Pourquoi il ne faut surtout pas manquer la ressortie de “Francisca” de Manoel de Oliveira

Au 1er plan de Francisca, un flashforward sublime, une aristocrate lit une lettre de condoléances. Une fois. Deux fois. La même, filmée différemment, comme pour prévenir que nous entrons à la fois dans une tragédie et dans une expérience. Une...

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Au 1er plan de Francisca, un flashforward sublime, une aristocrate lit une lettre de condoléances. Une fois. Deux fois. La même, filmée différemment, comme pour prévenir que nous entrons à la fois dans une tragédie et dans une expérience. Une tragédie, car la femme dont il est question est l’héroïne d’un triangle amoureux ravagé, scruté avec malice et dureté par l’un des plus grands cinéastes de la fin du XXe siècle, le Portugais Manoel de Oliveira, décédé en 2015 à l’âge de 106 ans. Une expérience, car dans cette adaptation du roman Fanny Owen de sa compatriote Agustina Bessa-Luís, qui clôt une tétralogie sur les amours frustrées, Oliveira atteint un sommet dans le lyrisme froid, d’une beauté renversante.

Capable de tutoyer le théâtre, la peinture, la littérature et la musique, à la fois plein d’ironie et parfaitement frontal, ce film sorti en 1981 a fait claquer des fauteuils. Ce sera probablement le cas lors de cette ressortie en copie neuve. Trop de fixité, de costumes serrés, pas assez de naturel. Et pourtant. L’austérité de Francisca fait sa grandeur, mais aussi sa folie.

“Sans les hommes et leur caractère, tout irait beaucoup mieux”

Alors que les personnages, des dandys du XIXe siècle fans de Byron, échangent leurs vues sur l’amour et des questions aussi essentielles que la définition de l’âme, ils ne parviennent ni à se toucher ni à se regarder. Ils partagent l’espace des plans sans se croiser vraiment, prenant à témoin la caméra. Les mots semblent leur échapper et provoquer le chaos. Des vibrations étranges résonnent dans chaque recoin de l’image, comme des montées d’acide esthétiques d’une modernité absolue.

“Nous vivons déchirés, à la recherche de nos corps dispersés sur la terre”, déclare un personnage dans un moment saisissant. Et puis, il y a Fanny, dite Francisca, une romantique qui s’entend dire des horreurs par ceux prétendant l’aimer. Elle tentera de mettre le monde et les sentiments en ordre, en vain. “Sans les hommes et leur caractère, tout irait beaucoup mieux”, lui avait confié une amie.

 

Francisca de Manoel de Oliveira, avec Teresa Menezes, Diogo Dória, Mário Barroso (Port., 1981, 2 h 47, reprise). En salle le 12 juillet.