Populaire grâce à la vaccination, Boris Johnson va-t-il chuter en raison de son goût pour les canapés?
“Sleaze” est l’un de ces mots britanniques impossibles à traduire en français sans écarter ses multiples connotations. Il est essentiel pour comprendre la politique britannique en général certes, mais surtout par les temps qui courent. “Corruption”...
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“Sleaze” est l’un de ces mots britanniques impossibles à traduire en français sans écarter ses multiples connotations. Il est essentiel pour comprendre la politique britannique en général certes, mais surtout par les temps qui courent. “Corruption” certes. S’ajoutent à la gangrène institutionnelle des senteurs plus louches des “sleazy joints” -ces sex-shops du Soho londonien des années 70. Les effluves sleazy eurent raison, au milieu des années 90, du gouvernement conservateur de ce M. Propre s’il en fut, John Major, empestant aussi la fin de règne de Tony Blair.
C’est cette semaine que la presse –aussi bien populaire (dite “tabloïd”) que sérieuse (dite “de qualité”)– pourtant d’habitude si Borissophile s’est retournée contre lui. Unanimement. L’élément déclencheur? Une odeur envahissante de sleaze depuis quelques semaines, le tout connaissant son apogée (pour le moment du moins) dans des propos que le Premier ministre aurait prononcés en octobre dernier lorsque ses conseillers virologues lui demandent d’instaurer un 3e confinement: “Je préfère voir des milliers de cadavres s’entasser!”
La vérité n’est pas -même pas!- le vrai enjeu. Johnson l’a balancée il y a longtemps sous un bus en route pour le 10 Downing Street.
Ces propos sont évidemment choquants dans le pays détenant (déjà) le record d’Europe du nombre de décès liés au Covid-19. Aujourd’hui, pourtant, ils ne sont pas à la Une de l’un des (rarissimes) journaux dits “d’opposition”. On les trouve en gras sur la 1ère page de l’un des pitbulls du Brexit, fervent supporter de “Boris” –the Mail “le journal le plus lu en Grande-Bretagne.”
D’où viennent ces propos? That is the question. Élémentaire, dit la vaste majorité des lecteurs. De Dominic Cummings. L’ex “cerveau” non seulement du Brexit mais aussi de sa figure de proue, Johnson. Petit rappel de l’intrigue “so far”. Autrefois de mèche, Johnson avait longtemps défendu “Dom” envers et contre tout, notamment lorsque celui-ci prétexta un besoin pressant de “tester sa vue” lorsqu’il emmena sa famille faire une virée d’agrément au château de Barnard en pleine période de confinement. Confinement dont les termes draconiens furent dictés par Cummings himself. Johnson dépensa pas mal de capital confiance en soutenant son plus proche conseiller. La goutte qui fit pourtant déborder le vase? Cummings osa qualifier la copine de Johnson, Carrie Symonds, pour des raisons non encore élucidées de “Princesse Noix-Noix”. Du coup, bye bye.
Depuis, plutôt désœuvré, il mijote sa vengeance. La 1ère salve tomba vendredi lorsque Cummings fuite sur les circonstances du financement des travaux “d’embellissement” effectués par le couple Johnson dans leur appartement privé du 10 Downing Street. D’où venait l’argent? Le couple avait viré les sofas installées par Theresa May (façon John Lewis, un grand magasin pourtant “aspirational” aux yeux de beaucoup de Britanniques) en faveur d’un design autrement plus excentrique d’une égérie au nom improbable de Lulu Lytle. Le tout pour quelque 60.000 livres sterling, somme dont la provenance demeure jusqu’à aujourd’hui source de conjectures multiples. Le silence de Johnson demeure, lui, incriminant.
Cummings, passé maître dans l’art de jouer avec la presse, distille ses perles de venin auprès d’amis complices, lesquels se prévalent de leurs “sources incontestables”. Nous n’en sommes pas à une délicieuse contradiction près. Tout le monde est persuadé que c’est Cummings qui “fuite” à droite et à gauche. Cela ne manque pas de sel. C’est lui-même qui expulsa jadis manu militari une conseillère de l’ex-ministre des Finances après confiscation de son portable pour délit de... “fuites”. Le week-end passé fut riche en spéculations façon Cluedo sur l’identité exacte de celui/celle que l’on appelle “the chatty rat” -le rat bavard.
Ses allégations sont-elles vraies? Là demeure l’ironie suprême. La vérité n’est pas -même pas!- le vrai enjeu. Johnson l’a balancée il y a longtemps sous un bus en route pour le 10 Downing Street. Le jugement porté aujourd’hui par cette presse si prépondérante dans l’opinion britannique est sur le caractère même de l’homme à la tête du pays.
Voir Johnson se pavaner en haut des polls était peut-être de trop pour tous ses ex-amis.
Pourtant, d’autres raisons ne manquent pas pour douter de sa longévité. Son Brexit a divisé le pays de fond en comble et risque carrément de le désunir avec des velléités séparatistes, traditionnelles en Écosse, nouvelles au Pays de Galles et tragiques avec le retour des “troubles” et des bus brûlés dans les rues de Belfast. Une catastrophe économique attend le pays, non seulement avec la dette Covid mais aussi l’idée somme toute saugrenue de s’être séparé de son principal marché voisin sans pour autant s’arrimer aux autres “fantastic trade deals” promis naguère par le Premier ministre.
Tout ceci arrive au moment où Johnson est pourtant au plus haut dans les sondages, largement porté par le succès (pour le moment incontesté, du moins sur place) de son vaccino-nationalisme à outrance. Voir Johnson se pavaner en haut des polls était peut-être de trop pour tous ses ex-amis. Ce n’est sans doute pas une coïncidence non plus que l’une des plumes les plus acerbes du Daily Mail ne soit autre que celle de Sarah Vine, épouse de Michael Gove, chancelier du Duché de Lancastre, autrefois prétendant au remplacement de Theresa May et... proche de Cummings. Sleaze aidant, certains commencent déjà à relooker dans leur tête certains canapés côté Westminster.
Pour en savoir plus, vous pouvez suivre Alex Taylor sur Twitter: @AlexTaylorNews
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