Pour Brigitte Macron, "Fortnite c'est terrible", mais la réalité est plus complexe

SANTÉ - “Fortnite, c’est terrible… Quand ils sont sur des jeux comme ça, comment faire pour qu’ils arrêtent?” Ces mots, ce sont ceux de Brigitte Macron lors d’une visite, ce mercredi 3 février, à la Maison des adolescents du Loir-et-Cher, à...

Pour Brigitte Macron, "Fortnite c'est terrible", mais la réalité est plus complexe

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Brigitte Macron, ici au mois de janvier 2021, a critiqué le temps passé par les adolescents sur le jeu Fortnite.

SANTÉ - “Fortnite, c’est terrible… Quand ils sont sur des jeux comme ça, comment faire pour qu’ils arrêtent?” Ces mots, ce sont ceux de Brigitte Macron lors d’une visite, ce mercredi 3 février, à la Maison des adolescents du Loir-et-Cher, à Blois. 

Sur place, une “démonstration de théâtre-forum” jouée par des comédiens locaux, comme le rapporte La Nouvelle République, a semble-t-il alerté la Première dame sur l’addiction aux jeux vidéo alors qu’elle est déjà inquiète des conséquences du contexte sanitaire sur les jeunes. “L’adolescence est déjà un âge qui n’est pas simple, regrette-t-elle. Avec cette crise, c’est encore plus compliqué. L’adolescence est un passage compliqué. À nous, adultes, de faire le geste.”

Depuis son apparition en 2017, le jeu “Fortnite”, accessible gratuitement sur ordinateur, consoles et smartphones, est un phénomène. Il compte, aujourd’hui, 350 millions d’inscrits. Rien qu’au mois d’avril 2020, pendant le confinement, 3,2 milliards d’heures de jeu ont été relevées. Son principe? Être l’ultime survivant d’une île sur laquelle s’affrontent une centaine de joueurs. 

Dans ce jeu vidéo, il n’y a pas de sang. Les graphismes sont “cartoonesques”. Pour le moment, nous ne connaissons pas véritablement l’âge moyen des joueurs et des joueuses, “mais il n’est pas rare qu’en branchant son micro et son casque, on réalise que l’on côtoie des adolescents, voire des enfants”, observe Numerama.

L’addiction des joueurs dénoncée

Comme Brigitte Macron, certains parents s’inquiètent de l’utilisation, parfois grandissante, du jeu chez leurs enfants. En octobre 2019, un cabinet d’avocats québécois a, par exemple, déposé une demande d’action collective contre le jeu, assurant par la même qu’il avait été pensé pour développer l’addiction des joueurs.

D’après un document déposé auprès de la Cour supérieure du Québec, ils estiment que les fondateurs “ont utilisé les mêmes tactiques que les créateurs de machines à sous, soit des programmes de récompenses variables, pour s’assurer de la dépendance de ses utilisateurs, le cerveau étant manipulé pour toujours désirer davantage”.

Il faut dire que “Fortnite” est en permanente évolution. Chaque jour, les cartes, les habits, les danses de célébration et les modes de jeux bougent. D’après le youtubeur Game Spectrum, “Fortnite utilise les données des [...] joueurs, pour voir où ils se lassent, où ils apprécient le jeu le plus”.

Célia Hodent, qui a été pendant quatre ans la directrice de l’expérience utilisateur d’Epic Games, société mère du jeu, dément. Le jeu n’a pas été pensé pour développer l’addiction, assure-t-elle. “Quand une équipe développe un jeu, elle va souffrir de ce que l’on nomme le biais de connaissance. Elle connaît trop le produit. Du coup, il va être dur pour elle d’anticiper comment les nouveaux joueurs vont réagir”, a-t-elle expliqué à 20 Minutes.

Son travail, aux côtés d’une équipe de psychologues, a été de “s’assurer que les joueurs comprennent le message du jeu, se familiarisent avec celui-ci, s’y sentent à l’aise et en ressortent satisfaits”, comme le rappelle cet article du Monde. La responsable a quitté l’entreprise peu de temps après le lancement du jeu, à l’automne 2017, pour se concentrer sur des thématiques qui lui sont chères, comme la sensibilisation à la lutte contre la toxicité en ligne, l’inclusivité et l’éducation.

La “maladie” fait débat

Ceci étant, le débat autour de “Fortnite” n’est pas propre à ce jeu. Il est l’illustration d’une critique régulièrement faite aux jeux vidéo. En juin 2018, l’OMS a, par exemple, ajouté le “trouble du jeu vidéo” à la classification internationale des maladies. Une décision qui ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs. Certains avaient, dès 2016, appelé l’organisation à ne pas l’officialiser. 

Pourquoi? D’abord, parce que les cas d’addiction sont rares. Sur les 2,5 milliards de joueurs qu’il y avait en 2018, seule “une petite minorité” d’entre eux étaient touchés par ce trouble, a souligné une responsable de l’OMS.

Aussi, parce qu’une partie des études utilisées ont de possibles biais importants. “C’est une approche intéressante, mais cela risque de pathologiser des comportements qui sont normaux pour des centaines de millions de joueurs réguliers”, expliquait Andy Przybylski, psychologue à Oxford et spécialiste du sujet, dans un appel réitéré en 2018 dans les colonnes du Guardian

“Les preuves que nous avons suggèrent que le ‘trouble du jeu vidéo’ est simplement symptomatique d’un autre problème mental sous-jacent et que le jeu vidéo est souvent utilisé comme un mécanisme d’adaptation face à ces problèmes”, assurait, en 2017, Gizmodo Chris Ferguson, psychologue à l’université de Stetson.

Une source de bien-être

Depuis plusieurs années, les études sur les jeux vidéo se multiplient. L’une d’entre elles, parue au mois de novembre 2020, rappelle tous les bénéfices qu’on peut en tirer pour notre santé mentale, prenant pour point de départ le succès d’“Animal Crossing” au cours du confinement. “Nos résultats confortent l’idée que les jeux en ligne offrent une alternative satisfaisante aux rencontres en face à face en cette période exceptionnelle”, a expliqué un des auteurs de l’étude, Matti Vuorre, à l’AFP.

Lui et ses collègues mettent en avant l’utilisation de données de temps de jeu fournies par les développeurs, là où des études précédentes se basaient sur des auto-évaluations des personnes sondées. “Dans notre étude, l’association entre temps de jeu réel et bien-être était plus forte” qu’en comparant avec le temps de jeu rapporté, explicitent-ils.

En travaillant avec les éditeurs de jeu EA et Nintendo, “pour la première fois, nous avons pu questionner la relation entre la façon de jouer et le bien-être”, précise le professeur Andrew Przybylski, lui aussi auteur de l’étude, dans un communiqué de presse.

D’après les résultats, les personnes ayant passé plus de quatre heures par jour en moyenne à jouer à “Animal Crossing” se disaient plus heureuses. Le jeu de simulation, comme celui de tir “Plants vs Zombies”, deux titres qui n’appartiennent pas au même genre, possèdent tous les deux des graphiques colorés, proches du dessin animé, et ni l’un ni l’autre ne font partie des titres les plus controversés pour leur violence, ou leur incitation à dépenser de l’argent.

Des vecteurs d’apprentissage

Augmentation de la flexibilité du cerveau, ralentissement du degré de déclin mental, amélioration des capacités de lecture, ... Les bienfaits insoupçonnés sont nombreux. Chez “Fortnite”, aussi. D’après le psychologue pour enfants Randy Kulman, qui s’appuie sur les observations d’une étude scientifique de 2013, le jeu développe les mêmes capacités d’attention du joueur que tout autre jeu d’action.

“Dans ‘Fortnite’, où tout le monde est un ennemi, une vigilance et une attention constantes sont essentielles, au même titre que le besoin d’ignorer toute forme de distraction extérieure, écrit le spécialiste dans un blog de Psychology Today. De plus, comme dans la plupart des jeux d’action, ‘Fortnite’ contient des séquences complexes où les joueurs doivent se concentrer sur plusieurs facteurs à la fois - éviter les ennemis, chronométrer les sauts périlleux et apprendre de nouvelles techniques de jeu - qui dépendent tous d’une profonde concentration.”

Il ajoute: “Il est possible aussi qu’ils acquièrent des compétences en matière de coopération et de communication. Le ‘mode créatif’ peut aussi être une occasion d’améliorer leurs compétences en matière de planification et de résolution de problèmes.”

Cependant, le psychologue rappelle que c’est un jeu, et parce que c’est un jeu il faut le considérer comme une activité “amusante” avant de le voir comme une plateforme d’apprentissage. “Si vous voulez que votre enfant apprenne davantage de ‘Fortnite’, vous devriez peut-être y jouer avec lui et passer du temps à discuter et à élaborer des stratégies de jeu”, conseille-t-il. Les recommandations de l’expert interrogent. Dans quelle mesure le temps que passent les ados sur “Fortnite” est-il à risque? Comment encadrer sans réprimer leur utilisation? Les choses semblent, en tout cas, plus complexes que ne le préfigurent les propos de Brigitte Macron sur le sujet.

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