolan au cinéma stupéfiant, qu’Oppenheimer fascine. Car l’enjeu est moins pour Nolan de s’adapter à un genre peu familier, que pour ledit genre de se conformer au cinéma nolanien.

Le père de la bombe atomique

On comprend sans difficultés ce qui a attiré le cinéaste dans l’histoire de J. Robert Oppenheimer, physicien de génie devenu “le père de la bombe atomique”, avant d’être discrédité par le gouvernement américain pour son opposition au développement d’armes thermonucléaires. Grand cinéaste matérialiste et physicien quantique à ses heures perdues (Interstellar, Tenet) ayant soumis le territoire trouble des rêves à un protocole rigoureusement mathématique (Inception) et assujetti la magie à d’opaques expérimentations scientifiques (Le Prestige), Christopher Nolan semblait tout indiqué pour retracer l’itinéraire tortueux d’un physicien dépassé par l’application délétère de ses propres théories. N’était-ce la supposée linéarité d’un biopic, a priori contre-intuitive pour un cinéaste versé dans les récits gigognes, et les effets de manche temporels.

Le 1er tiers du film (très beau) suit le pèlerinage du jeune Oppenheimer dans l’Europe d’avant-guerre, et nous fait pénétrer le cerveau tempétueux d’un homme qui perçoit, à travers le voile de la réalité, l’existence d’un outre-monde tenu secret : le monde à l’échelle atomique. Soldat fidèle de Nolan jusque là cantonné à des seconds rôles, Cillian Murphy (extraordinaire) prête au personnage ses traits émaciés et ses yeux bleus aciers invariablement écarquillés, comme sujets à des visions qui nous échapperaient.

De retour aux États-Unis au commencement de la Seconde Guerre mondiale, Robert est réquisitionné par le gouvernement pour échafauder le projet Manhattan, qui, depuis les bancs de l’université de Berkeley en Californie, aboutira au 1er essai nucléaire, réalisé dans le désert du Nouveau-Mexique, à quelques encablures de Los Alamos, la ville-laboratoire créée sur mesure qui donne au film des faux airs de néo-western ultra crépusculaire.

Mise en scène fascinante

Mais c’est moins dans la scène (extrêmement impressionnante il est vrai) de l’essai nucléaire, montée en épingle par la promo et filmée comme le climax ébouriffant d’un film d’action, voire comme le négatif terrorisant d’un film catastrophe (l’objectif de la mission étant la destruction et non son évitement), que dans les longs tunnels de dialogue qui la cernent, que le film et sa mise en scène fascinent.

Longuement consacré à l’audit labyrinthique auquel sera confronté Oppenheimer au sortir de la guerre, supposément pour sa proximité avec les thèses communistes mais en réalité en raison de son opposition à la prolifération des armes nucléaires à l’orée de la guerre froide (et en plein maccarthysme), le film mute peu à peu en une fresque politique et paranoïaque, un court movie pakulien au centre duquel se joue la rivalité entre Oppenheimer et Lewis Strauss, homme d’affaire et industriel lié au projet Manathan, incarné par un Robert Downey Jr. impressionnant dans un rôle de composition.

En territoire inconnu, et privé des scènes d’action qui structurent ordinairement ses films, Nolan capte ces trois heures de dialogues ininterrompus, où un défilé de stars se donnent la réplique à un rythme échevelé, à la manière d’un film d’action archi stupéfiant dont la seule respiration est une tétanisante déflagration.

Un vrombissement de 3 h à vous filer des acouphènes, des visions apocalyptiques qui vous déchirent la rétine, les expérimentations bruitistes de Ludwig Göransson (déjà compositeur de Tenet) qui tabassent une partition wagnerienne, un motif contenant une vérité cachée qui reboucle sur lui-même – ici une phrase mystérieuse prononcée par Einstein plutôt que la rotation infinie d’une toupie (Inception) ou les apparitions d’un fantôme gravitationnel (Interstellar) – et même un simulacre de twist final : le cinéaste déploie toute sa panoplie, pour transformer sa sombre fresque politique (trop ?) longue et extrêmement bavarde en un film à grand spectacle qui vous étrille et vous essore jusqu’à l’épuisement, et stupéfie néanmoins.

On pensait tenir le film le plus classique de Nolan, et ce faisant le plus éloigné de sa filmographie ; Oppenheimer est finalement son film le plus radicalement nolanien, justement parce qu’il impose son style à un genre qu’on pensait trop classique pour l’accueillir.