Pourquoi on aimait Jean-Paul Belmondo (malgré tout)
Comme Belmondo (Audiard, Poiret, Varda, Chabrol), je connais bien le XIVe arrondissement de Paris (où je suis né), et précisément à Denfert-Rochereau, où Belmondo vécut une bonne part de son enfance et de sa jeunesse, près du cimetière Montparnasse....
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Comme Belmondo (Audiard, Poiret, Varda, Chabrol), je connais bien le XIVe arrondissement de Paris (où je suis né), et précisément à Denfert-Rochereau, où Belmondo vécut une bonne part de son enfance et de sa jeunesse, près du cimetière Montparnasse. Comme Belmondo, je jouais gardien de but, au foot. Là s’arrête l’analogie.
Belmondo devait être le petit clown de sa maman, qu’il aimait faire rire. Il devait être aussi ce qu’on appellerait aujourd’hui un enfant agité, hyperactif, alors il fit beaucoup de sports, mais pas n’importe lesquels : le gardien de but, c’est le footballeur qui flambe dans son costume aux couleurs différentes de celui des autres, et puis surtout la boxe (d’où le nez cassé).
C’est en cela vraiment qu’il se distingue des acteurs français des générations qui l’ont précédé, mais aussi dans la sienne : les copains du Conservatoire, Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Claude Rich, Michel Beaune, Pierre Vernier, OK, ils ont sans doute fait du sport, mais ça ne se voit pas dans leur jeu.
Belmondo était un danseur (un boxeur est un danseur). Jean-Pierre Cassel dansait lui, mais il était trop raide. Delon est musclé, mais il ne danse pas. Delon n’est pas un auguste. Gabin, qui ne dansait plus depuis les années 1930, encore moins. Même si tous trois, jeunes, portent une part de féminité, dont a ensuite hérité Depardieu. Cette féminité, Belmondo la porte admirablement dans La Sirène du Mississipi de Truffaut, ce film où la femme (Catherine Deneuve) mène la danse.
>> À lire aussi : Jean-Paul Belmondo est mortZébulon
L’agitation ontologique du corps de Belmondo, son côté Polichinelle, commedia dell’arte, prend parfois des proportions délirantes, voire abstraites : dans L’Homme de Rio (1964) ou Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965), Belmondo saute, court, plonge sur le côté, rebondit, se traîne dans la boue souvent sans aucune autre raison que celle du plaisir manifeste à le faire. Un zébulon.
Il y a en lui, dès À bout de souffle (1960) une décontraction qui tranche avec tous les acteurs français. On l’oublie souvent, mais c’est lui qui, consciemment ou non, influença les cinéastes américains des années 1970, ceux qui vont faire ce qu’on appelle aujourd’hui le Nouvel Hollywood.
Belmondo, c’est aussi une voix, qui quand elle est jeune n’a rien de grasseyante. Réécoutez-le lire L’histoire de l’art d’Elie Faure (“Vélasquez est le peintre des soirs”) dans sa baignoire dans Pierrot le Fou de Godard donne encore des frissons dans le dos. C’est sublime. Godard a toujours tout compris aux acteurs.
>> À lire aussi : Belmondo et la Nouvelle Vague en 7 rôles clésEt puis il a commencé à déconner. Même son ami Philippe de Broca (peut-être celui qui l’a le mieux filmé, avec Truffaut et Godard) avait fini par se fâcher avec lui : on dit que “Bébel” cabotinait tellement sur L’Incorrigible que le cinéaste, irrité (et facilement irritable) avait dû le couper au montage.
Pourtant, il y a 20 minutes sublimes dans L’Incorrigible, où Belmondo se livre à un numéro de Fregoli mythomaniaque qui va avoir raison de la très sérieuse Geneviève Bujold – et du spectateur·rice. Dans Le Magnifique, on retient le personnage fictif de Bob Saint-Clare, mais François Merlin, son médiocre créateur, est bien plus émouvant (on oublie souvent l’une des plus belles scènes du film : celle où il déjeune avec son fils ado).
Juillet 1983. Je viens d’avoir le bac, j’ai rendez-vous pour m’inscrire à la Sorbonne, mais le passage sous le métro aérien, entre Corvisart et Saint Jacques, sous la ligne 6 du métro, est bloqué par des rubans en plastique blanc et rouge inexplicables. Je jette un coup d’oeil à gauche et à droite, personne, pas un policier ni un vigile. Au loin, j’aperçois un groupe de gens qui ont l’air concentré sur une caméra – mais les Parisien·nes ne s’intéressent pas aux tournages des films qui leur cassent les pieds.
De mauvaise humeur, je passe sous le 1er cordon, je me relève et je me retrouve face à Jean-Paul Belmondo, que je n’avais pas vu – je ne comprends même pas d’où il est sorti. Je dois avoir l’air si surpris qu’il sourit. Je me suis excusé, il n’a rien dit, je suis passé.
Je me dis que comme tout le monde, il a besoin de solitude parfois, qu’il n’est pas que l’homme de bande que l’on décrivait et décrit toujours. Il était vraiment seul, là, sous le métro qui va entrer dans la station Corvisart. Loin des autres, de tout.
crac, crac, boum, boum
Je ne l’aime pas trop à l’époque. Dans la polémique qui a opposé un an plus tôt les défenseurs d’Une Chambre en ville de Jacques Demy et ceux de L’As des as (grosse daube) de Gérard Oury, qui veut tout écraser sur son passage en multipliant les écrans à sa gloire, je suis évidemment du côté de Demy. Depuis l’échec de Stavisky de d’Alain Resnais, au milieu des années 70, Belmondo ne fait plus que du film d’action un peu (de plus en plus) débile, dialogué par un Michel Audiard gâtifiant qui fait de plus en plus dans le cracra infâme.
Ses personnages sont trop sûrs d’eux, dépourvus du moindre doute. Le summum du ridicule est atteint dans Itinéraire d’un enfant gâté (qui lui vaut un César) de Lelouch, où un vieux type qui a fait fortune dans les motocrottes (!) apprend à un jeune (Richard Anconina) à avoir l’air sûr de lui. Une pure et déplorable leçon de machisme sévèrement burnée.
Avec mes parents, je l’avais vu jouer deux fois au théâtre (Cyrano de Bergerac et Kean) et je ne l’avais pas du tout trouvé flamboyant. Le public lui était acquis, il se reposait sur ses lauriers (je l’ai même vu rater une cascade totalement inutile au début d’une représentation – Robert Hossein ou Bernard Murat nous prenaient pour des cons, pensais-je). Et puis il forçait sa voix, alors on ne la reconnaissait pas.
Mais là, le type que j’avais croisé ne se la pétait pas. Il n’avait pas souri dans le genre : “Et oui, c’est moi, c’est Bébel, crac, crac, boum, boum”, non, il m’avait regardé avec sympathie et ne m’avait pas pris de haut.
Bonne nuit, petit clown du XIVe arrondissement.