Près de 50 ans après sa mort, deux livres nous éclairent sur l’héritage de Pasolini

Deux livres totalement différents dans leur forme et qui permettent pourtant de dessiner le portrait du même homme : Pier Paolo Pasolini (1922-1975), poète, écrivain, dialoguiste, cinéaste, polémiste et penseur italien dont l’œuvre demeure...

Près de 50 ans après sa mort, deux livres nous éclairent sur l’héritage de Pasolini

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Deux livres totalement différents dans leur forme et qui permettent pourtant de dessiner le portrait du même homme : Pier Paolo Pasolini (1922-1975), poète, écrivain, dialoguiste, cinéaste, polémiste et penseur italien dont l’œuvre demeure aujourd’hui irrécupérable.

Introduction à Pasolini

Pasolini par Pasolini est la 1ère édition en France des entretiens accordés à un journaliste anglais, Jon Halliday, à partir de 1968, et traduits, annotés et postfacés par l’un des spécialistes français de Pasolini, René de Ceccatty, auteur d’une biographie et de plusieurs ouvrages. Halliday interroge Pasolini sur sa vie et son œuvre. L’intérêt, pour qui ne connaît pas PPP, est que ce dernier a tout à fait conscience que les lecteurs anglo-saxons de la fin des années 1960 ne connaissent sans doute pas grand chose de lui et qu’il doit se montrer pédagogique, simple, direct.

Il y explique sa vie, son enfance, ses études, comment il s’est fait connaître en écrivant de la poésie dans la langue de ses ancêtres du côté maternel, le frioulan, comment il est “monté” à Rome, est devenu enseignant, romancier, puis scénariste et dialoguiste avant de devenir cinéaste. Il cause évidemment de cinéma, et exprime sa vision de la société italienne, une société consumériste, bourgeoise, prolongement du fascisme, “pré-berlusconienne” sans le savoir, qui rejette tout ce qu’il incarne et aime : l’intelligence, la culture, la créativité, l’amour, la beauté, la révolte contre l’injustice sociale. Ces entretiens constituent une très bonne introduction à son œuvre, même s’ils se terminent en 1971, soit quatre ans avant la mort de Pasolini.

Maria Callas dans Médée de Pasolini (1969) (TDR)

Tout sur Pasolini

Tout sur Pasolini est un dictionnaire touffu (450 pages en petits caractères), un peu brouillon, répétitif, elliptique et inégal, comme tous les ouvrages collectifs. Mais c’est ce qui fait sa qualité. D’abord parce qu’il a été rédigé par des spécialistes italien·nes et français·es aimant une œuvre et un artiste-penseur qui continue d’inspirer et d’être analysé, et parce qu »il ne se livre pas comme ça.

Autre grande qualité de cet ouvrage : il ne s’agit jamais pour ses rédacteur·rices d’écrire des fiches Wikipedia, mais de livrer des réflexions et des analyses, de jeter un regard personnel sur les sujets qui leur ont échu. D’où des notules, aussi, qui parfois manquent d’explications, d’éléments de base, quand par exemple la personnalité (écrivain·e, journaliste, cinéaste…) qui bénéficie d’une “entrée” dans l’œuvre de Pasolini n’est pas forcément présentée avant d’entrer dans le vif du sujet. À vrai dire, c’est aussi le charme des dictionnaires que de ne pas tout nous livrer et de nous obliger à nous reporter à d’autres articles. L’opération est ici une réussite, tant l’ouvrage foisonne de réflexions, d’idées, de portraits d’individus parmi les plus importants de l’histoire intellectuelle du XXe siècle.

Une question “idiote”

La difficulté, lorsqu’on s’intéresse des décennies à l’œuvre de PPP – et pas seulement à celle du cinéaste –, c’est qu’il arrive toujours un moment où l’on se pose cette question un peu honteuse, naïve et triviale : “Mais alors, il était comment, dans la vie ?

Je me souviens avoir posé cette question à un professeur et critique de cinéma que je croise tous les ans au Festival de Cannes, qui avait connu PPP dans sa jeunesse. Il m’avait répondu : “Mais exactement comme on le voit dans les entrevues.” Réponse qui m’avait d’abord déçu, et que j’aime beaucoup, finalement : c’est donc qu’il n’avait pas plusieurs visages, cet homme juvénile, droit, digne, au cheveu dru et noir, à la voix douce mais ferme, qui s’exprime calmement et intelligemment.

Il y a, dans Tout sur Pasolini, par exemple, une entrée sur Dacia Maraini, une écrivaine née en 1936, qui vécut plusieurs années avec l’écrivain Alberto Moravia et qui à ce titre, évidemment – Moravia et Pasolini était très liés –, connut très bien PPP. Sans jamais le mythifier, en faire le panégyrique, comme il est souvent d’usage avec les morts, Maraini dresse le portrait d’un homme plus ouvert, plus perméable qu’on a pu souvent le penser.

Expliquons-nous : Pasolini, marxiste sans l’être, homosexuel assumé, catholique sans l’être, a fait à de très nombreuses reprises scandale dans sa vie publique, depuis son adhésion au parti communiste italien en 1947 (dont il fut exclu deux ans plus tard) jusqu’à ses dizaines d’inculpations par la justice italienne pour “outrage aux bonnes mœurs” et autres accusations habituelles dans toutes les sociétés marquées par une éducation morale bourgeoise et religieuse.

Il n’a jamais caché sa haine de la bourgeoisie, quelle que soit sa taille (petite, moyenne, grande). Même le prolétariat, alors une force organisée grâce au communisme, ne l’intéressait guère. Son sujet est ce qu’il appelait le “sous-prolétariat”, c’est-à-dire ceux qui selon lui portaient les traces culturelles les plus vivantes d’une population ancestrale disparue. Non que PPP était nostalgique d’un âge d’or dont il savait très bien qu’il n’avait jamais existé, mais parce qu’il était convaincu que ce sous-prolétariat, pourtant souvent analphabète, sans instruction, véhiculait des forces spirituelles, intellectuelles, historiques, archaïques, païennes et joyeuses d’une richesse inimaginable.

Franco Citti dans Accatone (1961), le 1er film de Pier Paolo Pasolini (TDR)

Une personnalité trouble

À la fin des années 1960, Pasolini fait à nouveau scandale, mais dans un sens inattendu. Au moment des révoltes étudiantes de 1968, en Italie, il prend le parti des policiers, qu’il considère comme des prolétaires, contre les étudiants qui ne seraient que des petits bourgeois conformistes. Au moment où une loi sur l’avortement est évoquée dans la Péninsule, PPP s’y oppose fermement. Deux choix extrêmement étonnants et déstabilisants.

Maraini explique Pasolini au quotidien. Elle qui avait une quinzaine d’années de moins que lui se rappelle qu’ils se sont souvent violemment disputés sur ces questions, et qu’ils ne s’en aimaient pas moins. Et là, soudain, le lecteur comprend ou a envie de comprendre, peut-être de manière abusive, que Pasolini n’avait pas toujours une pensée rationnelle, comme il le dit d’ailleurs souvent dans ses textes, et il avait pleinement conscience de cette faille éventuelle, et qu’il était sans doute aussi capable, derrière son apparente intransigeance, de changer d’avis, de polir sa pensée, de l’amender, au contact des gens qui l’aimaient et qu’il aimait.

Mais on ne saura jamais comme Pier Pasolini aurait évolué intellectuellement, car il a été sauvagement assassiné à coups de pieds, de poings, de planches, puis écrasé avec sa propre voiture, sur une plage d’Ostie, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, sans doute par un groupe d’hommes organisés au motivations multiples (politiques, homophobes…) et pas, comme l’a longtemps affirmé la version officielle, par un jeune prostitué.

Tout sur Pasolini, sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo et Piero Spila, éditions Gremese, 39 euros.

Pasolini par Pasolini, entretiens avec Jon Halliday, postface de René de Ceccatty, Le Seuil, 32 euros.

Salo ou les 120 journées de Sodome, le dernier film de Pasolini, sorti après sa mort (1975) (TDR)