Quand les enfants transgenres avaient moins besoin de psychologues que les psychologues eux-mêmes - BLOG
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LGBT - Alors que certains psychologues rétrogrades alertent sur “l’épidémie de transgenres” qui sévit dans le pays, il me semble important de revenir aux fondamentaux de la psychanalyse. Nos patients nous rappellent tous les jours que leurs symptômes sont ancrés dans les normes sociétales en vigueur, qu’ils changent au gré des injonctions extérieures. Ainsi, n’en déplaise à une cohorte de psys dépassés, les lignes bougent en matière de sexuation symbolique, dans un dépassement de plus en plus manifeste du code binaire, qui pareil au code noir, a induit des comportements limitants, aveugles, parfois tout à fait tyranniques. Hétéro/Homo, Actif/Passif, Homme/Femme…
Toutes ces constructions mentales tendent à décliner, emportant avec elles la suprématie du patriarcat et ces effluves machistes. Aujourd’hui, le sexe d’assignation peut être renégocié, afin d’éviter le désastre imaginaire consistant à se sentir appartenir de l’autre sexe avec l’obligation de le taire ou de le vivre de façon honteuse, pénible, par des voies détournées et taxées de perverses. Il y a une ouverture. Nous sommes à l’aube d’une reconnaissance pleine et entière de la question transgenre, à la lisière de tous les mystères de notre identité d’être humain, entre masculin et féminin, entre omnipotence et vulnérabilité. Vice-Président de PsyGAY.e.s, association regroupant des psys de toutes les obédiences et visant à accueillir inconditionnellement la parole des LGBTQIA+, j’ai choisi d’illustrer la pensée de cette tribune par un cas clinique, rencontré dans mon cabinet libéral, qui sera, je l’espère, capable d’inviter à la réflexion, ces psys défensifs, parlés par la norme patriarcale, et surtout désireux de camper sur leur éducation, leurs certitudes, plutôt que sur leur analyse.
Aujourd’hui, le sexe d’assignation peut être renégocié
Samuel (le prénom a été changé) est un garçon de onze ans qui me consulte juste après la diffusion du documentaire d’Arte, “Petite fille”. Ses parents ont d’abord contacté le standard de PSYgay.es et ont été orientés vers moi, ces derniers habitant dans les Hauts-de-Seine.
Ils viennent tous les deux, un mercredi après-midi, avec un Samuel extrêmement mature pour son âge, s’exprimant dans un français châtié, une diction impeccable, autour de son désir de “devenir une fille”.
Samuel est face à moi; il est assis au milieu de ses deux parents, à l’écoute, souriants, visiblement détendus. Comme leur fils. “Je me suis toujours senti fille, j’ai attendu un peu pour en causer. Mais maintenant, je suis sûr de ce que je veux. Il n’y a donc plus du tout de problème”. Voilà comment cette consultation, la 1ère, débute. Samuel me fait part d’une sorte de dénouement intérieur avant même de m’avoir parlé de lui et de sa jeune vie. À ce sujet, je ressens que du haut de ses onze ans, ce patient a écumé bien des pensées pour en arriver à ce constat. Il ne serait pas capable de s’exprimer avec un tel aplomb, une telle confiance, si ces choses étaient plaquées; ou pire, induites par la demande parentale.
Je choisis justement de ne pas me tourner vers les parents, lesquels me sollicitent pourtant fortement de leur regard.
“Et à onze ans, quelle expérience as-tu des filles et des garçons?
—Je sais que je suis une fille, car je ne me suis jamais senti garçon. Pendant longtemps, j’ai essayé d’en être un. J’ai fait des efforts…
—Des efforts pour qui?”
Samuel se retourne vers son père et lui sourit. Celui-ci lui prend la main et acquiesce d’un hochement de tête. L’enfant marque un long silence.
“Des efforts pour ma famille.
—Ta famille voulait que tu sois un petit garçon?
—Oui, je pense qu’elle voulait mon bonheur…
La mère, visiblement émue, interrompt Samuel.
—On veut encore ton bonheur, mon chéri.”
J’ai trouvé cette rectification extrêmement heureuse venant du parent. En effet, j’entends souvent dans les cures de parents d’enfants homosexuels ou transgenres: “Je voulais un enfant normal, car la norme, c’est le bonheur”. L’injonction normative vient justifier le tourment familial. Le parent peut alors regretter que son enfant soit homosexuel ou transgenre sans lui retirer son amour, en mettant son homophobie ou sa transphobie sur le compte du souci que sa progéniture soit “la plus heureuse possible”. Or, dans ce cas clinique, l’injonction normative a laissé place à une dynamique parentale attentive aux mouvements psychiques de l’enfant pris dans sa singularité.
“Nous ne voulions pas tomber dans le piège du “qu’en dira-t-on”. J’ai un frère trisomique et je sais très bien comme les gens sont cons et irrespectueux, m’expliquera le père.”
L’injonction normative vient justifier le tourment familial
Là encore, j’entends que les parents de Samuel refusent l’épinglage normatif visant à souffrir d’une différence, quelle qu’elle soit. La trisomie de l’oncle de Samuel avait permis au père de dépasser le seuil de la honte avant même de s’être confronté à l’identité de son propre fils. Ainsi, la stigmatisation dont il avait souffert (“Tu es le frère d’un triso”, avait-il longtemps entendu dans la cour de récré) servait de coupe-feu à la crainte du “qu’en dira-t-on”. Pour ainsi dire, la revendication de Samuel s’inscrivait sur le même chemin d’émancipation de la norme sociale, réclamant encore une sorte d’exigence éthique, par-delà les représentations normatives.
″— Et tu veux devenir une fille comment? Je veux dire jusqu’où?...
— Je veux prendre un traitement hormonal le plus tôt possible.
— Déjà?
— Oui. Je ne veux pas que ça prenne du temps…”
Je suis peut-être psychanalyste gay, mais je n’en suis pas moins cisgenré et finalement assez effracté par la question transgenre, surtout quand elle concerne des enfants de onze ans. Je choisis assez spontanément de ne pas cacher mes résistances à mon jeune patient, de ne pas faire semblant en ce qui concerne mes questions de temporalité, d’opération chirurgicale, de prise hormonale, quitte à utiliser des formules maladroites, quitte à ne pas être au clair avec mes propres pensées. Je crois que le plus important est que le patient et sa famille sentent un engagement authentique de ma part, une dynamique transférentielle au service d’un éclaircissement, non d’un dogme (dans un sens ou dans l’autre). À ce moment-là, par exemple, je sais que l’usage du mot “fille” ou du mot “garçon” relève déjà d’une binarité que nous pourrons remettre en question plus tard avec Samuel, mais ce champ lexical me vient machinalement. Hésiter, contourner ces choses reviendrait à lui transmettre un malaise qui n’a pas lieu d’être, qu’il s’échine par ailleurs lui-même à dépasser.
La mère de Samuel m’interpelle:
“Pensez-vous que cela soit trop tôt pour le traitement?
— Je n’ai pas dit ça. Je me demande juste si Samuel s’est assez ”éprouvé en garçon” pour avoir la certitude de vouloir devenir une fille, comme il vient de nous le formuler.”
L’enfant est sûr de lui:
“Oui, je vous ai dit que c’était sûr.”
Je poursuis:
“Et à l’école, comment ça se passe?
— Bah, bien…
— Il n’y a pas de moquerie des autres enfants…
— Pourquoi?
— Je ne sais pas… Ils ne te disent pas que tu es trop ceci, pas assez cela?…
— Non! Jamais…”
Samuel n’est pas excessivement féminin. Aucun camarade, à ses dires, ne lui ferait de remarque sur son physique ou sa voix. Or, à onze ans, il semble avoir déjà pensé la question de sa transition de longues années, comme s’il avait eu, en latence, depuis sa naissance, ce que les psychiatres appellent aujourd’hui, en se référant au DSM, une “dysphorie de genre”.
De quel féminin cause-t-on exactement? Et de quel masculin d’ailleurs?
Samuel instaure un trouble en moi, à mesure que cette 1ère séance se déroule. Pourquoi veut-il absolument quitter le genre auquel il a été assigné à la naissance s’il n’est précisément pas identifié à un genre particulier, si le regard de l’autre ne l’épingle pas à un stigmate?
Souvent, en ma qualité de psychologue LGBTQIA+, j’ai considéré que la souffrance identitaire des minorités sexuelles dans l’enfance et l’adolescence (dans le 1er regard de cet environnement normatif) était telle qu’un changement de genre, quand celui-ci est désiré par le sujet, était préférable à un tel supplice. En quelque sorte, il pouvait mettre un terme à un supplice symbolique imaginaire en deux temps: l’affirmation de soi (la subjectivation de son genre dans son propre discours à l’endroit de son entourage, ses parents au 1er chef) et la transformation physique (le renoncement à son genre d’origine par la prise d’hormones et/ou des opérations chirurgicales). Mais le cas de Samuel me permit également de comprendre que la violence de l’environnement immédiat n’était pas toujours le détonateur d’une telle décision, intime s’il en est.
J’eus le réflexe dans la deuxième partie de la séance d’aller questionner ce fameux “désir de la mère”, en pensant à ce postulat psychanalytique selon lequel l’enfant vient souvent répondre à une demande maternelle inconsciente en adoptant un certain type de comportement ou en s’en défendant à outrance. Or, là encore, je ne pus que constater l’extrême souplesse psychique de cette femme, elle-même en analyse depuis de longues années, qui put tout à fait, devant son fils, évoquer ses représentations du masculin et du féminin, son regret de ne pas avoir été un garçon, mais sa joie d’être une femme, son envie de s’inscrire dans un féminisme radical, mais son admiration sans bornes envers son mari, “qui n’a rien d’un macho”… Tout, dans son propos, permettait à Samuel de s’arrimer à un genre, à un autre, ou à revendiquer sa non-binarité.
Quant au père de l’enfant, bien que moins aguerri à ce type de réflexions, il avait également un raisonnement adapté à ce sujet, en faisant part, entre autres, de son souhait d’avoir “un fils libre d’aimer ce qu’il veut et qui il veut”. Il affirma, en souriant, qu’il n’avait jamais rêvé d’un garçon footballeur ou rugbyman, alors que lui-même était féru de ballon rond et ovale. À ce sujet, Samuel m’expliqua presque immédiatement après qu’il aimait beaucoup le football… Mais le football féminin. Il lut sans doute ma grande surprise dans mon regard.
“Et puis-je te poser une question, Samuel?
— Oui.
— As-tu déjà une préférence entre les filles et les garçons?
— Je savais que vous alliez me la poser, cette question. Non, je n’ai aucune préférence. J’aime vraiment les deux. Allez, peut-être une légère préférence pour les filles…
— Tu es donc une fille au fond de toi, une fille qui préfère les filles?
— On peut dire ça.”
Les parents de Samuel caressèrent chacun à leur tour, la tête de leur enfant tendrement après cette nouvelle affirmation souriante. Au terme de cet entretien clinique, je revis Samuel deux fois encore. À chaque fois, il fut question pour lui de réitérer son vœu de prendre des hormones le plus tôt possible. Il me parla de ses frasques scolaires, de sa passion pour l’équitation, des caprices de sa sœur aînée… Il y avait une véritable adaptation, qui ne me paraissait pas masquer une quelconque carence ni défaillance narcissique. Le projet de transition, verbalisé et intégré tant sur le plan individuel que familial, structurait la pensée de Samuel, lui donnant une assise et un sens profond. Il n’avait pas besoin de psychologue!
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