Polygamie et réserve héréditaire: Que va changer le projet de loi séparatisme?

DROIT - Alors que le vote solennel du texte doit avoir lieu ce mardi 16 février, Le HuffPost a choisi de se pencher sur deux articles du projet de loi confortant les principes de la République: l’article 14 sur la polygamie et l’article 13,...

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Marlène Schiappa, ici en décembre 2020, met en avant deux articles de la loi séparatismes.

DROIT - Alors que le vote solennel du texte doit avoir lieu ce mardi 16 février, Le HuffPost a choisi de se pencher sur deux articles du projet de loi confortant les principes de la République: l’article 14 sur la polygamie et l’article 13, sur la réserve héréditaire.

Très médiatisés et présentés par la ministre chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa comme renforçant l’égalité femme-homme, que vont réellement changer ces deux articles par rapport au droit existant? 

Polygamie et article 14

L’article 14 du projet de loi contre le séparatisme concerne la polygamie. Le 5 octobre 2020, Marlène Schiappa affirme au micro de Jean-Jacques Bourdin: “Gérald Darmanin et moi, nous inscrirons dans la loi cette mesure qui veut que désormais, nous ne donnerons plus de titre de séjour à une personne qui arrive d’un pays étranger et est en situation de polygamie (...) Nous devons mettre fin à la polygamie de fait.”

Pour Julia Courvoisier, avocate pénaliste au Barreau de Paris, il n’y a rien de nouveau. “Il y a des choses plus importantes à faire que de légiférer sur quelque chose qui est déjà proscrit depuis 30 ans”, estime-t-elle.

“La polygamie est interdite en France depuis très longtemps, c’est un délit pénal, puni d’un an d’emprisonnement et 45.000€ d’amende, rappelle-t-elle. Le Code civil prévoit également qu’on ne peut contracter un second mariage sans avoir dissout le premier.”

De fait, la loi du 24 août 1993, “loi Pasqua” indique que “la carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d’un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée”. L’article 30 de cette loi interdit le regroupement familial polygamique en France.

“Entre 16 et 20.000 familles en France”

Alors, pourquoi cet article 14 dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République? 

Concernant la délivrance ou le renouvellement des titres de séjour, même constat. “Quand j’ai des clients qui sont en situation irrégulière ou avec des titres de séjour, s’ils commettent des infractions, on ne leur renouvelle pas! témoigne-t-elle. 

“On sous-entend que la polygamie serait désormais interdite (donc qu’elle ne l’était pas avant) et que les polygames ne pourraient plus obtenir de titre de séjour, c’est de la communication”, estime-t-elle.  

Contacté par Le HuffPost, le cabinet de Marlène Schiappa soutient de son côté: “Il existait des cas particuliers pour lesquels les titres de séjour pouvaient être délivrés même en cas de polygamie, comme les titres de séjour étudiants ou titres professionnels. y met fin.”

Et d’ajouter: “On nous rétorque que la polygamie est déjà interdite en France, soit, mais entre 16 et 20.000 familles sont concernées en France, selon l’ONG Gams. Ce à quoi cette mesure mettra fin.”

Une réponse qui ne satisfait pas l’avocate: “Les autorisations de titre de séjour en cas de polygamie avérée sont vraiment exceptionnelles... De plus, le Procureur de la République poursuit très rarement pour ‘polygamie’”, ajoute-t-elle.

“En général, soit on a un problème au niveau des titres de séjour, soit au niveau de la CAF. Dans ces cas-là, le Parquet poursuit pour escroquerie à la CAF et pas pour polygamie, soutient-elle. Je ne suis pas persuadée que cette nouvelle loi règle le problème des quelques polygames qu’on a aujourd’hui en France.”

Réserve héréditaire et article 13

L’article 13 traite de la réserve héréditaire. “Les filles ne doivent pas être déshéritées parce qu’elles sont des filles!” a tweeté la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté le 8 février, jour de l’adoption de l’article lors de son examen à l’Assemblée.

La mesure permettrait “la création d’une réserve héréditaire” qui garantirait “l’égalité filles-garçons devant l’héritage quand la loi étrangère s’applique et est inégalitaire”. Or, “la réserve héréditaire existe déjà et elle est propre au droit français”, rappelle Élodie Mulon, avocate spécialisée en droit patrimonial et extra-patrimonial de la famille.

En France, lorsqu’une personne meurt, une partie de la succession revient aux “héritiers réservataires”, qui sont en général les enfants. “Elle correspond à 1/4 du patrimoine quand il y a un enfant, 2/3 quand il y a deux enfants et 3/4 quand il y en a trois ou plus”, explique Élodie Mulon.

Le reste correspond à la “quotité disponible”, dont le défunt peut disposer librement par testament. Quand il n’y a pas d’enfants, le conjoint peut être héritier réservataire. “La difficulté, c’est que certains pays ne reconnaissent pas la réserve et permettent de donner son patrimoine à qui on veut, y compris aux États-Unis à un chat ou un chien par exemple”, poursuit l’avocate.

“Ce n’est pas une mesure féministe”

Or, la succession est de la compétence de la juridiction dans laquelle le défunt a sa résidence habituelle. Que se passe-t-il alors quand la personne vit à l’étranger?

″Ça a été tout le sujet dans l’affaire Hallyday, et cette mesure en est la conséquence directe. Si dans le pays où était installé le défunt, la réserve héréditaire n’est pas reconnue, les héritiers qui sont en France se voient lésés de ce qu’ils auraient dû recevoir si la succession avait été ouverte en France”, rappelle Élodie Mulon. 

C’est là qu’intervient l’article 13 du projet de loi séparatisme. “Avec ce texte, si une partie des biens est en France, les héritiers vont pouvoir se servir sur ce qu’il y a en France, à hauteur de leurs droits dans la réserve”, explique Élodie Mulon.

 

Les femmes sont le plus souvent discriminées par des règles coutumières en matière d’héritage, ce sont elles qui seront les principales bénéficiaires de la mesureCabinet de Marlène Schiappa

Pour l’avocate, cette réserve “ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes”. “L’idée est de dire que dans certains pays, on exclut les femmes de la réserve et que là, elles peuvent récupérer. Mais il n’y a pas que les femmes! Ça concerne tous les héritiers réservataires. Ce n’est pas une mesure féministe”, estime-t-elle.

Pour elle, si cet article “simplifie les successions” et “permet de protéger les héritiers qui vivent en France ou qui sont ressortissants français”, la manière dont elle il est présenté est là aussi “un effet de communication”. 

 

Réponse du cabinet de Marlène Schiappa: “La réserve garantit l’égalité entre héritiers, mais comme de facto ce sont les femmes (à 95%), qui sont le plus souvent discriminées par des règles coutumières en matière d’héritage, ce sont elles qui seront les principales bénéficiaires de la mesure.”

Plus largement, l’avocate Élodie Mulon regrette que cette question ait été traitée dans ce cadre. “Un groupe de travail avait été saisi sur le droit des successions et la réserve, et l’on aurait pu espérer que cette disposition s’inscrive dans une réforme des droits de succession un peu plus ambitieuse que l’ajout de cet alinéa-là. On ne voit pas ce que ça vient faire ici”, conclut-elle. 

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