Peter Doherty : “Les chansons de Frédéric Lo étaient irrésistibles”

Quand avez-vous eu l’idée d’enregistrer tout un album ensemble ?Peter Doherty – Quand on a eu assez de morceaux ! On a pris le temps d’apprendre à se connaître. Quand on a commencé à composer ensemble, on ignorait si suffisamment de chansons...

Peter Doherty : “Les chansons de Frédéric Lo étaient irrésistibles”

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Quand avez-vous eu l’idée d’enregistrer tout un album ensemble ?
Peter Doherty – Quand on a eu assez de morceaux ! On a pris le temps d’apprendre à se connaître. Quand on a commencé à composer ensemble, on ignorait si suffisamment de chansons passeraient notre test de qualité pour justifier tout un album. Les trois ou quatre 1ères étaient vraiment puissantes et je n’étais pas sûr qu’on arriverait à maintenir un tel niveau.

Quels étaient ces 1ers morceaux ?
P.D. – Yes I Wear a Mask
Frédéric Lo – The Monster, The Epidemiologist et The Fantasy Life of Poetry and Crime. Peut-être aussi You Can’t Keep It from Me Forever.
P.D. – À mesure que Fred inventait ses idées musicales, j’écrivais les paroles sur le vif. C’était un défi à la fois excitant et incertain, car on ne savait pas si l’inspiration serait toujours là le lendemain, mais elle l’était bel et bien.
F.L. – De mon côté, j’étais content rien qu’à l’idée de collaborer pour une reprise de Daniel Darc (Inutile et hors d’usage pour un projet d’album hommage piloté par Frédéric Lo, ndlr.). Je ne sais pas pourquoi, mais je voyais très bien la voix de Peter sur ce titre. On s’était déjà croisés au studio Question de Son quand Peter y enregistrait avec Babyshambles ; on avait simplement discuté et partagé un thé avec Stephen Street, sans aller plus loin. Lorsque nous nous sommes retrouvés autour de cette cover, tout s’est fait de façon si naturelle que Peter m’a proposé qu’on continue un peu à travailler ensemble. On s’est revus en août 2020 et quand je lui ai joué quelques mélodies, il m’a dit qu’il aimerait beaucoup chanter dessus. J’étais ravi ! On a convenu de s’y remettre en septembre, en Normandie. En seulement deux jours, on avait déjà une chanson prête. Et là, il s’est exclamé : “Vite, on enchaîne, peut-être que c’est juste un coup de chance !” Finalement, nous sommes restés trois mois à travailler ensemble tous les jours. J’ai senti une proximité, une simplicité, une exaltation.

Comment avez-vous pris respectivement vos marques ?
P.D. – J’ai su que ça fonctionnerait le jour où Fred s’est jeté à l’eau, littéralement, à un endroit qui s’appelle le Chaudron, un gros rocher près d’Étretat. Mon chien, Zeus, qui est gentil mais qui préfère garder ses distances, s’est mis à nager dans la mer jusqu’à Frédéric pour aller lui lécher le nez : bon signe. Tu t’en rappelles ?
F.L. – Oui, tout à fait ! Ma famille était venue me rejoindre à Étretat et ils avaient hâte de rencontrer Peter parce qu’ils savaient à quel point ce projet me tenait à cœur. On ne l’a pas vu immédiatement et ils étaient un peu déçus, alors je les ai emmenés se baigner à cet endroit charmant que j’avais découvert sous les falaises. On arrive, on se change, et là Peter apparaît !
P.D. – C’était vraiment un beau moment. En plus, l’eau n’est pas très chaude, donc ça donne une bonne indication du mental de la personne. Quand j’ai vu Frédéric en maillot de bain avec ses enfants, en train de nager dans la mer, je me suis dit : “Quel mec adorable ! Comment ne pas aimer cette personne ?” (Rires.) C’est un souvenir émouvant pour moi. La période du confinement a été particulièrement stricte en France – j’ai eu la chance d’être à la campagne, je serais devenu fou si j’avais été à Paris.
F.L. – Avec ce projet, on a retrouvé une simplicité dans ce monde de fous. Peter vit dans une belle maison et j’étais hébergé dans une très jolie demeure, le manoir de Cateuil (que l’on voit sur la pochette de l’album, ndlr.). J’ai eu la sensation que toute ma vie m’avait mené à ce moment précis. On a beaucoup de références en commun.
P.D. – C’était intéressant pour moi de rencontrer une nouvelle personne. Finalement, mon monde musical est assez fermé. La plupart du temps, je ne travaille qu’avec des personnes avec qui je suis déjà ami. Plusieurs fois, j’ai décliné des propositions pour collaborer avec des gens que je ne connaissais pas personnellement, et j’ai quelques regrets de ne pas avoir saisi ces opportunités. En réalité, je n’ai pas l’impression d’avoir pris le moindre risque en acceptant de travailler avec Frédéric : ses chansons étaient tout simplement irrésistibles. C’est ce qui m’arrive toujours quand je compose à plusieurs, que ce soit avec The Libertines ou Babyshambles. Je sais tout de suite si ça va fonctionner, si ça me cause. J’ai ressenti ça avec Mick (Whitnall, ndlr.), Pat (Patrick Walden, ndlr.) et Carl (Barât, ndlr.), quand ils me faisaient écouter leurs idées à la guitare. Ça m’a fait pareil avec Fred. C’est comme un cadeau des dieux.

Tu décris cette fraternité entre musiciens dans Rock & Roll Alchemy : “Tu es devenu comme un frère à la fin de la chanson.”
P.D. – Oui, ce sont des paroles si personnelles, si chargées en émotion, qu’elles peuvent être difficiles à chanter sur scène. J’ai ressenti ça aussi quand Frédéric m’a contacté au sujet de la reprise de Daniel Darc et qu’il m’a envoyé la traduction du texte en anglais. C’est tellement intime… Ça m’a profondément chamboulé.

Dans cette même chanson, tu cites aussi un certain Lee. Qui est-ce ?
P.D. – Lee Brown, un ami, un frères d’armes même, quand je vivais à Margate. Il est mort dans des circonstances étranges fin 2019. (Long silence.)

Que recherchiez-vous dans ces morceaux ?
F.L. – On ne faisait que creuser sans cesse, sans but précis en tête. On fait simplement de notre mieux pour fabriquer des chansons qu’on adore.
P.D. – Ce que l’on recherche, c’est l’Arcadie, cet endroit magique de l’autre côté de l’arc-en-ciel où tu arrives parfois à te transporter quand tu écoutes chez toi ta chanson préférée de David Bowie en dansant, par exemple. Cette autre dimension, j’essaie de l’atteindre avec mes propres chansons. Je crois qu’on y arrive sur The Ballad of.
F.L. – C’est toujours une quête, une tentative de capturer ce qui résonne en nous quand on écoute nos chansons préférées. C’est un phénomène étrange tout de même : pourquoi telle chanson te fait ressentir autant d’émotions alors qu’une autre ne déclenche rien ? Ça ne passe ni par l’analyse, ni par la parole.
P.D. – Oh, voilà Zeus, dont je t’ai parlé ! (Peter sort son harmonica.) Zeus va vous chanter quelque chose. (Le maître joue un morceau entraînant et le husky pousse de longs hululements en guise d’accompagnement, le chien de Peter entre alors dans la pièce.)

Peter, sur cet album, Frédéric a composé toute la musique et tu t’es chargé des paroles. Trouver le mot juste, c’est ta passion ?
P.D. – Plus qu’un job de rêve, c’est l’une de mes quêtes permanentes. C’est une activité un peu traître parce que ça m’arrive de relire les pochettes de mes albums précédents et de me dire que j’aurais plutôt dû mettre tel autre mot.

Tu peux toujours faire des modifications en live…
P.D. – Oui, c’est ce que je fais. Je n’aime pas causer de “processus” d’écriture, c’est un terme beaucoup trop clinique. Ce n’est pas une science exacte, ni un jeu pour moi. C’est une façon d’exprimer mon âme, avec un peu d’intellect et de cœur dans l’équation. Mais c’est pareil pour toi : écrire sur la musique, c’est délicat aussi. Les textes de qualité sont de plus en plus rares. Je lis uniquement la presse papier. Je ne suis plus sur les réseaux sociaux. Je n’ai plus de téléphone portable depuis décembre 2019 et ça me manque un peu. J’adorais trouver des NME des années 1970 et 1980 pour lire les journalistes de l’époque. Ils employaient des mots tellement recherchés qu’il fallait avoir un dictionnaire à portée de main ! Je serais presque capable de te réciter la chronique du NME du 1er album des Smiths. Tout ça pour dire que le choix des mots est très important pour moi. C’était un vrai défi de me concentrer uniquement sur les paroles de cet album. C’est aussi parce que mes doigts sont un peu bousillés, pour employer le terme médical. J’ai eu un syndrome du canal carpien, après avoir passé des années à essayer de jouer des accords de neuvième et de septième – ça touche souvent les coiffeurs aussi. Quand Frédéric m’a contacté, mes doigts étaient encore en convalescence après une opération. Je n’ai pas pu jouer de la guitare pendant six mois.
F.L. – Oui, il m’en a parlé d’emblée, il m’a dit qu’il écrivait des poèmes en attendant de pouvoir jouer à nouveau. S’il ne m’avait pas proposé qu’on travaille ensemble, je n’aurais pas osé lui proposer moi-même. Il sait transposer sa poésie en musique d’une manière très personnelle et très spéciale, comme Lou Reed ou Morrissey avant lui. Moi aussi, j’ai ressenti notre collaboration comme un cadeau des dieux. Nous étions seuls dans cette grande maison, loin des distractions de Paris, comme dans un rêve. Il était très concentré sur ce projet.
P.D. – Oui, et même assez discipliné ! J’avais vraiment envie de me prouver à moi-même que je savais encore écrire des chansons, en gros. Je sortais d’une période de baisse de créativité, un désert de l’esprit. Je m’étais effondré après la tournée des Libertines. Début 2020, j’avais l’impression de m’être fait renverser par un bus. Je ne trouvais plus aucun plaisir à jouer de la guitare.

Peter, tu t’entoures souvent de chaos pour créer, en écrivant sur les murs, en accumulant des bouts de papier…
P.D. – C’est mon habitat naturel, mais je vis en ce moment chez la famille de ma femme, donc je dois me retenir. Mon chaos interne va devoir attendre que nous trouvions notre propre chez-nous. Toutes mes affaires sont stockées en Angleterre. J’avais besoin qu’on m’oriente dans la bonne direction. Sans les conseils de Frédéric, j’aurais continué à végéter.
F.L. – Le manoir de Cateuil, où nous avons fait cet album, est un endroit à part. Nous avions peu de matériel : une machine à écrire, un micro, une guitare, un petit synthé et un ordinateur portable.
P.D. – Le chaos ne se crée pas de façon délibérée, il émerge de lui-même. Nous avons abordé ce projet comme une toile vierge, sans idée préconçue, sans concept de départ. Ça donne une grande liberté.
F.L. – Je vois la musique comme un chaos que l’on doit mettre en ordre. Quand j’avais 11, 12 ans, je jouais dans un groupe post-punk et new-wave, donc j’ai toujours aimé mélanger une mélodie avec des éléments plus rêches. J’adore ce contraste.
P.D. – Cet album comporte nettement moins de guitares déglinguées que la musique que nous faisons d’habitude. Peut-être parce qu’il reflète l’ambiance mélancolique de cette maison, de toute cette période.
F.L. – Je crois que nous sommes un peu hors du temps tous les deux.
P.D. – Oui, nous vivons tous les deux dans le passé musicalement, c’est à mon avis le meilleur endroit. Je suis très curieux de savoir ce que les gens vont penser de cet album. Avant, j’ai toujours dévoilé quelques morceaux sur Internet, ou j’en jouais en concert, mais cette fois ça n’a pas trop été le cas.

Pour ma part, il m’a beaucoup impressionnée et rappelé tout ce que j’aimais dans Vauxhall & I
P.D. – Waouh. On n’arrêtait pas de causer de cet album quand on était ensemble dans cette maison. Comme une obsession. Morrissey, The Smiths, c’est vraiment la crème du rock anglais, avec Paul Weller, The Jam, The Stone Roses… On se racontait des ragots sur tous ces artistes. Les potins, ça fait du bien de temps en temps ! (Rires.) On rêvait à haute voix de tous les musiciens qu’on pourrait contacter pour venir jouer sur cet album. Au final, c’est Fred qui a tout joué.
F.L. – A cause de la pandémie. Sinon, j’avais eu l’idée de demander à Graham Coxon…
P.D. – Mais mon instinct me disait que Frédéric avait non seulement le talent pour s’en charger, mais qu’en plus c’était un travailleur acharné. Il a une conscience professionnelle et il est allé au bout de ce qu’il a entrepris malgré les circonstances du virus, du Brexit… Tout semble simple quand on est ensemble.

Propos recueillis par Noémie Lecoq.

The Fantasy Life of Poetry and Crime (Water Music & Strap Originals/Virgin Records). Sortie le 18 mars. Concerts le 8 avril à Rennes (Festival Mythos), le 5 mai à Paris (Trianon) et le 5 juin à Saint-Brieuc (Festival Art Rock).