Pourquoi “Él” de Luis Buñuel est-il toujours aussi moderne ?
Dans les années 1940, Hollywood a produit une série de films mythiques marquant l’émancipation de la représentation des héroïnes – et donc des femmes – au cinéma. Rebecca (Hitchcock), Hantise (Cukor), Angoisse (Tourneur) montraient de jeunes...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Dans les années 1940, Hollywood a produit une série de films mythiques marquant l’émancipation de la représentation des héroïnes – et donc des femmes – au cinéma. Rebecca (Hitchcock), Hantise (Cukor), Angoisse (Tourneur) montraient de jeunes mariées en butte à un mari autoritaire, triomphant à la fin de cette prison maritale et du patriarcat non sans avoir perdu leur innocence dans la bagarre.
Réalisé une décennie plus tard, Él déploie la même toile narrative mais avec un œil d’entomologiste. Un regard scientifique implacable (Buñuel a étudié les insectes) qui décortique chaque étape d’une emprise conjugale d’une grande violence.
Décryptage d’une paranoïa
Tout commence dans une église où, lors d’une cérémonie religieuse, un riche propriétaire terrien avise une jeune fidèle dont il tombe éperdument amoureux. Promise à un autre homme, il parvient cependant à l’épouser grâce à sa volonté de fer. Francisco conquiert cette femme, Gloria, comme on gagne un terrain, ni plus ni moins. Puis on plonge dans la vie du couple qui vire au cauchemar : souffrant de paranoïa aiguë, le mari s’imagine que sa jeune femme le trompe et développe à son égard une jalousie maladive et destructrice.
Les commentaires sur ce long métrage issu de la période mexicaine de Buñuel ont eu tendance à mettre la focale sur la maladie du personnage masculin. D’abord parce que le réalisateur lui-même disait se projeter dans ce héros jaloux (!) et tenait ce film pour l’un de ses préférés. Il y injecte d’ailleurs l’une de ses grandes obsessions, dans une scène d’ouverture très iconique de lavement des pieds, début de la cristallisation amoureuse de Francisco embrassant de son regard fétichiste des escarpins féminins. On sait aussi que Jacques Lacan, très impressionné par le film, le montrait à ses étudiants pour illustrer le cas psychiatrique d’un grand paranoïaque lors de ses cours à Saint-Anne.
Cette dimension est en en effet frappante, la précision documentaire écrasant tout élan romanesque pour mettre au jour les ressorts d’une persécution crue et prosaïque (agression physiques et verbales, tentatives de sévices…) dans un écrin mondain sous influence sadienne. Pourtant, la part la plus mystérieuse et fascinante du film repose peut-être plus encore sur les épaules de son héroïne et les conditions de sa soumission à son bourreau.
Reprendre son destin en main
Inspiré d’une longue nouvelle autobiographique de l’écrivaine mexicaine Mercedes Pinto, publiée en 1923, Él (Lui) est à l’origine un monologue féminin. Le récit d’une “martyre” qui nous conte son long chemin de souffrances, dans une langue clinique et étincelante. Elle y accuse son mari mais surtout ceux qui l’ont laissé faire : “Le moment est venu de lancer un anathème sur vous les lâches qui n’avez pas élevé la voix pour me défendre ! […] J’abandonnerai mon foyer et ma patrie à cause de ces hommes misérables et vils qui ont posé sur leur âme une tunique de poule mouillée pour accueillir le pauvre dément avec des sourires mielleux…” À travers son récit, c’est toute la société qu’elle attaque, cette bourgeoisie cléricale où les épouses sont assujetties par la loi du mariage.
Buñuel a gommé l’aspect le plus militant du texte originel. Au jugement moral, à la détresse humaine, il préfère sa chère ironie. Cela n’abîme pas trop la force de son adaptation qui restitue la vérité du livre à travers une voix-off, celle de Gloria restituant après coup son calvaire à son 1er fiancé (Él est construit comme un long flash-back). Cette idée ouvre une possibilité pour l’héroïne victime de se ressaisir de son histoire par une parole qui commande la dramaturgie du film à sa façon, en la faisant à nouveau maîtresse de son existence.
Él (Tourments), avec Arturo de Cordova, Delia Garces, Luis Beristain. En salles depuis le 2 novembre en version restaurée.