Procès Sarkozy: depuis quand les politiques commentent-ils des décisions de justice
POLITIQUE - Depuis quand les politiques se permettent-ils de critiquer des décisions de justice? “Depuis toujours. Ce n’est pas un phénomène nouveau”, constate Liora Israël, directrice d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales...
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POLITIQUE - Depuis quand les politiques se permettent-ils de critiquer des décisions de justice? “Depuis toujours. Ce n’est pas un phénomène nouveau”, constate Liora Israël, directrice d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales de Paris.
La condamnation pour corruption de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy prononcée lundi 1er mars a provoqué de vives réactions chez certains élus de droite, beaucoup n’hésitant pas à non seulement commenter mais également attaquer le bien-fondé de cette décision de justice. Et ce, au mépris de la séparation des pouvoirs, selon la sociologue du droit de la justice, alors que l’affaire poursuit son cours, l’ancien chef de l’État ayant fait appel de sa condamnation en première instance.
L’ancien ministre et maire de Nice Christian Estrosi s’est dit ainsi “préoccupé par cette judiciarisation de la vie politique”, redoutant qu’elle “conduise à une mort programmée de l’action politique.” Le vice-président des Républicains, Guillaume Peltier, a renchéri en jugeant cette condamnation “insensée, disproportionnée et extravagante.” Quant à l’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy, il a remis totalement en cause une décision judiciaire “si peu et si mal fondée.”
Même le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a tenu à apporter son “soutien” à son ancien mentor, ce à quoi ne s’est pas aventurée sa collègue Barbara Pompili.
Le "gouvernement des juges" reste un fantasme au sein de la classe politiqueLiora Israël, directrice d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris
Tout en volant au secours de l’ancien président, le parti conservateur a ainsi agité le spectre d’un “gouvernement des juges”, d’une “politisation de la justice”, croyant déceler un agenda politique derrière cette condamnation. Autrement dit, les soutiens de Paul Bismuth (pseudonyme utilisé par Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite “des écoutes”, NDLR) accusent la justice de manquer de neutralité politique.
Guillaume Peltier est allé jusqu’à émettre une hypothèse impliquant... Emmanuel Macron. “Pour vous, c’est le tribunal correctionnel qui fait de la politique... au service de qui?”, l’interrogeait Jean-Michel Apathie (LCI) ce mardi 2 mars. “Tout le monde le sait. Emmanuel Macron, peut-être, et ses amis”, a répondu le numéro 2 des Républicains.
“Le ‘gouvernement des juges’ reste un fantasme au sein de la classe politique”, affirme la sociologue Liora Israël. “Exprimer ses doutes vis-à-vis des décisions de justice visant les élus n’est pas quelque chose de nouveau. C’était déjà le cas en 2004, lors de ‘l’affaire Juppé’”. À l’époque, l’ancien premier ministre avait été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et une peine d’inéligibilité de cinq ans pour prise illégale d’intérêt.
La séparation des pouvoirs remise en cause
À travers ces attaques, “ce n’est pas l’indépendance de la justice qui est remise en cause, mais bien la séparation des pouvoirs,” explique la sociologue du droit de la justice. “Et c’est une question qui est soulevée de manière récurrente. C’était déjà le cas dans les années 80-90 avec ‘l’affaire Urba’ (affaire de faux bureaux d’études en charge de collecter de l’argent auprès des entreprises par le biais de fausses factures afin de financer les campagnes et le fonctionnement du PS) et ça l’est encore aujourd’hui avec ‘l’affaire Fillon’ et celle de Nicolas Sarkozy actuellement.”
Il fut un temps où “la justice était plus à l’étroit face au pouvoir politique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas”, relève le politologue Pascal Perrineau. Autrement dit, plus la justice enquête sur les politiques, plus ceux-ci sont appelés à se défendre face à ses décisions. Et donc à les critiquer lorsqu’elles les mettent en cause.
Ce mouvement, déjà ancien, s’est manifestement accéléré avec la création du Parquet national financier en 2013, cible de toutes les critiques de la droite sarkozyste. Avant d’ouvrir la voie à la condamnation de Nicolas Sarkozy; les investigations du PNF avaient également abouti à la condamnation de François Fillon à cinq ans d’emprisonnement. Un traumatisme encore palpable chez Les Républicains.
“Il y aura un avant et un après cette affaire Sarkozy que je lie quand même très fort à l’affaire Fillon”, a affirmé mardi soir la sénatrice LR Valérie Boyer. “Sans le PNF, je pense qu’Emmanuel Macron ne serait pas président de la République”, a-t-elle ajouté, enjambant là encore la séparation des pouvoirs. Rappelons que le PNF a été créé après l’affaire Cahuzac, ancien ministre socialiste.
“Personne n’est dans l’impunité”
“Il n’y a pas plus de politiques corrompus qu’avant, mais il y a plus de contrôles,” souligne Pascal Perrineau. Et ce n’est pas sans conséquence sur la classe politique dans son ensemble. “Les hommes politiques sont souvent mis dans le même panier. Ils souffrent de cette image qui voudrait que tout le système soit corrompu. Et ce type d’affaires participe à renforcer cette image”, met-il en garde. “Il ne faut pas que le monde politique devienne une caricature. Tous les milieux sont affectés par la corruption. La différence, c’est que les politiques ont des responsabilités plus grandes, puisqu’ils ont été élus par le peuple.”
Selon Pascal Perrineau, “ce procès ne plombe pas définitivement l’image de Nicolas Sarkozy. En revanche, c’est l’ensemble de la classe politique qui est touchée. Le Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po) montre que trois quarts des Français pensent que les politiques sont corrompus. Et ce type d’affaires ne peut que profiter aux extrêmes qui, eux, vont pouvoir s’en servir comme argument de campagne.”
Quid de l’image de la justice? Le Syndicat de la Magistrature (classé à gauche) s’est alarmé “que l’institution judiciaire soit attaquée et abîmée simplement parce qu’elle a rendu justice” et réclame que le ministre de la Justice et le président de la République interviennent “pour la protéger et faire en sorte qu’elle continue à officier sereinement, y compris lorsque la délinquance élitaire est visée”.
Pour Pascal Perrineau, la justice, mise à mal par les accusations de certains hommes politiques, conserve une image en demi-teinte, “ni bonne ni mauvaise”. Mais pour la sociologue Liora Israël, cette affaire aura au moins eu le mérite de montrer “que personne n’est dans l’impunité. Et elle permet de renforcer ou d’initier une certaine confiance auprès de la population concernant le système judiciaire français.”
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