Pourquoi les athlètes remportent-elles moins de médailles que les hommes - BLOG

SPORT - Les JO de Tokyo accueillent presque 49% d’athlètes femmes, toutes nationalités confondues, un record. Et la parité devrait être tout à fait atteinte aux prochains jeux, en 2024, à Paris. Enfin, la parité… dans la participation. Celle...

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CHIBA, JAPON - 26 JUILLET 2021 : L'athlète française Manon Brunet pose avec sa médaille de bronze lors de la cérémonie de victoire après l'épreuve d'escrime au sabre féminin qui s'est tenue au centre de convention Makuhari Messe de la ville de Chiba dans le cadre des Jeux olympiques d'été de 2020. Valery Sharifulin/TASS (Photo par Valery Sharifulin\TASS via Getty Images)

SPORT - Les JO de Tokyo accueillent presque 49% d’athlètes femmes, toutes nationalités confondues, un record. Et la parité devrait être tout à fait atteinte aux prochains jeux, en 2024, à Paris. Enfin, la parité… dans la participation. Celle relative aux performances est encore largement hors de portée, du moins en France. Ainsi, tous sports confondus et proportionnellement au nombre de sélections, les Françaises ont remporté 1,7 fois moins de médailles que les Français sur les trois dernières éditions des Jeux olympiques d’été (Pékin 2008, Londres 2012 et Rio 2016).

Or la France est la seule nation parmi les neuf meilleures –Chine, États-Unis, Grande-Bretagne, Russie, Allemagne, Corée, Italie, Australie– à présenter une telle sous-représentation de médaillées. Le constat est particulièrement évident en athlétisme: sur ces mêmes trois événements, les hommes ont remporté cinq fois plus de médailles que les femmes!

Différence de médailles entre les hommes et les femmes : un score négatif indique moins de médailles pour les femmes.

Ces chiffres sont issus de recherches menées par des sociologues, dans le cadre d’un partenariat avec l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) et sous l’égide de la Fédération française d’athlétisme. La FFA avait en effet identifié cette différence de résultats entre ses sportifs et ses sportives et avait donc un double objectif : d’une part, vérifier que ce constat de terrain était bien statistiquement établi. Et d’autre part, si tel était le cas, comprendre quels éléments pouvaient expliquer cette différence.

Une enquête de haut niveau

Comme le révèlent les chiffres cités précédemment, les conclusions de l’analyse statistique sont sans appel. La 1ère partie du contrat étant honorée, restait à savoir d’où venaient ces différences de performances. Pour répondre à cette question, ce ne sont pas les spécificités entre les hommes et les femmes qui ont été étudiées, mais plutôt les paramètres qui permettent de performer et, parmi eux, ceux contribuant au décalage dans les performances des sportifs et des sportives. 

Différence de médailles entre les hommes et les femmes en athlétisme.

Trente athlètes français de haut niveau (15 hommes et 15 femmes) et 22 acteurs gravitant autour d’eux (entraîneurs, cadres fédéraux, acteurs du secteur privé…) ont été entrevueés. Cet échantillon est assez exceptionnel puisque les meilleurs athlètes français (ceux qui ont rapporté le plus de médailles aux Jeux olympiques, Championnats du monde et Championnats d’Europe) y sont représentés, ainsi qu’un large panel d’acteurs qui coconstruisent avec eux l’athlétisme en France. Il en est ressorti plusieurs observations majeures dont trois particulièrement importantes.

Premier défi: capitaliser sur la performance

D’abord, rappelons qu’en athlétisme, il est difficile pour un athlète, quel que soit son genre, de transformer les performances sportives en performances économiques. Remporter une médaille ne suffit en effet pas à assurer la pérennité d’une carrière.

Stabiliser ses revenus demande des compétences sur la gestion du statut d’entrepreneur libéral, ce qui manque parfois dans l’apprentissage du métier de sportif de haut niveau. Ainsi, sur les 30 athlètes interrogés, 16 seulement bénéficient d’une stabilité économique dans le temps, leur permettant de se consacrer pleinement à leur carrière avec sérénité. Parmi eux, cinq hommes sont de multiples médaillés et/ou suffisamment médiatisés pour bénéficier de sponsors assurant des revenus stables. 11 autres (sept femmes et quatre hommes) cumulent des aides fédérales à des partenariats privés, et s’appuient également si nécessaire sur les revenus de leur conjoint. Les 14 athlètes restants sont quant à eux dans une situation plus précaire.

Or l’enquête révèle que lorsqu’il s’agit de capitaliser sur ses performances, la question du physique est beaucoup plus importante chez les femmes que chez les hommes. Cela peut poser problème, surtout lorsque les sportives ne correspondent pas aux standards de beauté normatifs. Il y a ainsi un paradoxe entre l’exigence de la performance, qui impose aux femmes d’accepter des transformations corporelles ou des changements de “féminité”, et l’obtention de contrats de partenaires privés, qui dépend fortement de l’image de “féminité traditionnelle”.

Deuxième défi: gérer son image en ligne

Cette difficulté peut se cumuler avec une deuxième observation majeure: gérer son image sur les réseaux sociaux n’est pas chose aisée. Sportifs et sportives ne sont pas toujours préparés à cette activité, pourtant devenue presque incontournable. D’autant que le montant des contrats avec les partenaires privés peut dépendre en partie du nombre de “followers” de l’athlète.

Hommes comme femmes manquent de compétences et de formation dans ce domaine, mais en plus, les secondes ont tendance à être surexposées sur les réseaux sociaux. Ce qui peut être à double tranchant. Pour celles qui ne correspondent pas aux standards de la “féminité traditionnelle”, cette nouvelle médiatisation peut devenir une source de pression supplémentaire. En revanche, pour les sportives qui savent construire leur image et adapter leur communication aux attentes de la société, les réseaux sociaux peuvent être une opportunité pour capter certains contrats financiers, par exemple, dans le domaine du bien-être, de la santé, du fitness, etc. En résumé? Si globalement ce “marché athlétique” n’est pas à l’avantage des femmes, il ne faut cependant pas nier la capacité “d’empowerment” de certaines d’entre elles lorsqu’elles en ont l’opportunité.

Troisième défi: la parentalité

Enfin, l’étude fait émerger un troisième constat majeur: le rapport des sportifs et des sportives à la parentalité est différent. Parmi les 30 sportifs interrogés, six sont pères et cinq sont mères. Les pères font tous partie des meilleurs athlètes et quatre d’entre eux estiment que la paternité n’est pas incompatible avec le sport de haut niveau, voire, au contraire, peut représenter une force supplémentaire. Elle est aussi, parfois, source de pression, puisque ces sportifs apportent la majeure partie des revenus de leur foyer, alors que la grande majorité des mères s’appuie sur les revenus de leur conjoint ou de parents. Pour les deux meilleures athlètes parmi les mères, la maternité est aussi envisagée positivement, à condition d’être programmée et qu’elles aient l’assurance d’un soutien de la part de leurs partenaires privés.

En revanche pour sept sportives, dont deux mères, la maternité est incompatible avec la carrière sportive de haute performance et est ainsi envisagée en fin de carrière. L’étude démontre donc que des sportives sont prêtes à faire le deuil de la maternité au nom de la performance.

Or un tel sacrifice est-il indispensable? Le handball féminin s’est doté d’une convention collective pour assurer le salaire des joueuses professionnelles pendant un an lors d’une grossesse. Et la Fédération internationale de football cherche à créer un congé maternité pour les footballeuses professionnelles. De son côté, d’après nos informations, la FFA compte s’appuyer sur cette enquête pour mettre en place plusieurs mesures visant également à faire évoluer les pratiques et les représentations des femmes dans le sport.

Et du côté des solutions?

La 1ère étape va consister à intégrer, dans l’ensemble des formations de la Fédération, des modules spécifiques reprenant les résultats de cette étude. L’objectif est de susciter des réflexions complémentaires chez les entraîneurs sur la façon de prendre en compte toutes les spécificités d’un individu, y compris son genre. Avec un équilibre à trouver: ne pas renforcer les stéréotypes, mais ne pas nier les spécificités. Un an de travail va ainsi être consacré à finaliser la transmission du rapport et à organiser les modules de formation.

Mais il ne s’agira pas de s’arrêter là. La FFA réfléchit aussi à déployer un système de mentorat pour permettre à des femmes leaders d’accompagner leurs consœurs sportives, ou encore à renforcer et systématiser des formations spécifiques aux réseaux sociaux pour les athlètes. Elle va également proposer des mesures incitatives pour encourager les femmes à passer des diplômes d’entraîneur, en particulier de haut niveau: en effet plus le niveau de certification monte, moins les femmes à s’y présenter sont nombreuses.

L’athlétisme, bien que sport mixte, reste encadré très principalement par des hommes, et il faudra là encore comprendre pourquoi. Cette recherche a ainsi fait émerger de nouvelles questions, dont il semble important de continuer à chercher les réponses. Avec l’objectif que l’équilibre ne se retrouve plus seulement dans la participation des sportifs et sportives français… mais aussi dans le nombre de médailles remportées.


a été écrit avec les contributions de Mathilde Julla-Marcy, Lucie Forté, Rémi Richard, Julia Elefteriou, Anaïs Sabot et Quentin Delarochelambert.

The Conversation

est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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