Pass sanitaire et chute de la fréquentation des cinémas : les inquiétudes d’un secteur en crise

Les chiffres sont clairs et officiels : la fréquentation a baissé en moyenne de 70 %. Le film qui rafle tout est Kaamelott : 1er volet d’Alexandre Astier. Il s’offre même le luxe de battre la concurrence américaine, dont Fast and Furious 9...

Pass sanitaire et chute de la fréquentation des cinémas : les inquiétudes d’un secteur en crise

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Les chiffres sont clairs et officiels : la fréquentation a baissé en moyenne de 70 %. Le film qui rafle tout est Kaamelott : 1er volet d’Alexandre Astier. Il s’offre même le luxe de battre la concurrence américaine, dont Fast and Furious 9 ! Un million d’entrées en une semaine, 40 % de parts de marché… 

L’exception ne fait pas la règle

À cela, il y a déjà une 1ère explication : Kaamelott, la série télévisée, a un large public intergénérationnel, de 17 à 87 ans, pourrait-on dire. Et comme le public le plus vacciné, en ce moment, est celui des plus de 60 ans, l’un dans l’autre, tout se tient. Mais encore ?

Selon Michèle Halberstadt, cofondatrice de la société de production et de distribution ARP Sélection, le phénomène de bande est aussi l’une des causes du manque de jeunes spectateurs·trices dans les salles : “Quand on est jeunes, on aime aller au cinéma à plusieurs; si deux des membres d’une bande n’ont pas de pass, tout le monde renonce à y aller.”

>> À lire aussi : Pass sanitaire au ciné : une chute de 70% de fréquentation, la FNEF demande un plan de sauvetage

Les gros films américains, et donc surtout les multiplexes qui, par tradition, les programment davantage que les salles indépendantes), subissent le choc le plus rude. The Suicide Squad de James Gunn, par exemple, a certes effectué le meilleur démarrage du 28 juillet, avec plus de 45 000 entrées. Mais Suicide Squad de David Ayer, il y a 5 ans, en avait accumulé plus de 300 000 à son 1er jour…

Quelques surprises, malgré tout

Les cinémas d’art et d’essai, beaucoup moins “américano-dépendants”, résistent mieux, parce que leur public est plus âgé en moyenne, donc plus vacciné, et ne va pas voir les blockbusters (ce sont évidemment des généralités). 

Stéphane Goudet, qui dirige le cinéma montreuillois Le Méliès, n’a vu la fréquentation de ses salles baisser que de 6 % la semaine écoulée. Il fait même mieux qu’en 2019 – son année record – à la même période, même s’il concède qu’il “doit faire partie des exceptions”.

Certains films, comme Odona d’Arthur Harari, ont un destin commercial assez surprenant. Encensé par la critique à Cannes, le film sort le 21 juillet et fait un flop (un bon millier de spectateurs). Mais dès le lendemain, il double la mise; ce qui est rarissime, le chiffre du mercredi permettant en général d’établir assez mécaniquement quel score fera au final un film. Même chose le vendredi 23 juillet, et ainsi de suite. Chez son distributeur, le Pacte, c’est chose inédite : en 7 jours, la fréquentation du film a été multipliée par plus de 11 !

Comment donc contrôler l’incontrôlable ?

Evidemment, on se perd en conjectures sur ce phénomène d’écroulement des entrées, où divers paramètres des plus fluctuants et incontrôlables interviennent dans les résultats d’un film : la météo (la pluie, le beau temps, la canicule…), la pandémie (qui a, par exemple, repoussé le Festival de Cannes de près de deux mois), la ligne politique du gouvernement, la nature du public d’un film, sa “cible” commerciale, la période de l’année (les vacances scolaires et universitaires; qu’a-t-on envie de voir au cinéma en 2021 ?), etc.

Par ailleurs, les producteurs·trices et les distributeurs·trices pourraient en théorie repousser les dates de sortie de leurs films en attendant d’y voir plus plus clair (c’est le cas d’Eiffel avec Romain Duris, qui devait sortir le 25 août), jusqu’à ce que le nombre de gens doublement vaccinés augmente et que certains spectateurs·trices n’aient plus peur d’aller au cinéma. Mais ce serait oublier un événement fondamental : la fermeture des cinémas pendant des mois (300 jours), alors que la production des films continuait, fait que de nombreux films restent sur les étagères. Quand les salles ont rouvert, le 19 mai, tout le monde craignait un goulot d’étranglement. À juste titre : il y avait trop de films à sortir ! Comment n’allaient-ils pas se marcher sur les pieds les uns les autres ? 

>> À lire aussi : Pass sanitaire : vers des mesures de soutien pour les lieux culturels ?

Si, dès le 9 août, l’obligation du pass sanitaire s’étend comme le souhaite le gouvernement, certains·nes professionnel·les craignent qu’il finisse à un moment par devenir imposé dans toutes les salles, même celles accueillant moins de 50 spectateurs·trices. Auquel cas, ce serait une catastrophe pour le secteur. Certains films attendraient sans doute leur tour, le temps de voir ce qui se passe, mais une partie d’entre eux, s’ils ne sortaient pas rapidement, ne sortiraient peut-être jamais… 

Les syndicats du cinéma ont encore du pain sur la planche. Les ministères de la Santé, de la Culture et de l’économie aussi. Bruno Le Maire a rencontré les représentants de la profession, le 28 juillet, pour discuter des aides qui pourraient être ajoutées à celles déjà dispensées par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Dès le lendemain, ce dernier a annoncé une enveloppe de 90 millions d’euros d’aides financées par l’État, tandis qu’une prochaine rencontre est prévue le 30 août.

L’été du cinéma sera long et chaud. 

(Remerciements à Karine Durance, Michèle Halberstadt et Stéphane Goudet pour leur aide précieuse)