Pourquoi “Bergman Island”, le film de Mia Hansen-Løve est une pure célébration du “génie” féminin

Il y a deux lignes narratives dans Bergman Island. La 1ère explique comment un couple prend l’eau sur une île encerclée par la mer du nord. La deuxième, plus souterraine, logée au sein de la 1ère, ordonne la confrontation de deux artistes,...

Pourquoi “Bergman Island”, le film de Mia Hansen-Løve est une pure célébration du “génie” féminin

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Il y a deux lignes narratives dans Bergman Island. La 1ère explique comment un couple prend l’eau sur une île encerclée par la mer du nord. La deuxième, plus souterraine, logée au sein de la 1ère, ordonne la confrontation de deux artistes, deux cinéastes, sous le haut patronage d’Ingmar Bergman. À ce jour le cinéma n’a sans doute jamais aussi précisément filmé la chose amoureuse, la déréliction d’un couple, à travers une dimension qui lui serait peut-être supérieure, l’exercice d’un art.

Ainsi le duel matrimonial tel qu’il a été exemplairement déployé dans Scènes de la vie conjugale – et auquel le film de Mia Hansen-Løve fait référence par de facétieux clins d’œil (le couple de héros dort dans le lit où s’étripent Liv Ullmann et Erland Josephson) – se double ici d’une tension qui est le rapport de chacun à la création.

>> À lire aussi : Dans “Bergman Island”, Mia Hansen-Løve invoque l’esprit d’Ingmar

Sens unique

Venu montrer ses films dans un festival de cinéma, il est celui qu’on couvre d’hommages. Elle est son +1. Il la domine en âge, en maturité. Elle patine sur son nouveau scénario. Son projet à lui s’écrit à toute vitesse. Mais quand un plan montre l’imprimante crachant les pages, on ne peut s’empêcher de songer à l’expression “pisse-copie”. Il y a une dimension peu généreuse chez lui, le film le souligne subtilement : leurs échanges sont à sens unique, il recueille les tâtonnements de sa compagne, mais ne livre rien. Elle lui reproche, il s’efface derrière son image de compagnon-modèle. Tout chez lui ressemble à une page blanche, on ne sait rien, tant il dissimule tout, et la seule effraction dans son imaginaire est la découverte à son insu de dessins pornos SM dans l’un de ses carnets. Cet homme puissant est indéchiffrable. Et nul.

C’est lors d’une projection publique de son film, que le récit du film prend la tangente. En contrechamps de l’écran où est projetée une sorte de série B stylisée, l’héroïne n’attend pas la fin et sort. Pour elle, la fiction n’est plus dans ce temple trop sacré du cinéma, mais dehors. Séparation des corps. Scission des imaginaires. La vie plutôt que le cinéma – son cinéma à lui – pour y revenir plus tard… Ils avaient prévu une visite guidée des lieux bergmaniens. Elle choisit plutôt de se perdre dans une exploration sauvage de l’île de Farö en compagnie d’un inconnu – baignade, bouchon de champagne qui saute, et tout et tout.

>> À lire aussi : [Vidéo] Cannes 2021, jour 6 : Tim Roth nous cause de “Bergman Island” de Mia Hansen-Løve

Mise en abîme

Mia Hansen-Løve montre un couple qui s’éloigne. Mais ce n’est pas tout. Ou sinon il s’en sortirait à trop bon compte. Sinon ce serait : la fille choisit la vie contre l’artiste bonnet de nuit. Non, car sa psyché à elle déborde au contact des bulles de champagnes, de l’eau, de la pluie, des matières en général. Elle a l’idée d’une histoire qu’elle se met, dans une scène suivante, à lui expliquer – un nouveau film qui vient s’enchâsser dans le 1er. Belle et vertigineuse, cette mise en abîme provoque l’évacuation, voire l’exécution symbolique de son mâle principal : récit en image d’une passion dévorante, elle est tout ce que leur couple n’est pas. À cette 1ère violence s’ajoute celle qui consiste à laisser toute la place au fantasme mental de l’héroïne, jusqu’à sa concrétisation en tournage de cinéma – le songe d’un après-midi d’été devenu film. La puissance galopante de l’imaginaire féminin a karchérisé le réel, ce triste sire de mari avec. “Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs”. C’est la phrase attribuée à Bazin par Godard, en mieux – en plus.

Au passage, le réalisateur suédois prend aussi du plomb dans l’aile. Comme si tout ça – la révérence pour les anciens, la culture cinéphile patriarcale (ses bons petits soldats présents au Bergman Tour) -, c’était sa faute. On force le trait bien sûr. Mais via son héroïne, Mia Hansen-Løve se fait un plaisir de l’agrafer gentiment, lâchant des micros-bombes très drôles et pertinentes ici ou là. Ainsi il fallait venir sur son île pour “tuer” cet autre père de cinéma.

Bergman Island de Mia Hansen-Løve, sortie en salle le 14 juillet 2021