Pas de procès pour le meurtrier de Sarah Halimi: nous pleurons des larmes de sang

Mercredi 14 avril, j’étais présente en tant que journaliste à la conférence de presse de quatre des avocats de la famille de Sarah Halimi: des jeunes, des batailleurs, des “qui ne lâchent pas le morceau”, des “qui ne font pas l’unanimité”,...

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William Attal, frère de Sarah Halimi assassinée en avril 2017, lors d'une marche symbolique en hommage à la victime, le 5 janvier 2019 à Paris. Son meurtrier a été jugé irresponsable aux moments des faits. (Photo by Fred VIELCANET/Gamma-Rapho via Getty Images)

Mercredi 14 avril, j’étais présente en tant que journaliste à la conférence de presse de quatre des avocats de la famille de Sarah Halimi: des jeunes, des batailleurs, des “qui ne lâchent pas le morceau”, des “qui ne font pas l’unanimité”, des “qui ont sans doute commis des erreurs”, au cours d’une interminable procédure, ardue, complexe, incompréhensible par sa longueur et ses incohérences. Pendant quatre ans, il leur a fallu se battre, expliquer, tenter de convaincre, encore et encore, pour dire que oui, lorsqu’un jeune islamisé sous l’emprise du cannabis, projette de s’en prendre à une sexagénaire de confession juive, la roue de coups aux cris de “Allah ou Akbar” et de “J’ai tué le Shetan” en récitant des versets du Coran avant de la défenestrer, il s’agit bien d’un assassinat prémédité à caractère antisémite, sans qu’une quelconque folie ne puisse venir le dédouaner. La justice en a décidé autrement, c’est son droit souverain. Et dans un pays de droit, où la séparation des pouvoirs régit le fonctionnement de notre démocratie, aucun recours n’est désormais possible. Restent pour les juifs de France, l’abattement et le découragement. Chacun accuse le coup et s’interroge: et si Sarah Halimi n’avait pas été juive? Et si son assassin n’avait pas été un musulman radicalisé, mais, au hasard, un militant d’extrême droite? Les choses en auraient-elles été autrement? Et si les juifs français ne représentaient pas moins de 1% de la population de notre pays mais allez… 10%? Et si la lutte contre l’antisémitisme ne concernait pas seulement les citoyens juifs, mais avait à voir avec la Liberté, l’Égalité et la Fraternité républicaines?

Où sont ceux qui devraient se lever en masse pour descendre dans les rues et crier “Non à l’injustice”, “Non à l’assassinat d’une femme de 65 ans au ‘seul motif qu’elle était juive’”? Ceux qui déjà en 2006 dénonçaient avec force indignation la séquestration, la torture puis la mise à mort d’llan Halimi par le Gang des barbares, “au seul motif qu’il était juif” mais dont les mots sont restés des mots…

 

Et si la lutte contre l’antisémitisme ne concernait pas seulement les citoyens juifs, mais avait à voir avec la Liberté, l’Égalité et la Fraternité républicaines?

 

Je me souviens de l’attentat contre l’école Ozar Atorah en 2012. Trois enfants, français et juifs, juifs et français, abattus de sang froid, à bout portant, devant leur école par un autre barbare. Le lendemain, je suis sortie dans les rues de Paris, persuadée que cette fois-ci enfin, j’allais lire sur le visage des passants, dans les yeux de mes copines à la sortie de l’école des enfants, l’effroi et la révolte devant ces crimes atroces et gratuits. Mais tout était comme avant, comme avant ce matin où deux petits garçons de 2 et 3 ans et une petite fille de 8 ans avaient été tués “au seul motif qu’ils étaient juifs”: les bus circulaient, les clients du supermarché remplissaient leurs caddies, et devant la porte de l’école, personne, je dis bien, personne, n’est venu vers moi, dans un esprit de solidarité et de fraternité me dire: “la haine des juifs ne passera pas”. J’ai mis du temps à comprendre que la seule explication était leur indifférence. Ces mères de famille n’étaient tout simplement pas concernées par ce qui s’était passé devant l’école juive de Toulouse. Un peu comme nous devant les viols de jeunes filles par des islamistes au Mali ou les crimes commis à l’encontre des Ouighours, c’est loin, si loin… Le soir, abattue, effondrée, j’ai reçu un sms qui fut, pour moi, ce que le célèbre “La France sans ses juifs ne serait pas la France” prononcé par Manuel Valls trois ans plus tard, fut aux juifs de France: un baume sur ma plaie béante, sur ma souffrance hébétée, sur ma solitude immense. “Nous sommes avec vous, la République vaincra” m’écrivait cette Céline unique. À cette Juste du 21ème siècle, je dois d’avoir trouvé LA raison de ne pas chercher un ailleurs en quittant mon pays, la France.

Et puis, il y a eu la terrible série d’attentats de janvier 2015: Charlie Hebdo, Montrouge, l’Hypercacher… Pour la radio RCJ, j’ai assisté aux trois mois et demi qu’a duré le procès des 11 complices des terroristes islamistes. J’ai partagé les bancs des victimes, des survivants et de leurs proches. J’ai entendu leurs témoignages. J’ai écouté les avocats, des parties civiles et de la défense, me faire part de leurs doutes, de leurs hésitations, de leurs interrogations et de leurs convictions. J’ai eu peur, moi aussi, que l’antisémitisme forcené et idéologique des Kouachi et de Coulibaly soit le grand oublié de cette affaire. Mais la Justice a parlé et a reconnu la haine antijuive viscérale, l’exécration des valeurs humanistes, des islamistes et de leurs sbires. “Vous êtes ce que je hais le plus: la France et les juifs” a dit Coulibaly à Zarie Sibony, la jeune caissière de l’Hypercacher. Et je me suis surprise à y croire à nouveau: oui, la France, dans son corps et son esprit, dans sa chair et dans son âme, était capable de reconnaître le mal, de le désigner et de le punir.

 

Il y a aussi ce sentiment de fatalité qui nous envahit: l’antisémitisme jamais ne disparaîtra, l’éternelle haine du juif jamais ne s’éteindra?

 

Mais mercredi dernier, cette confiance retrouvée, cet espoir ravivé, ont de nouveau été fracassés par l’arrêt de la Cour de Cassation. Le dégoût, la colère, l’immense tristesse, le désabusement de nombre de mes “coreligionnaires”, je les lis, je les entends, je les partage. Nous pleurons, si seuls, des larmes de sang. Nous crions notre désarroi et notre incompréhension sur les réseaux sociaux, sur les plateaux des chaînes d’infos, dans des tribunes de presse. Il y a aussi ce sentiment de fatalité qui nous envahit: l’antisémitisme jamais ne disparaîtra, l’éternelle haine du juif jamais ne s’éteindra, baissons la tête mes frères, serrons-nous les coudes et serrons les dents, l’orage finira bien un jour par cesser de gronder au-dessus de nos têtes…

Et puis j’ai parlé à ceux que l’on appelle “les jeunes”, ils ont 25 ans, ils s’appellent Noémie, Samuel, Théo. Ils sont français et juifs, juifs et français, la France est leur pays, la République est leur combat. Ils n’ont pas compris mes “tout est foutu”, mon découragement, ma résignation au destin juif ancestral de persécutés. Ils sont debout, prêts à en découdre, avec, pour toute arme, leur foi dans notre République, convaincus et convaincants. Alors j’ai relevé la tête, j’ai lu avec reconnaissance les témoignages de tous ces citoyens français qui nous soutiennent, et je veux y croire à nouveau.

 

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