Origine du Covid: pourquoi la thèse de la fuite d'un labo "extrêmement improbable" nécessite justement une enquête
SCIENCE - C’était un rapport attendu depuis des mois, qui a fuité à maintes reprises, critiqué tout autant. L’OMS a mis en ligne ce mardi 30 mars le résultat de son enquête sur les origines du coronavirus, qui s’est déroulée en Chine début...
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SCIENCE - C’était un rapport attendu depuis des mois, qui a fuité à maintes reprises, critiqué tout autant. L’OMS a mis en ligne ce mardi 30 mars le résultat de son enquête sur les origines du coronavirus, qui s’est déroulée en Chine début 2021, un an après le début de la pandémie de Covid-19.
En 120 pages, les scientifiques dépêchés par l’organisation font le point sur les données qu’ils ont pu analyser pour essayer de comprendre comment est né le Sars-Cov2. L’hypothèse la plus probable, c’est qu’un coronavirus différent ait évolué dans un animal (ou plusieurs) puis ait réussi à infecter l’homme.
Les experts de l’OMS estiment à l’inverse que la thèse d’un “accident de laboratoire” est “extrêmement improbable”. Ils ne répondent pas ici aux théories du complot que l’on voit fleurir sur internet concernant des brevets antérieurs, mais à des questions posées depuis des mois par des dizaines de chercheurs.
En présentant le rapport, le directeur de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a d’ailleurs demandé “d’enquêter plus avant, probablement avec de nouvelles missions avec des experts spécialisés que je suis prêt à déployer” sur cette question.
Une réponse aux nombreuses critiques qui ont été formulées récemment, demandant une enquête plus approfondie à ce sujet, alors que le responsable de la mission en Chine avait affirmé que c’était un “bon scénario de film” mais qu’il ne fallait pas perdre de temps à “chasser les fantômes”.
Mais pourquoi enquêter si cette hypothèse est si peu probable? Nous sommes ici confrontés à une controverse scientifique assez classique, nourrie par une absence de consensus, entremêlée de politique. Pour bien comprendre, il faut expliquer le contexte autour des origines du Covid-19, mais surtout interroger la manière dont la science se construit à petits pas.
Une hypothèse sérieuse, mais minoritaire
Le scénario d’une fuite est considéré comme possible par de très nombreux scientifiques. Très peu vont jusqu’à nier avec certitude cette possibilité. Cette hypothèse n’en demeure pas moins très incertaine.
La majorité des scientifiques considèrent qu’une zoonose classique, c’est-à-dire une maladie passant d’un animal à l’homme est l’explication la plus probable. Mais depuis un an, plusieurs éléments concernant la thèse du laboratoire ont intrigué de nombreux scientifiques, résumés dans cet article du Monde ou dans un récent épisode d’Envoyé Spécial.
Par exemple le fait que l’un des plus proches parents du Sars-Cov2 (RATG13) provient d’une chauve-souris découverte en 2013 dans le Yunnan, à 1000km de Wuhan. Ou encore que les chercheurs ayant étudié ces coronavirus ont justement un laboratoire à Wuhan. Que la base de données contenant des informations sur ces virus a été supprimée trois mois avant le début de la pandémie. Que dans la mine où a été découvert RATG13, six mineurs ont été hospitalisés, possiblement à cause d’une pneumonie en 2013.
Ou encore qu’à la différence du Sars-Cov1, dont il est proche, le coronavirus qui s’abat sur le monde depuis une quinzaine de mois an dispose d’une particularité, appelé “site de clivage de furine”, qui le rend particulièrement contagieux pour l’homme. Tout en sachant que plusieurs scientifiques, y compris à Wuhan, cherchent justement à entraîner une évolution des virus en laboratoire pour mieux les cerner et les combattre.
Des affirmations et leurs contraires
Chaque élément, pris isolément, n’apporte pas de preuve concrète et absolue d’une fuite de laboratoire. Mais mis bout à bout, ils permettent d’esquisser un scénario inquiétant. Et qui mérite clairement d’être soit validé, soit réfuté. C’est comme cela que fonctionne la science: en proposant des hypothèses qui peuvent être soit infirmées, soit confirmées. Pour autant, il faut également rappeler que de très nombreuses découvertes, à l’inverse, font pencher la balance en faveur d’une simple zoonose, voire tentent de réfuter la possibilité d’une origine humaine.
Dans une étude publiée le 16 janvier, des chercheurs ont analysé la distribution des chauves-souris et les différents virus retrouvés dans divers échantillons récoltés en Chine. Les auteurs affirment notamment, au vu de l’évolution génétique connue des virus, que RATG13 et le Sars-Cov2 partagent un ancêtre commun... qui aurait existé il y a plus de 25 ans.
Dans une autre parue dans Nature, les auteurs estiment au vu de l’analyse génétique de nombreux coronavirus que la lignée ayant donné naissance au Sars-Cov2 circule en sous-marin probablement “depuis des décennies chez les chauves-souris”. Et qu’en conséquence, il est fort possible que d’autres coronavirus proches du Sars-Cov2 incubent dans des chauves-souris à de nombreux endroits en Asie, ne demandant qu’à être découverts. Le 9 février, une étude d’une équipe internationale publiée dans Nature a dévoilé un autre coronavirus très proche du Sars-Cov2 découvert… dans une grotte de Thaïlande.
Quant au “site de clivage de furine”, qui distingue notamment le Sars-Cov2 du Sars-Cov 1er du nom, il n’y a pas de réponse simple non plus. Comme l’expliquait en mai le virologue Ian M. Mackay sur Twitter, de très nombreux coronavirus disposent de séquences génétiques apparentées. Une étude publiée le 21 février sur des coronavirus tend également à montrer que ce site de clivage de furine peut apparaître de manière naturelle sur des virus proches du Sars-Cov2.
Une “science en action” doit se contredire
Ces quelques exemples, qui sont pour beaucoup cités dans le rapport de l’OMS, n’apportent aucune vérité absolue. Elles ne résolvent pas l’énigme de l’origine de ce coronavirus pandémique. Et elles ont sûrement (ou seront) auscultées, critiquées, voire remises en question par d’autres travaux. Tout cela peut sembler étonnant pour qui ne connaît pas la méthode scientifique. N’a-t-on pas tendance à se dire que la science est une certitude?
Mais le consensus scientifique n’émerge pas naturellement, comme nous le rappelions en décembre dans cet article dédié au rôle de la science dans le débat public. Il se construit petit à petit, via des hypothèses validées ou réfutées par des expérimentations, parfois via des controverses opposant fortement différents groupes de chercheurs. C’est ce que le philosophe et sociologue des sciences Bruno Latour appelle “la science en action”, un phénomène dans lequel il n’y a pas de vérité absolue, mais plutôt des hypothèses, parfois issues de partis pris, d’idéologies, d’influences. C’est à force d’interrogations, de théories et d’expériences que se dégage ce que le sens commun perçoit comme la “science”, c’est-à-dire un savoir stabilisé.
Et bien malin celui qui pourrait prédire quel sera le consensus sur un sujet non tranché. La pandémie de Covid-19 a permis de médiatiser de manière extrême ce phénomène. Dans les 1ères semaines de l’épidémie, de nombreux médicaments existants ont été testés. L’un d’eux, l’hydroxychloroquine, a reçu une médiatisation importante. À l’époque, il n’était pas illogique de réaliser ce test, même si la majorité des scientifiques était plutôt dubitative. Depuis, des essais cliniques clairs et circonstanciés ont créé un début de consensus, toujours critiqué par un nombre très limité de médecins, affirmant que ce médicament était inefficace.
Autre exemple, inverse celui-là. La majorité des chercheurs et des autorités de santé estimaient dans les 1ers mois de l’épidémie que le coronavirus se transmettait principalement via des gouttelettes projetées à moins de deux mètres par les malades lors d’échanges en face à face. Un petit nombre de scientifiques, principalement des spécialistes de chimie atmosphérique à l’instar de Jose Jiminez, ont tiré la sonnette d’alarme en affirmant que le coronavirus pouvait se répandre via l’air et donc infecter des personnes dans une pièce mal ventilée. La majorité des scientifiques considère aujourd’hui (avec toujours des incertitudes, évidemment) que la voie aéroportée est l’une des principales sources de contamination pour le Covid-19.
En définitive, la thèse d’un coronavirus échappé d’un laboratoire n’est pas une théorie du complot. Elle n’est pas non plus la réponse la plus probable à nos interrogations sur l’origine de cette pandémie. Elle est une hypothèse minoritaire, mais qui doit être examinée, infirmée ou confirmée. La pandémie grippale de 1977 est connue pour être l’une des seules provenant d’une erreur humaine. Si les chercheurs ne sont pas catégoriques, la thèse principale est que l’essai d’un vaccin sur des militaires aurait permis la réintroduction de cette souche grippale, la même que celle ayant causé la pandémie de 1918.
Mais trouver l’origine d’une épidémie prend du temps, surtout dans le cas d’une zoonose. Certes, pour le Sars-Cov1 en 2003, la civette a vite été qualifiée d’hôte intermédiaire, mais son rôle réel faisait encore débat en 2007. Pour que des certitudes puissent être établies sur l’origine du Sars-Cov2, il faut que les chercheurs continuent de tester, d’étudier, d’enquêter, d’analyser en toute transparence.
Obstruction chinoise
Il faudrait pour cela qu’ils le puissent. Or la Chine ne fait rien pour faciliter ce travail. Il a fallu un an pour que l’OMS puisse retourner à Wuhan pour une enquête sur les origines. Et même ainsi, la surveillance politique était forte.
C’est le sens qu’il faut donner aux propos du patron de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui n’a pas simplement demandé une nouvelle enquête, mais a également souligné que les experts internationaux “avaient fait part de leur difficultés à accéder aux données brutes” pendant leur séjour en Chine.
Même si l’origine du Sars-Cov2 était naturelle, la Chine aurait de bonnes raisons de tout faire pour que cela ne se sache pas. Elle a d’ailleurs suggéré à l’OMS que l’origine du coronavirus se situe dans l’importation d’aliments congelés... et donc, hors du pays. Une thèse peu probable pour de nombreux scientifiques, mais fondée sur des études qu’il faudra également explorer et que le rapport qualifie de “possible”.
Pour comprendre pourquoi la Chine rejette les inspections, il faut rappeler que la Chine “a été perçue par l’Occident comme l’homme malade de l’Asie depuis 200 ans”. C’est ce que nous expliquait il y a un an Frédéric Keck, anthropologue au CNRS et auteur de Sentinelles des pandémies. Depuis Mao, l’État chinois a cherché à montrer qu’il était capable de faire la guerre aux virus, une volonté redoublée suite à la 1ère crise du Sars-Cov en 2003. Après avoir contrôlé l’épidémie d’une manière drastique alors que l’Occident a subi des vagues multiples et plus importantes, la Chine semble aller plus loin en rejetant l’idée même d’une origine chinoise du virus, naturelle ou artificielle.
En faisant cela, elle laisse planer le doute sur une faute humaine et, surtout, elle empêche de comprendre exactement d’où vient ce petit virus qui a tué 2,6 millions de personnes dans le monde. Alors même que la question de l’origine est essentielle pour tenter de se prémunir contre de futures pandémies.
À voir également sur Le HuffPost: À Wuhan, la visite très surveillée de l’OMS dans le marché berceau de la pandémie de Covid-19: