Pourquoi le second tour de l'élection présidentielle 2022 est en train d'évincer le 1er

“Au 1er tour on choisit, au second on élimine” révélait l’adage politique. Ce temps semble bel et bien révolu et les élections présidentielles semblent désormais ne comporter qu’un tour décisif: le 1er en 2017, qui valait à coup sûr victoire...

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Les supporters d'Emmanuel Macron fêtent sa victoire contre Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle 2017 au Louvre, le 7 mai 2017. (Photo by Patrick Aventurier/Getty Images)

“Au 1er tour on choisit, au second on élimine” révélait l’adage politique. Ce temps semble bel et bien révolu et les élections présidentielles semblent désormais ne comporter qu’un tour décisif: le 1er en 2017, qui valait à coup sûr victoire finale pour celui qui accompagnerait Marine Le Pen au second tour; et a priori, dans une saisissante inversion des rôles, le second en 2022, qui surdéterminera le choix de 1er tour en fonction de la capacité des candidats à s’imposer dans le duel final face à Marine Le Pen… et Emmanuel Macron.

Fin janvier, la publication d’un sondage Harris indiquait qu’Emmanuel Macron avait vu son avance fondre comme neige au soleil dans un duel supposé avec Marine Le Pen. Le président sortant était ainsi donné au coude-à-coude avec la candidate du RN (52-48). Moins de quatre ans auparavant, il l’avait pourtant largement emporté (66-34). Mais déjà le signal d’alerte avait retenti: la participation au second tour de 2017 était tombée à 74,56%, son plus faible total depuis plus de 50 ans, et plus encore Emmanuel Macron avait été élu en ne recueillant à cette occasion les suffrages que de 43% des inscrits, là où Jacques Chirac, dans une situation similaire, disposait quinze ans plus tôt d’une assise de 65% du corps électoral.

 

Ce n’est plus le 1er tour mais le second qui fait l’élection et qui définit le vote utile.

 

Quelques semaines plus tard, le 17 mars, un sondage Ifop pour Marianne donnait même Marine Le Pen gagnante face à Anne Hidalgo (51-49). Le même institut complétait le panorama le 11 avril avec une enquête pour le JDD qui confirme et approfondit la tendance: non seulement Marine Le Pen semble résister aux candidats de droite (45-55 face à Valérie Pécresse, 41-59 face à Xavier Bertrand), mais Emmanuel Macron reste sous la menace (46-54) et les différents candidats testés pour la gauche sont donnés perdants face à la candidate du RN (Jadot 47-53, Mélenchon 40-60!) ou au mieux arrachant un très incertain 50-50 (Hidalgo).

Alors bien sûr, en 2017 déjà, ou plus exactement en 2016, le chantage au RN avait été utilisé pour tenter de faire advenir le favori n°1 des bien-pensants, Alain Juppé. Souvenons-nous ainsi qu’en avril 2016, selon un sondage Elabe, Marine Le Pen était estimée entre 23 et 28,5%. Par effet rebond, Alain Juppé, fort de 36 à 39%, était promu vainqueur avant la ligne par le landerneau médiatique, Nicolas Sarkozy étant disqualifié du haut de ses 23% estimés. On sait ce qu’il advint in fine. Mais retenons que l’artifice utilisé et le score de Marine Le Pen étaient ceux du 1er tour et visaient à départager les candidats d’un même camp (ici de droite) lors de ce même 1er tour.

Le 1er tour, quoique soumis à la pression sondagière, avait donc encore son autonomie propre, comme il l’avait eu par le passé, et s’avérait déterminant. Soit qu’un camp était largement dominant et que le 1er tour visait donc à savoir quel serait le héraut de celui-ci. Ce fût le cas en 1995 où la victoire de la droite était acquise et où l’enjeu de l’élection se trouvait dans le choix de son représentant au 1er tour, Jacques Chirac ou Edouard Balladur. Soit que le rapport de force du 1er tour portât en lui une valeur dynamique décisive pour le résultat final dans le cadre d’un duel gauche-droite: ce fût le cas en 1988 où le niveau de sortie de François Mitterrand au soir du 1er tour (34,1%) régla la question du second tour, ou en 2007 quand les 31,2% des voix au 1er tour de Nicolas Sarkozy affirmaient sa victoire quinze jours plus tard. En 2012, seul le discrédit du sortant et la médiocrité (déjà) de la campagne d’entre-deux tours de François Hollande ménagea un semblant de suspense après qu’il a récolté 28,2% des suffrages lors du 1er tour.

Cette fois, dans un renversement copernicien de perspective, ce sont les résultats supposés de second tour qui s’invitent à la table du 1er tour: le choix initial des électeurs pourrait ainsi s’effectuer au prisme de ce que serait la capacité du candidat à même de l’emporter face à Marine Le Pen, mais aussi face à Emmanuel Macron. Ce n’est plus le 1er tour mais le second qui fait l’élection et qui définit le vote utile: en 2017, celui qui paraissait pouvoir se qualifier au 1er tour remportait l’élection; en 2022, celui qui apparaît comme capable de gagner le second tour sera qualifié par les électeurs lors du 1er tour.

Ce possible bouleversement des pratiques électorales porte bien sûr en lui une dimension structurelle. Après que l’élection présidentielle a sombré avec l’inversion du calendrier électoral dans la monarchie présidentielle, les élections législatives vassalisant l’Assemblée derrière celui auquel les députés de la majorité doivent leur élection; après que le mouvement des Gilets Jaunes nous a mis sous les yeux le hiatus de légitimité, entre d’un côté une légitimité élective, réelle, et une légitimité populaire, non moins réelle parce que permanente et inaliénable; après que l’affaissement du consentement s’en soit évidemment ressenti, l’abandon de l’autonomie du 1er tour marquerait une fracture démocratique majeure, le scrutin présidentiel devenant une élection par défaut, qui ne permet plus ni de trancher les grandes questions structurantes de la vie en commun, ni de choisir celui ou celle à même de les porter au mieux.

 

L’abandon de l’autonomie du 1er tour marquerait une fracture démocratique majeure, le scrutin présidentiel devenant une élection par défaut.

 

Mais il est aussi le fruit de l’échec, et donc du rejet de l’existant. Ainsi, interrogés début février, si 67% des Français prévoyaient selon l’Ifop un duel Macron-Le Pen au second tour, 70% n’en voulaient pas! La combinaison de ces deux scores indique tout à la fois la pesanteur d’un vote que l’on ressent comme imposé, mais aussi l’incapacité à s’y soustraire faute d’offre politique satisfaisante: le 1er tour de 2022 tel qu’il se présente en l’état, c’est-à-dire peu ou prou sous la forme d’une réédition de 2017, n’offre en effet pas la possibilité de venir bousculer la hiérarchie établie. Les sondages de 1er tour décrivent un paysage politique figé parce qu’inadapté en ce qu’il ne propose au citoyen qu’un match retour d’une élection passée, les mêmes candidats dans les mêmes couloirs, et non une offre politique à même de retranscrire les ruptures qui ont émaillé le quinquennat. Forts de ce constat, et pour rompre avec la réédition d’un duel Macron-Le Pen, les Français risquent de faire l’impasse sur le 1er tour et d’adapter dès celui-ci leur choix en fonction du second. Le piège est d’autant plus dangereux pour la gauche qui, outre un affaiblissement du bloc idéologique qu’elle représente (qui ne pèse plus électoralement qu’autour de 25% des intentions de votes là où il atteignait 45% à la veille de 1981 ou encore plus de 40% en 2012), souffre d’un très mauvais report de voix en son sein. Sa victoire finale apparaissant des plus hypothétiques, elle s’en trouve mécaniquement affaiblie dès le 1er tour et n’apparaît plus en tant que telle comme un prétendant au second tour. La boucle est bouclée.

Si alternative il doit y avoir, elle ne peut reposer que sur la construction d’une majorité populaire qui transcende les calculs électoraux de 1er et de second tour pour sortir de l’étau du chantage de cette présidentielle, en même temps qu’elle porterait une promesse de refondation populaire et une perspective de reconstruction au pays. Ou pour le dire autrement, qu’une candidature nouvelle assume enfin de rompre avec la servitude électorale au profit de la souveraineté populaire et de l’intérêt général.

 

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