Pourquoi il faut absolument regarder les 3 1ers films de Tsai Ming-Liang

On cause fréquemment d’œuvres de jeunesse pour désigner les travaux préliminaires de grands cinéastes. Comme pour réaffirmer leur fonction de laboratoires mais également de tempérer poliment leurs pouvoirs de fascination comparés aux futurs...

Pourquoi il faut absolument regarder les 3 1ers films de Tsai Ming-Liang

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On cause fréquemment d’œuvres de jeunesse pour désigner les travaux préliminaires de grands cinéastes. Comme pour réaffirmer leur fonction de laboratoires mais également de tempérer poliment leurs pouvoirs de fascination comparés aux futurs chefs d’œuvres à venir. La mention est particulièrement inexacte pour désigner les trois 1ers films de Tsai Ming-Liang, réalisés au courant des années 1990 et disponibles depuis fin juillet, en versions restaurées, dans quelques salles de cinéma françaises : Les Rebelles du dieu néon (1992), Vive l’amour (1994) et La Rivière (1997).

Le sacre de l’image

Même parmi les plus grands, ils·elles ne sont pas nombreux·ses les réalisateurs·trices qui, d’une page blanche, ont édifié coup sur coup une série de films liminaires hurlant avec un tel talent et une telle conviction l’idée du cinéma qu’il·elle porte. Si la trajectoire la plus commune qui traverse la filmographie d’un·e cinéaste, est celle de la soustraction – essayer de raboter, réduire; chercher l’épure à son maximum –, la jeune œuvre de Liang est déjà délestée de tout gras. Dès son 1er film, le découpage est acéré et s’articule magnifiquement avec la chorégraphie des corps. La parole, elle, est réduite à l’essentiel et doit s’incliner devant le sacre de l’image.

Ce cinéma naissant, c’est avant tout la rencontre avec un visage et un corps : Lee Kang-sheng. Dans ces trois films, Liang enregistre le temps qui passe sur l’acteur. D’adolescent à adulte, les traits du jeune homme se modifient mais persistent toujours cette présence fragile et nonchalante, et ce corps longiligne, perdu, mutique, comme en démission. C’est le spleen d’une jeunesse gravé sur un visage, son errance et sa fougue qui font corps. Une osmose si évidente que le cinéaste ne pourra plus s’en passer et fera jouer l’acteur dans tous ses films, jusqu’à son dernier en date, Days, diffusé sur Arte à l’été 2020. 

Il n’est pas aisé de expliquer les films de Tsai Ming-Liang tant ils sont faits de l’agencement de petits fragments du quotidien perforés par une sensibilité prodigieuse du détail. Très proches dans leur architecture, ses deux 1ers films développent un art virtuose du cache-cache et du chassé-croisé au sein d’un trio composé de deux hommes et une femme.

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Jamais seul·es

Dans les artères bouillonnantes de Taipei dans Les Rebelles du dieu néon ou à l’intérieur d’un luxueux appartement dans Vive l’amour, ses êtres se croisent et s’observent, le plus souvent sans le savoir. Ses personnages partagent les mêmes espaces mais se croient seuls. Le mystérieux Hsiao-kang, interprété par Lee Kang-sheng, y joue l’intrus, celui qui rentre par effraction. Autant fasciné que mû par un esprit de vengeance, il se met à suivre et influer sur l’existence d’un jeune homme dans Les Rebelles du Dieu néon. Dans Vive l’amour, il s’introduit et prend racine dans un appartement mis en vente par une agente immobilière persuadée que le bien est vide de toute présence.

Ce déséquilibre crée des sommets absolument sidérants lorsque, à plusieurs reprises, Hsiao-kang observe l’agente immobilière faire l’amour avec un jeune homme. D’abord furtivement depuis le pas de la porte et puis carrément sous le lit en train de se masturber, ses râles de plaisir se mêlant avec celui du couple en plein ébat. Le lendemain matin, après le départ de l’agente immobilière, Hsiao-kang rejoint le lit et s’allonge à côté du jeune homme encore endormi. Il le scrute attentivement et finit par poser un baiser sur la bouche du dormeur qui n’en saura jamais rien.

Vive l’amour de Tsai Ming-Liang (Survivance)

Celui qui se croit seul ne l’est jamais vraiment. C’est en cela que l’isolement des êtres chez Liang n’est jamais désespéré et que son cinéma s’écarte de la simple considération nihiliste. Ses films s’achèvent dans la tristesse mais ont l’élégance d’y laisser pénétrer un filet de lumière. Dans La Rivière, la maladie qui se répand dans le corps du jeune homme semble agir comme un mal expiatoire. De même, les larmes déchirantes qui coulent sur le visage de Yang Kuei-mei dans l’ultime plan de Vive l’amour ne sont peut-être pas celles du désespoir mais de la promesse du lendemain.

Les Rebelles du dieu néon (1992), Vive l’amour (1994) et La Rivière (1997) de Tsai Ming-Liang. En salle depuis le 28 juillet. Disponibles aussi en DVD.

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