Pourquoi “Mandibules” de Dupieux est le parfait film du déconfinement ?

Lorsque, au moment de la sortie du Daim (2019), on apprend que le prochain film de Quentin Dupieux aura pour bête d’affiche une mouche géante, on imagine déjà une comédie à tendance horrifique et pourquoi pas placée sous patronage cronenbergien....

Pourquoi “Mandibules” de Dupieux est le parfait film du déconfinement ?

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Lorsque, au moment de la sortie du Daim (2019), on apprend que le prochain film de Quentin Dupieux aura pour bête d’affiche une mouche géante, on imagine déjà une comédie à tendance horrifique et pourquoi pas placée sous patronage cronenbergien. Il n’en est rien. Mandibules, le huitième film de Dupieux (qui aurait dû sortir fin 2020 avant que le contexte épidémie ne pousse le gouvernement à ajourner la réouverture des salles), est l’exact opposé du délire paranoïaque et macabre à l’œuvre dans son précédent long métrage. Il s’agit même de son 1er film dont le récit est lavé de tout crime.

Si le réalisateur écrit à partir de son inconscient, il a visiblement ici puisé dans ses rêves plutôt que dans ses cauchemars, rêves dont la source se trouve dans la jeunesse du réalisateur et ses souvenirs de vacances passées sur la Côte d’Azur de la fin des années 1980. 

>> A lire aussi : Quentin Dupieux : “Je fais des films en fuite”

Minimaliste

On y suit les aventures de Manu et Jean-Gab, adulescents losers, marginaux sans le sou et vivant au jour le jour. Incarnés par le duo du Palmashow, les deux acolytes découvrent dans le coffre d’une voiture volée une mouche géante qu’ils se mettent en tête d’apprivoiser. S’ensuit une série de péripéties qui les mènent d’une caravane en feu à une villa avec piscine où ils sont invités à la suite d’un quiproquo. 

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’extrême limpidité du film, son aspect quasi cristallin. Quentin Dupieux y abandonne la complexification méta et l’humour à multiples degrés, jusque-là caractéristiques de son cinéma, au profit d’une épure et d’une économie de plans et d’effets qui donnent à Mandibules une tonalité minimaliste. Dupieux signe ici une comédie au cordeau. Ramassé comme ses précédents films sur une durée dépassant à peine l’heure et quart, elle se déploie sur une ligne claire, un enchaînement de situations se résolvant comme au fil de l’eau.

Fist bump

De ce dégraissement de son cinéma émergent des qualités de mise en scène déjà entrevues dans Le Daim, mais qui éclatent ici au grand jour – elles n’allaient pas de soi au regard de ses 1ers films. Dupieux, ce réalisateur qui a commencé sa carrière avec une comédie ovni, l’a poursuivie avec un film sur un pneu (Rubber)et une trilogie de comédies américaines absurdes et désarmantes (Wrong, Wrong Cops, Réalité), se révèle ici en cinéaste amoureux des acteur·trices et de l’harmonie rythmique.

Mandibules offre au duo de Palmashow et à Adèle Exarchopoulos un écrin parfaitement sculpté pour que s’y dépose leur génie comique respectif. Si on sent qu’il a fallu tailler dans les exubérances comiques de Grégoire Ludig et David Marsais pour que des personnages inspirés d’un de leurs sketchs tiennent sur un film entier, leur complicité crève l’écran et trouve une allégorie parfaite dans cette trouvaille du fist bump taureau qu’ils déclinent à toutes les sauces.

Bien que leur façon de s’approprier un espace qui n’est pas le leur puisse faire penser au duo de Funny Games d’Haneke (1997) – Mandibules est l’histoire de deux home invasions –, le pacifisme de Manu et Jean-Gab les renvoie plutôt au Dumb and Dumber des frères Farrelly (1994).

>> A lire aussi : “Garçon chiffon”, une merveille de mélancomédie

Révélation comique

A l’inverse, la partition d’Adèle Exarchopoulos – dont le talent comique est la révélation du film – obéit plutôt à une logique de surrégime. Elle incarne une jeune femme qui, à la suite d’un accident, est handicapée par un trouble du langage : elle ne peut s’exprimer qu’en parlant très fort. Cette atonalité, la seule du film, donne à Mandibules tout son relief et, bien qu’elle ne jaillisse qu’à partir de la seconde moitié du récit, fait de la performance d’Exarchopoulos le plus grand attrait du film. 

Aussi léger et bienfaisant qu’une brise estivale, Mandibules est un conte d’été en forme d’éloge de la candeur. Sa nostalgie pour la plastique des années 1980 (mélange de tons délavés, de pâté Ron Ron et de voitures d’époque) et sa musique faite d’un seul air de flûte de pan, composé par le leader de Metronomy, finissent de rapprocher cette ode à la crédulité joyeuse de La Chèvre de Francis Veber (1981), avec sa bande originale signée par Vladimir Cosma.

Et c’est à un autre film qu’on pense à la toute fin, réalisé par l’un des auteurs de chevet de Dupieux, Les Valseuses de Bertrand Blier (1974). Après avoir vanté les vertus de l’amitié, par antagonisme avec celles de l’argent, Manu dit à Jean-Gab une phrase qui rappelle la réplique culte que Depardieu prononce lui aussi à la fin du film :“Bah tu vois ouais, j’fais des grandes phrases parce que là j’suis avec mon pote, et putain, demain je sais pas ce qui va se passer tu vois, mais là putain j’suis bien quoi. Hein ?” Parenthèse de douce insouciance, Mandibules est un grand film hédoniste. Il arrive à point nommé pour accompagner le déconfinement tant attendu.

Mandibules de Quentin Dupieux, avec  David Marsais, Grégoire Ludig et Adèle Exarchopoulos (Fr., 2020, 1h17)

>> A lire aussi : “Deux”, de la romance lesbienne au drame quasi fantastique