Peur sur la ville: la Tour Eiffel et Notre-Dame de Paris sont-elles des bombes toxiques?

D’immenses bâches et échafaudages recouvrent partiellement les piliers et l’arc de la Tour Eiffel. Des dizaines de peintres devraient s’activer à la rénovation de la peinture du monument en prévision des Jeux Olympiques de 2024, qui devraient...

Peur sur la ville: la Tour Eiffel et Notre-Dame de Paris sont-elles des bombes toxiques?

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La Tour Eiffel est recouverte d'un échafaudage et de filets de protection pour sa 20ème campagne de peinture et de décapage, le 8 mars 2021 à Paris. En vue des JO de 2024, la Tour Eiffel va retrouver sa couleur dorée du début du XXe siècle. (Photo Chesnot/Getty Images)

D’immenses bâches et échafaudages recouvrent partiellement les piliers et l’arc de la Tour Eiffel. Des dizaines de peintres devraient s’activer à la rénovation de la peinture du monument en prévision des Jeux Olympiques de 2024, qui devraient voir Paris briller de mille feux aux yeux du monde.

Pourtant, un silence de plomb règne sur le chantier. Ce n’est pas le confinement lié à la pandémie du Covid-19 qui est à l’origine de ce silence, mais bien le risque d’une autre épidémie: depuis mars dernier, l’ampleur de la pollution par le plomb a contraint la société d’exploitation à interrompre le chantier de rénovation. En cause: l’érosion des anciennes peintures qui couvrent le monument depuis sa construction en 1889. La Dame de fer, plus que centenaire, est née à l’époque où la plus grande part des peintures contenaient du plomb en quantité, censé résister davantage que les autres pigments aux intempéries. Dès le début du XIXe siècle, des médecins ont démontré la dangerosité de sa fabrication et de son utilisation partout en Europe. À Lille, Amsterdam, Newcastle, Milan ou Bruxelles, les ouvriers qui fabriquaient la fameuse “céruse” remplissaient bientôt les couloirs des hôpitaux, atteints de saturnisme, une intoxication brutale ou insidieuse qui en a laissé beaucoup handicapés à vie et en a tué beaucoup également. On savait. On a même inventé un substitut inoffensif pour remplacer la mortelle céruse. Mais le déni des pouvoirs publics face aux risques professionnels et l’accoutumance de la société à la souffrance des mondes du travail ont maintenu le blanc poison parmi les produits largement utilisés jusqu’aux années 1950 au moins, plus tard encore pour les bâtiments en fer qui recevaient des peintures anti-rouille contenant du minium de plomb, avant que ces produits ne soient détrônés par des pigments aux qualités techniques supérieures.

 

Ces dégagements de poussières de plomb ont produit de nombreux rapports accablants de l’inspection du travail et abouti à l’arrêt du chantier de rénovation de la Tour Eiffel.

 

Aujourd’hui, le déni du risque du plomb pour la santé humaine n’est pas achevé. Rappelons-nous: il y a deux ans, le toit et la flèche de Notre-Dame de Paris s’effondraient sous l’effet d’un dramatique incendie, devant les caméras du monde entier. Le célèbre architecte Viollet-le-Duc, responsable de la restauration complète de la cathédrale gothique dans les années 1840-50, avait recouvert son toit de plomb et l’avait avec inspiration dotée de sa flèche (en plomb), devenue iconique. Le 15 avril 2019, des volutes de fumée chargées de 400 tonnes de plomb évaporé sont retombées sur le centre de Paris, dans l’indifférence la plus complète: c’était un détail face au drame patrimonial de l’incendie. Il a fallu les cris de quelques lanceurs d’alerte pour que les autorités municipales et sanitaires publient finalement, après plusieurs semaines, les chiffres effrayants de la pollution au plomb sur le parvis, jusqu’au sein de plusieurs écoles dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés et même en banlieue ouest de la capitale, et fassent des recommandations de prudence aux riverains, bien trop tardives. Comme au XIXe siècle, les pouvoirs publics se sont d’abord tus, n’ont réagi qu’acculés par des révélations fracassantes et ont finalement laissé les populations s’accommoder à l’existence du risque toxique.

Aujourd’hui, c’est à la Tour Eiffel que le plomb dégagé par les travaux sur les peintures anciennes constitue un risque toxique. D’après une enquête publiée par le quotidien indépendant Mediapart le 15 avril 2021, ce risque est connu depuis 2009 au moins: à chaque rénovation de la Tour Eiffel, l’érosion s’aggrave. Vingtième campagne de peinture depuis sa construction, les importants travaux engagés en 2019 pour redonner au monument sa couleur brun-jaune voulue par Gustave Eiffel produisent des dégagements de poussières de plomb qui ont produit de très nombreux rapports accablants de l’inspection du travail et finalement abouti à l’arrêt du chantier de rénovation en février dernier.

Qui est exposé au risque? Les ouvriers du chantier de rénovation (dont au moins deux auraient été intoxiqués gravement l’hiver dernier), le personnel de la tour (chez qui des cas d’intoxication ont été relevés), mais également ses millions de visiteurs annuels, exposés à des risques d’inhalation et d’ingestion de poussières de plomb, permanents mais accrus pendant les travaux de rénovation: la Tour Eiffel est ouverte 365 jours par an et n’a fermé que pendant les deux confinements récents. À l’été 2020, alors que les visiteurs affluaient à nouveau, des prélèvements ont montré des teneurs en plomb très élevées sur le chantier mais aussi dans l’un des ascenseurs et dans la cafétéria (en service), dans les locaux d’une crèche à proximité, ainsi que sur des bancs et une aire de jeux situés sur le Champ-de-Mars, là même où les familles de touristes prennent leur casse-croûte avant d’entamer l’ascension du célèbre monument. Or le plomb est aujourd’hui reconnu dans les classifications internationales comme un toxique sans seuil minimal, cancérigène, mutagène et reprotoxique –en particulier pour les enfants en bas-âge et les femmes enceintes— dont les symptômes sont généralement différés dans le temps et les atteintes neurologiques irréversibles.

 

Pour Notre-Dame, il a fallu les cris de lanceurs d’alerte pour que les autorités publient après plusieurs semaines les chiffres effrayants de la pollution au plomb sur le parvis.

 

Une fois encore, un déni institutionnel a recouvert le problème. Parce que les travaux se font dans l’urgence pour l’échéance des Jeux Olympiques, il ne faut pas s’encombrer de contraintes superflues: le port du masque et l’installation de douches pour les ouvriers sont accusés par la société d’exploitation de réduire la productivité du travail et la rapidité des travaux. Publiquement, le problème de la pollution au plomb n’est pas nié —ce serait absurde— mais largement minimisé, pour endormir les inquiétudes. Pire, à la Tour Eiffel comme à Notre-Dame, l’argument fataliste utilisé par la mairie de Paris pour ne pas intervenir repose sur le “bruit de fond” de la pollution par le plomb à Paris: l’air de la capitale comporte effectivement une concentration notable du métal toxique, liées aux activités humaines, à la couverture des bâtiments, à la circulation automobile, etc. Pourtant, cette pollution a connu une très nette diminution depuis l’interdiction de l’essence au plomb en Europe en 2000. Et comment évaluer ce bruit de fond quand les seuils réglementaires sont eux-mêmes instables?

Ne nous résignons pas: les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour diminuer considérablement le risque de santé publique que constitue le plomb présent dans les grandes villes françaises et européennes. Suite à l’incendie de Notre-Dame, le Haut Comité de la Santé publique, comité consultatif, recommandait d’abaisser le seuil d’exposition réglementaire de 1000 à 70µg/m2, ce qui permettrait une vigilance accrue des pollutions. Mais les autorités gouvernementales et sanitaires n’ont pas suivi cette recommandation. Du haut de ses 132 ans, la Tour Eiffel est aujourd’hui une bombe toxique en plein cœur de Paris, polluant humains et environnement du plus vieux poison connu. Comme Notre-Dame, dont le toit et la flèche, partis en fumée il y a deux ans, sont sur le point d’être reconstruits… en plomb.

 

“Blanc de plomb - histoire d’un poison légal” de Judith Rainhorn, éditions Les Presses de Sciences Po, en savoir plus ici

 

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