Pourquoi Benjamin Epps est ce qu’il pouvait arriver de mieux au rap francophone en 2021

A quel moment le rap francophone a-t-il créé les conditions d’apparition sur la carte du rookie de l’année Benjamin Epps ? Quand Akhenaton – dont on n’attend plus qu’il défriche quelconque tendance rap depuis un moment – va chercher les restaurateurs...

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A quel moment le rap francophone a-t-il créé les conditions d’apparition sur la carte du rookie de l’année Benjamin Epps ? Quand Akhenaton – dont on n’attend plus qu’il défriche quelconque tendance rap depuis un moment – va chercher les restaurateurs du son new-yorkais en la personne de Benny, The Butcher du collectif Griselda (Qui vit par le fer… en 2018) ? Quand Alpha Wann résume la quintessence de son style dans la punchline “Ferme les yeux quand je rappe/Tu vois New-York” sur Apdl, extrait de la formidable Dondada Mixtape ? Ou simplement quand le rap francophone mainstream s’effondre sous le poids de ses propres formules et doit regarder vers les Etats-Unis pour enfin constater qu’un Playboi Carti peut cohabiter sans heurts avec des Freddie Gibbs ou Pusha T ?

“J’suis pas un phénomène de mode, j’suis un phénomène”

A cette dernière question laissée en suspens, Benjamin Epps, qui sort ce vendredi 23 avril Fantôme Avec Chauffeur, a une réponse toute trouvée sur le morceau inaugural de ce nouveau disque : “Tes MCs rappent pareil/Limite c’est de la natation synchronisée/Donc le game veut m’introniser.” Une manière pleine de morgue de débarquer en agitant deux bons gros majeurs à l’industrie tout en soufflant la fumée de son cigare cubain au visage des rappeurs en place.

Après un 1er essai concluant paru en décembre 2020, Le Futur, c’est tout le programme de Benjamin Epps qui se voit cristallisé dans cette punchline d’ouverture. Produit par Le Chroniqueur Sale (LCS pour les intimes), vidéaste dont la chaîne YouTube compte près de 80 000 abonnés mais surtout beatmaker de talent, c’est tout un imaginaire de rap straight outta New York qui ressuscite sur les 7 titres de Fantôme Avec Chauffeur. Si l’on évacue de suite les similarités vocales entre Epps et Westside Gunn de Griselda Records, force est de constater que l’auteur de Kennedy en 2005 bat le même fer – et avec la même verve – que les ressortissants du label de Buffalo, New York.

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Un tempérament de franc-tireur

Cette identité de rappeur besogneux mais cool s’affirme d’ailleurs dès la pochette de son album qui convoque la physicalité et l’âpreté des Affranchis de Martin Scorsese, plutôt que l’outrance du Scarface de Brian De Palma. Au rap comme à la vie, Benjamin Epps serait flingueur plutôt que flambeur. Ce tempérament de franc-tireur qu’il balade avec aplomb n’a d’égal que la sobriété de son style et du dispositif. A l’instar de ces prods dépouillées et immaculées, le rap de Benjamin Epps ne s’embarrasse d’aucun ornement et souhaite tout écraser sur son passage.

Derrière cet art du dépouillement, le message est limpide : ce n’est pas du rap, c’est un coup d’état. Une manière de dire que, ici, l’égotrip n’est pas qu’un moteur de l’exaltation de soi mais bel et bien d’une vision du rap à défendre au péril de sa vie. Toutes ses références (toujours Jay-Z, Biggie ou 2Pac), ses punchlines assassines délivrées avec l’aisance et la morgue des artistes de la Jiggy Era, les assonances et allitérations presque désuètes de Goom ou le refrain de Relax, Pt.1 proviennent de cette volonté de monter durablement mais sans concessions sur le trône (maintenant que “Booba a sorti l’dernier album”) plutôt que de réaliser un énième braquage à la va-vite auxquels le rap de ces dernières années nous a trop souvent habitué.

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Dieu bénisse Benjamin Epps

Mais au-delà de la violence, de l’égotrip rutilant et des saillies politiques défiantes, Fantôme Avec Chauffeur cache un autre morceau véritablement miraculeux. Un titre qui, à lui seul, contiendrait toute l’éthique rap de Benjamin Epps, toutes ses obsessions formelles et thématiques et qui le ferait passer dans une toute autre catégorie de rappeurs : Dieu bénisse les enfants, sorte d’équivalent apaisé au “listen to the kids, bro” d’un Kanye West erratique sur la scène des MTV Video Music Awards en 2015. Dans sa production minimaliste, complètement inhabituelle pour le rap de 2021 et certainement construite autour d’un sample d’une bande-originale de film français, il y a un témoignage de l’inébranlable confiance que Benjamin Epps porte à son art pour s’attaquer à pareil morceau. Ce n’est pas que du rap, c’est un coup d’éclat.