Pourquoi il ne faut pas manquer la soirée Sautet sur Arte
Un Cœur en hiver raconte, comme plusieurs films de Sautet, l’histoire d’une femme attirée par deux hommes. C’était déjà le sujet de César et Rosalie (Romy Schneider aimait à la fois Yves Montand et Sami Frey), Max et les Ferrailleurs (Schneider...
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Un Cœur en hiver raconte, comme plusieurs films de Sautet, l’histoire d’une femme attirée par deux hommes. C’était déjà le sujet de César et Rosalie (Romy Schneider aimait à la fois Yves Montand et Sami Frey), Max et les Ferrailleurs (Schneider toujours, tiraillée entre Bernard Fresson et le blafard et torturé Michel Piccoli), etc.
Quand il réalise Un Cœur en hiver, Sautet a changé de période. Pourquoi ? Romy Schneider est morte, et quelques semaines plus tard, Patrick Dewaere, qui avait joué dans Le mauvais fils, met fin à ses jours. Garçon ! a été un échec sur tous les plans (mésentente avec Montand, l'impression de se répéter). Pour la seconde fois de sa carrière, Claude Sautet marque une pause dans une carrière de cinéaste qui ne le satisfait plus. La première fois, c'était juste après ses deux premiers, films, deux films noirs plutôt pas mal mais qui n'avaient pas bien marché. Sautet se cherchait, et s'était trouvé dans Les Choses de la vie, un roman de Paul Guimard.
Une nouvelle équipe
Sautet, pendant cette deuxième pause, a recommencé à "réparer" les scénarios des autres. Il a quitté Paris. Cinq années passent ainsi. Il a dépassé la soixantaine. Hésite à prendre sa retraite.
Un jeune producteur, Philippe Carcassonne, lui propose en 1987 de tourner un nouveau film, en changeant complètement d'équipe, et Sautet, qui ne rêvait que de ça (il l'explique très bien dans le beau documentaire d'Amine Mestari qui est diffusé ce soir en complément de soirée), mais n'en avait pas le courage, accepte. Pour le scénario, Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre succèdent à Jean-Loup Dabadie ou Claude Néron, deux des scénaristes fétiches de sa deuxième période.
Sautet, s'il peine à retrouver la relation singulière avec une actrice qui était la sienne avec Romy Schneider, trouve une nouvelle source d’inspiration dans sa rencontre avec Daniel Auteuil, étoile montante du cinéma français depuis qu'il a triomphé dans Jean de Florette et Manon des sources de Claude Berri.
Le cinéma va en être changé, et ses trois derniers films sont sans doute ses films les plus intimes, les plus beaux et les plus douloureux. Il y exprime une souffrance terrible, à travers des personnages masculins qui éprouvent une grande difficulté à exprimer leurs sentiments qui confine à la folie. Pire, en fait : ont-ils encore des sentiments ?
https://www.youtube.com/watch?v=XxaZR72R7fk
Ce type de personnage ne vient pas de nulle part, il rôde dans le cinéma de Sautet depuis ses débuts. Il est déjà apparu, de façon impressionnante, dans Max et les Ferrailleurs, où Piccoli, flic taiseux et mal à l'aise, drague et manipule une prostituée (Schneider) pour qu'elle pousse son homme et ses potes, de petits délinquants minables, à commettre un hold-up qui terminera évidemment mal. Piccoli le manipulateur assez pervers, pète les plombs quand il se rend compte que Schneider va se retrouver impliquée dans l'affaire. Parce que des sentiments qu'il ignorait avoir soudain l'ont dépassé, lui. L'ont débordé.
Le premier film que tourne Sautet pour Carcassone et avec Auteuil est Quelques jours avec moi. C'est un film de transition. Un jeune homme d'affaires qui dirige la boîte familiale de grande distribution sort d'un séjour en maison de repos. Burn out. Il y lit des livres d'Henri Michaux, dont Plume. Voilà un type qui n'est plus le même qu'avant, manifestement.
Pressé par sa mère de revenir aux affaires, il accepte de se lancer dans une tournée des magasins qui semblent battre de l'aile. Il commence par Limoges, où, sans pincettes, il se livre à un farcesque démontage de la petite bourgeoisie de province, principalement incarnée par Jean-Pierre Marielle, directeur de magasin qui se met de l'argent dans sa poche en cachette. Jamais Sautet n'avait poussé la comédie aussi loin. Mais le film n'est pas une totale réussite. Il n'en demeure pas moins que son personnage principal lit du Michaux, chose singulière dans le cinéma de Sautet, où on lit peu, en tout cas pas de poésie. On n'a jamais vu Auteuil comme ça.
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Un Cœur en hiver
Un Cœur en hiver, exacerbe encore la folie rentrée de son personnage masculin principal, dont le mal prend même une ampleur métaphysique, le scénario prenant bien garde de ne jamais l'expliquer psychologiquement. Sautet a aussi retrouvé une actrice, une grande actrice, digne de Schneider, qui jouera aussi dans son prochain et dernier film : Emmanuelle Béart. Violoniste prodige, elle fait appel à l'atelier de lutherie que dirige et possède le séducteur André Dussolier mais dont le maître d'ouvrage est le chaste et discret Daniel Auteuil. Une liaison naît entre Dussolier et elle. Auteuil reste là, tapi dans l'ombre. Personnage blafard, sans sexualité apparente, solitaire, passionné de jouets mécaniques, il semble avoir rompu avec l'humanité. Sinon qu'il sait manier comme personne l'âme des violons (cette petite pièce de bois située à l'intérieur du violon et dont l'emplacement est essentiel au son de l'instrument). Il va d'abord jouer avec Béart, la séduire méthodiquement, sans en avoir l'air. Elle succombe à son charme mystérieux. Quand elle lui avoue son désir, il la rejette avec une cruauté incroyable. Auteuil sourit du début à la fin du film, ses yeux brillent tout le temps, comme s'il était toujours au bord des larmes. Il est blanc comme un vampire.
La force du film réside dans l'opacité de ce personnage qui semble s'être détaché du monde, de l'humanité. On comprend bien, aux derniers plans du film, qu'il comprend qu'il a laissé passer quelque chose, mais au fond, ne sait-il pas qu'il se réparera lui aussi, parce qu'on peut toujours réparer un violon. Alors pourquoi pas un être, un être humain, serait-il soi ?
Il y a dans Un Cœur en hiver, l'idée terrible que les hommes (pas les femmes) peuvent devenir indifférents à tout. Jusqu'à ne plus être que des individus insensibles. Le vide, la vacuité les guettent, les menacent sans cesse. Sautet assèche son cinéma, des plus classiques, pour atteindre à l'essentiel, l'abstraction, toucher le dur.
Travail qui atteindra son apogée dans Nelly et M. Arnaud, avec un Michel Serrault époustouflant de maîtrise de son art, sosie physique assumé (il portait une perruque) de Sautet. C'est le dernier film de Sautet, qui meurt un lustre plus tard, alors on le dit testamentaire. Mais il peint encore une fois la peur de l'indifférence, la pulsion de mort, l'attrait encore, parfois, pour la beauté des femmes, le désir et sa vanité. Et puis il y a cette scène où Serrault, ancien haut fonctionnaire devenu un homme d'affaires implacable, a un jour essayé de détruire un homme, qu'il entretient d'ailleurs aujourd'hui, sans doute par remords (le modianesque personnage que joue Michael Lonsdale). Sautet montre aussi combien, dans notre société, il est difficile, pour une jeune femme, de ne pas sentir et se méfier de l'attrait qu'elle inspire aux hommes. Enfin, il y a ce plan extrêmement troublant, extrêmement étrange, qu'Auteuil aurait pu jouer dans Un Cœur en hiver, où Serrault regarde Béart dormir, à moitié nue, lui assis au bord du lit, tout habillé. Il passe alors sa main au-dessus de son corps nu, comme une caresse sans contact, une passe de radiesthésiste. Elle se réveille, le voit, mais ne proteste pas. Il s'en va.
Soirée Claude Sautet, le mercredi 3 mars sur Arte : Un Cœur en hiver de Claude Sautet à 20h50 et Claude Sautet : Le calme et la dissonance d'Amine Mestari à 22h40. Egalement sur artev.tv jusqu'au 1er mai.
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