Pourquoi les César 2021 nous ont finalement semblé essentiels

A chaud, nous avions qualifié cette édition 2021 des César ainsi : “décevante” du point de vue du palmarès et “interminable et gênante” pour ce qui est du déroulement de la cérémonie, le tout en saluant l’action de Corinne Masiero, qui, on...

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A chaud, nous avions qualifié cette édition 2021 des César ainsi : “décevante” du point de vue du palmarès et “interminable et gênante” pour ce qui est du déroulement de la cérémonie, le tout en saluant l’action de Corinne Masiero, qui, on le rappelle, s’est dévêtue sur scène pour faire passer un message sur la précarisation des intermittent·es.

Pourtant, ce n’est absolument pas de l’attribution des prix à tel ou tel film dont il a été question dans les comptes-rendus au lendemain de la cérémonie – laquelle, comme l’ont relevé non sans enthousiasme certains commentateurs, n’avait pas fait un score d’audience aussi bas depuis plus de dix ans -, mais de politique. L’essentiel des articles, en première ligne ceux du Figaro, n’avait qu’une visée : affirmer que cinéma et politique n’avaient rien à faire ensemble.

Le journal estampillé à droite s’est lancé dans une vraie campagne contre les César. Le premier a avoir tiré a évidemment été Eric Neuhoff, qualifiant cette édition de pire cérémonie depuis sa création. Il a été suivi par Benjamin Sire, auteur d’une tribune sur le sujet, et par le directeur adjoint de la rédaction, Bertrand de Saint-Vincent, qui prétend que “le cinéma c’est du rêve”. Ainsi, pour lui, la soirée de vendredi dernier a relevé du cauchemar prenant la forme d’“un meeting de bobos gauchistes” venus défendre leur causes, “des intermittents aux migrants, des pesticides à l’islamo-gauchisme, d’Adama Traoré et George Floyd”.

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Attaques de la droite et du gouvernement

Dans ce sillage, des personnalités de droite comme Eric Ciotti et Nadine Morano sont à leur tour sorti du bois pour attaquer la cérémonie. Enfin, le magazine d’extrême droite Valeurs actuelles s’en est également pris au discours de Jean-Pascal Zadi (l’acteur et réalisateur a évoqué Adama Traoré et Michel Zecler), tout en donnant la parole à un policier présent sur place afin d’assurer la sécurité de la cérémonie, lequel, d’après l’article, aurait mal pris les discours des personnalités sur scène.

Le désaveu est aussi venu du gouvernement, fortement égratigné pendant la soirée. Ce sont les deux principales personnalités visées qui se sont exprimées. Jean Castex a estimé sobrement “qu’il y a eu des cérémonies, peut-être, de meilleure tenue” tandis que Roselyne Bachelot a carrément affirmé sur RTL : “Je crois qu’elle (la cérémonie des César) n’a pas été utile au cinéma français (…) Le côté meeting politique de cette affaire a nui au cinéma français.”

Mais le pire était encore à venir. Mercredi, dix parlementaires, membres du collectif Oser la France, classé à droite, ont adressé un courrier au procureur de la République de façon à l’interpeller sur “l’exhibition sexuelle” de Corinne Masiero : “(Elle) s’est totalement déshabillée, imposant sa nudité, d’une part, au public physiquement présent dans la salle de spectacle et, d’autre part, aux téléspectateurs de l’émission (…) Dans ces conditions, dix parlementaires ont opéré un signalement au procureur de la République à propos de cette démonstration déroutante de Madame Masiero.” Selon, eux, “même si la liberté d’expression autorise une certaine forme d’expression corporelle (…) elle ne saurait tout justifier”.

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Misogynie et puritanisme

Cette campagne de dénigrement des César opérée par la droite et le gouvernement est d’une telle ampleur que plus la semaine s’est écoulée, plus notre sympathie pour ces César 2021 a grandi. Ces attaques témoignent d’abord d’une totale méconnaissance de l’histoire des César puisqu’ils sont depuis toujours une tribune politique pour la profession, de la lecture d’un extrait des Versets sataniques de Salman Rushdie par Isabelle Adjani en 1989 aux nombreux coups de gueules de Bacri, en passant par la vibrant plaidoyer de Pascale Ferran pour La Défense d’un cinéma d’auteur minoritaire en 2007. Mais la ministre de la Culture exprime aussi un étrange sens des priorités : le maintien de Dominique Boutonnat à la tête du CNC malgré une mise en examen pour tentative de viol et agression sexuelle nuit bien plus au cinéma français que les prises de position, de notre point de vue toutes légitimes, qui ont eu lieu sur la scène de l’Olympia vendredi soir. Enfin, l’avalanche de réactions déclenchée par l’apparition d’un corps de femme nu suinte la misogynie et le puritanisme. Les dix parlementaires en question interpellent-ils le procureur lorsqu’ils tombent peut-être sans l’avoir voulu sur une scène dénudée dans un film ? Le font-il à la vue d’une publicité pour une marque de lingerie ? Est-ce le fait que ce corps diffère de ceux stéréotypés généralement montrés à la télévision qui a déclenché une telle indignation ?

Dans un entretien donné à Mediapart, la comédienne nommé aux César en 2013 pour Louise Wimmer a déclaré : “Ce dont on parle plus, c’est de mes vieilles fesses en ruine et de mes nichons qui tombent (…) Cela révèle beaucoup de choses non ? On est bien dans une société patriarcale et sexiste (…) Moi, ma force, c’est d’être moche, et populaire et vulgaire, parce que vulgaire c’est ce qui vient du peuple. Et bien si ça vous gêne, posez-vos des questions messieurs dames.”

Si l’édition 2020 des César – qui, on le rappelle, a récompensé Roman Polanski dans la catégorie meilleure réalisation – avait déclenché un tollé, surtout à gauche, la 46e cérémonie des César a au contraire été particulièrement attaquée par la droite qui semble s’inquiéter d’une soi-disant récupération idéologique de la cérémonie. Cette vision de l’artiste comme sujet dégagé de la cité et dont la parole ne devrait pas excéder le cadre de son artisanat, cette idée que l’art se dévoierait en se mêlant de politique, est évidemment elle-même très marquée politiquement. C’est une vision archaïquement de droite, du côté de l’autorité, du contrôle. On ne s’étonne pas qu’elle soit portée une fois encore par l’infatigable Eric Neuhoff. On se désole qu’elle soit maintenant relayée par les membres du gouvernement, dont on attendrait un peu plus de hauteur de vue qu’une simple réponse piquée à vif par des critiques et interpellations.