Pourquoi il faut découvrir “Clèves”, étonnante fiction sur l’éveil d’une jeune fille à la sexualité 

Adapter l’un des meilleurs romans de Marie Darrieussecq paru en 2011 sur l’adolescence d’une femme et en faire un beau film contemporain : le pari de Rodolphe Tissot, obsédé par ce projet depuis une décennie, avait quelque chose de risqué à...

Pourquoi il faut découvrir “Clèves”, étonnante fiction sur l’éveil d’une jeune fille à la sexualité 

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Adapter l’un des meilleurs romans de Marie Darrieussecq paru en 2011 sur l’adolescence d’une femme et en faire un beau film contemporain : le pari de Rodolphe Tissot, obsédé par ce projet depuis une décennie, avait quelque chose de risqué à une époque où le “point de vue situé” et l’expérience vécue priment, souvent à juste titre. Sauf que Tissot, réalisateur reconnu pour sa contribution au renouveau des séries françaises (il a réalisé Ainsi Soient-ils il y a une décennie) a justement pris la question à bras le corps. Sa variation sur le texte cru de Marie Darrieussecq a été pensée et menée sans œillères : l’universalité du personnage de Solange, une ado de 15 ans vivant dans la montagne savoyarde – la région natale du réalisateur, contre le Sud dans le roman – prend tout son sens dans le contexte post #MeToo. 

Les trois temps du roman – l’arrivée des règles, l’entrée dans la sexualité, une aventure interdite – sont respectés, même si le film n’a rien d’obséquieux ni de figé par rapport au matériau original. Le travail sur la langue de l’autrice est logiquement minoré, pour une exploration chevillée au corps des états physiques et émotionnels de Solange, une héroïne qui se métamorphose sous nos yeux. Une tache de sang, un frisson féroce, une 1ère rencontre charnelle et un dérèglement : Tissot montre la brutalité de ce qui anime cette jeune fille ( jouée avec aplomb par Louisiane Gouverneur ), et cherche constamment la difficulté. Il n’élude rien. Solange est violentée, agressée, utilisée, et dans un mouvement presque parallèle, comme si elle vivait à la fois dans et en dehors de son corps, elle recompose à partir de ces moments traumatiques une trajectoire qui n’appartient qu’à elle.

Figure de Lolita

Face à la violence des hommes – un jeune amant beau causeur, un voisin bien plus âgé, fan de hard rock –, le portrait en mouvement d’une jeune fille en feu se dessine. On pense parfois à la fureur de Catherine Breillat, par-delà le bien et le mal, même si la méthode employée par le cinéaste se situe aux antipodes de celle de la réalisatrice d’Une vraie jeune fille. Maryam Muradian a tenu le rôle de coordinatrice d’intimité sur le tournage, répétant et chorégraphiant les nombreuses scènes de sexe avec la jeune comédienne (majeure au moment du tournage) et ses partenaires. Cela donne le sentiment étonnant de vivre en direct une relation se construire entre celle qui est regardée et nous, spectateur·trices peu à peu inclus·e dans son processus intime. Le roman d’apprentissage, mille fois exploré, ne paraît plus emprunter des passages obligés mais mettre en scène des déflorations, de chaque côté de l’écran.

Dans son ultime mouvement, Clèves aborde, comme le livre, la pédocriminalité, dans une variation sur la figure de Lolita. Et c’est un peu comme si le film avait pris assez d’élan, assez de hauteur dans sa progression jusqu’à ce moment-là, pour que la force et la subtilité l’emportent sur les clichés ou l’exploitation. Solange reste finalement en nous comme une aventurière d’elle-même, une héroïne compliquée, sans qu’à aucun moment on ne puisse douter de la réalité de la violence qu’elle subit. Ce film étonnant méritait une sortie en salle, mais il est à découvrir sur Arte où il a été diffusé pour la 1ère fois en juin dernier et jusqu’au 7 septembre 2022.

Clèves de Rodolphe Tissot. Avec Louise Gouverneur. Sur Arte.tv.