Pourquoi il faut (re)voir “Mélo” d’Alain Resnais ?

En 1986, quand il se lance dans la réalisation de Mélo, son onzième long métrage, Alain Resnais a déjà réalisé un film d’amour deux ans plus tôt, un astre noir paranormal qui cause d’amour absolu et de mort, de résurrection et du poids du souvenir...

Pourquoi il faut (re)voir “Mélo” d’Alain Resnais ?

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En 1986, quand il se lance dans la réalisation de Mélo, son onzième long métrage, Alain Resnais a déjà réalisé un film d’amour deux ans plus tôt, un astre noir paranormal qui cause d’amour absolu et de mort, de résurrection et du poids du souvenir des absents (grand motif cher au cinéma de Resnais). C’est L’Amour à Mort. Dans ce huis clos âpre et suffocant, Resnais, artificier de génie, se livre à toute une gamme d’expérimentations sonores et visuelles et le film, nimbé de la musique atonale du compositeur Hans Werner Henze et entrecoupé de longs plans de neige hypnotiques, se vit comme une traversée du miroir, lente et douloureuse. Le film est présenté à la Mostra de Venise en 1984 puis sélectionné aux César, mais il est mal reçu par une partie de la critique.

Mélo contre L’Amour à Mort

“Mélo contre l’Amour à Mort” écrira plus tard François Truffaut. Et c’est en effet dans cette logique qu’Alain Resnais imagine Mélo, film d’amour mortifère toujours, mais cette fois-ci posé dans l’écrin chic d’un théâtre miniature aux décors de carton-pâte : un petit jardin de banlieue parisienne, un appartement bourgeois art déco… Un soir de juin 1926, Marcel (André Dussollier), violoniste émérite rend visite à son ami Pierre (Arditi) et fait la connaissance de sa compagne Romaine, dite Maniche (Sabine Azéma), eux aussi tous deux musiciens. Lors d’une douce soirée d’été, où brillent les étoiles et règne le silence qui laisse aller les confidences, c’est un double ravissement qui s’opère. Alors que Marcel, dans une impressionnante séquence de monologue, fait le récit de la découverte de l’adultère de celle qui fut sa bien-aimée, Romaine, sublime héroïne, femme enfant qui porte la gaieté et la tristesse du désespoir, spectatrice de cette histoire comme nous le sommes de la sienne, tombe amoureuse. C’est la rencontre d’une femme qui s’ennuie, qui voudrait que l’amour fasse plus mal que la douceur qu’on lui porte, et d’un homme qui vit au passé. C’est le début d’une passion dont on sent déjà frémir la fin. Car nous sommes bien ici dans une tragédie, écrite, à l’origine, par Henry Bernstein en 1929.

En adaptant cette pièce éponyme, Resnais est conscient du manque de considération voir du mépris dont fait l’objet le dramaturge français connu pour ses pièces de boulevard ; conscient aussi peut-être de l’incongruité à ce que lui, cinéaste étiqueté intellectuel, cérébral, ayant collaboré avec les plus célèbres auteur·rices du Nouveau Roman (de Marguerite Duras à Alain Robbe-Grillet), trouve là, une source d’inspiration. Pourtant, nul paradoxe dans cette rencontre des contraires. Resnais n’a jamais caché son appétence pour d’autres disciplines que la sienne, pour d’autres formes d’expression, pour le music-hall ou la bande dessinée et dans les dernières années pour les séries télé.

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Mélo est bien un mélodrame

Avec Mélo, il ouvre un nouveau chapitre dans son œuvre et dessine le début d’une ligne d’horizon plus claire, plus limpide dans sa filmographie. Le film se détache de ce processus de création qui l’a jusqu’à présent guidé et qui consiste à envisager chaque film comme un laboratoire formel, une machine poétique où fusent les inventions et les concepts, comme dans Je t’aime, Je t’aime et ses failles spatio-temporelles, Muriel ou le temps d’un retour et son apparence d’immense puzzle à recomposer ou encore Mon Oncle d’Amérique, tentaculaire fresque scientifique à la recherche de l’expérience humaine.

Fantaisiste et malicieux, bien loin de l’austérité qu’on lui a trop souvent, par erreur, accolée, Resnais avec Mélo joue de la transparence. Tout y est net, présenté dans sa plus humble représentation qui laisse apparaître les coutures de ce faux théâtre filmé. Le film s’ouvre sur de lourds rideaux rouges tandis que le générique imprime le nom des acteurs et des actrices sur un livre ouvert. Mélo est transparent jusqu’à son titre transparent lui aussi, aveu de l’intention du cinéaste : Mélo est bien un mélodrame, de ceux qui déchirent le cœur et laissent derrière eux une relique, un objet en guise de souvenir, le vestige d’un amour. C’était une lettre dans Thé et Sympathie, un châle dans Elle et Lui, c’est ici un pétale de rose caché entre les pages d’un agenda. « De vieux souvenirs, c’est de la joie d’autrefois » dit au début du film André Dussollier en se remémorant le passé. Tourné en une vingtaine de jours, le film est à la fois d’un minimalisme cristallin et d’une extrême sophistication. Il annonce les films à venir de Resnais, ceux qui joueront aussi sur un principe de rétention et d’artifices, dans une stylisation de chaque détail et instant – sept ans plus tard, Smoking No Smoking constituera le point d’orgue de cette méthode.

Mathématicien du désir

Mais on le sait, Resnais est un joueur qui aime les fausses pistes et les secrets. La simplicité apparente, la transparence des enjeux de Mélo comme de son dispositif naïf n’en font pas moins un objet d’une folle complexité. Car sous la linéarité de sa chronologie, la succession fluide de ses longues séquences, construites comme des blocs de temps et de paroles étirées jusqu’à l’épuisement, Mélo est à bien des égards un grand film cérébral, un film de schémas amoureux, de mathématicien du désir. Resnais y déploie une mise en scène aérienne faite de lents et longs mouvements circulaires (la scène du monologue du début), jouant des profondeurs de champ, des regards échangés ou esquivés, comme autant de trompe-l’œil pour cacher une vérité (que des larmes finiront par dévoiler), ou préserver un mensonge. Dans Mélo, les histoires de passions amoureuses et de triangulation du désir circulent comme des électrons libres. Il y a d’abord l’histoire qui se joue entre Marcel, Pierre et Romaine. Mais il y a aussi, celle que fait exister, en arrière- plan, le personnage de Christiane joué par Fanny Ardant, cousine discrète, secrètement amoureuse de Pierre. De ces multitudes de courants contraires qui s’attirent et se repoussent, Resnais tisse une mosaïque humaine, un réseau de connections et de contradictions où se percutent des dilemmes moraux, la jalousie, l’ambition professionnelle, le sacrifice de soi, la souffrance qui réchauffe et la douceur qui anesthésie, l’amour qui rend malade et celui qui guérit.

Dans le fond Mélo ne cause de ça, de quête de soi, de désirs contraints ou au contraire, consumés. C’est un grand film de parole, tout y fait pour qu’elle occupe le centre de la pièce, pour que la langue Bernstein sonne comme une langue sans âge, intemporelle. Dans cet art du causer, Azéma, Dussolier et Arditi, âmes tout à la fois entourées, aimées mais profondément anxieuses et solitaires (fatalité de l’existence nous dit le film), sont brillant·es dans leurs douleurs comme dans leurs joies. Fausses pistes et secrets toujours chez Resnais…

Mélo est un film de prétexte : un film de musique sans mélodie, un film d’amour sans sexe, un film de mort sans cadavre. Ce qui intéresse Resnais ce sont les coulisses. Il ne garde que l’avant ou l’après, le commentaire de ce qui a été ou de ce qui sera.

Mélo de Alain Resnais, disponible sur mk2 Curiosity

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