Quand les politiques essaient de faire peser le rap game sur l’élection présidentielle
Jeudi 17 février, 7 heures 48, matinale de France Inter. Le rappeur Fianso (Sofiane Zermani) est l’invité de Léa Salamé pour la promotion de sa pièce Gatsby le Magnifique, qui se joue au Théâtre du Châtelet, à Paris. Très vite, l’élection présidentielle...
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Jeudi 17 février, 7 heures 48, matinale de France Inter. Le rappeur Fianso (Sofiane Zermani) est l’invité de Léa Salamé pour la promotion de sa pièce Gatsby le Magnifique, qui se joue au Théâtre du Châtelet, à Paris. Très vite, l’élection présidentielle s’invite dans le studio : “Cette campagne présidentielle, elle vous intéresse ?”, interroge la journaliste. “Elle me déçoit, j’ai l’impression que la médiocrité est plus haute, que l’agressivité est plus présente”, répond sèchement l’artiste du Blanc-Mesnil.
En apparence anecdotique, cet échange est révélateur : la présidentielle 2022 ne passionne guère le monde du hip-hop. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts politiciens. Comme à chaque élection, les comités de campagne des candidat·es prennent leurs bâtons de pèlerin et courent le petit monde de la culture dans l’espoir de glaner de précieux soutiens. Dans cette course, les rappeurs et rappeuses sont depuis le début des années 2000 des prises de choix pour les candidats de gauche, désireux de charmer une jeunesse et des “quartiers” de plus en plus déconnectés des partis politiques.
Des artistes qui mouillent le maillot pour “Ségo”“On a effectivement tenté d’approcher quelques figures du monde du hip-hop, confirme un membre de l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo, avant d’ajouter, non sans humour : notre dynamique de campagne aurait même sûrement été meilleure avec le soutien de Jul !” En février 2017, la maire de Paris s’était fendue d’une lettre au rappeur marseillais pour le féliciter de sa Victoire de la musique. En campagne dans le Nord, Hidalgo a aussi assisté début février avec Martine Aubry – laquelle avait déclaré en 2011 être une fan de NTM – à une battle de breakdance à Lille. Dans la foulée, elle s’est entretenue avec plusieurs figures de la scène locale. Pour autant, la candidate socialiste peine à engranger les soutiens espérés.
Le constat est le même au siège de campagne de Christiane Taubira. Si sa candidature a suscité beaucoup de bienveillance dans le monde de la culture – de Juliette Binoche à Eddy de Pretto –, elle n’est pas parvenue à mobiliser la scène hip-hop. Interrogé sur la question, Fred Musa, animateur star depuis 1996 de Planète rap sur Skyrock, analyse : “Les rappeurs n’ont que des coups à prendre à s’engager dans une campagne électorale ; ils ont appris des élections passées.”
Si le Parti socialiste ne séduit plus, il a longtemps pu compter sur le soutien de plusieurs figures influentes du hip-hop français. En 2007, Ségolène Royal avait ainsi tenté de fédérer sous sa bannière un front anti-Sarkozy : elle avait obtenu l’appui de plusieurs poids lourds de la scène rap, tels qu’Akhenaton, le leader du groupe IAM, mais aussi Kery James ou Disiz la Peste. Ces deux derniers avaient même mouillé le maillot le 1er mai 2007 sur la scène du stade Charléty, à Paris, durant le grand meeting de l’entre-deux tours, aux côtés de Bénabar, Cali et Yannick Noah.
© Edith Carron pour Les Inrockuptibles
À l’époque, l’ancienne ministre de l’Écologie rêvait surtout du soutien de Diam’s, alors au sommet de sa gloire. Ainsi la verra-t-on dans Le Grand Journal de Canal+, dès avril 2006, se déhancher aux côtés de Jamel Debbouze sur La Boulette pour séduire la “génération non non”, avant d’annoncer dans la foulée sa candidature à la présidentielle. Par la suite, elle multipliera les clins d’œil à la rappeuse des Ulis, comme à Grenoble en février 2007, où elle glissera une citation du morceau Ma France à moi pendant son meeting. Malgré ces appels du pied, le soutien sera finalement timide. Diam’s déclarera simplement avoir voté “Ségo”, sans jamais s’engager dans la campagne de la candidate socialiste.
Opérations séduction“La carte anti-Sarko a plutôt bien pris”, se souvient un ex-cadre de l’équipe de campagne, d’autant que l’ancien ministre de l’Intérieur s’était mis à dos la scène rap tricolore – de Sniper à Keny Arkana – à coups de déclarations chocs (le nettoyage “au Kärcher” d’un quartier à La Courneuve en juin 2005, la “bande de racailles” à Argenteuil en octobre de la même année…). Dans ce contexte, l’élection 2007 avait suscité une effervescence inédite chez les artistes rap. JoeyStarr, Sefyu, Saïan Supa Crew, Pit Baccardi, Youssoupha et Stomy Bugsy avaient tous fait la promotion de “l’exercice citoyen”.
Cinq ans après, François Hollande, bien aidé par son fils Thomas, avait lui aussi ostensiblement dragué les rappeurs et rappeuses. Concert-meeting des Sages Poètes de la Rue, clip de campagne sur fond de Jay-Z et Kanye West, etc., le candidat socialiste avait largement misé sur la scène hip-hop, glanant au passage les précieux soutiens de Kery James et de Zoxea, dont le père fut un temps encarté au PS.
Hollande ne manquait pas de préciser qu’il écoutait Booba et PNLDerrière cette opération séduction se cachait une influente figure du monde du hip-hop français : Bruno Laforestrie. Cofondateur de la radio Générations en 1996, le quadra a été nommé au début de janvier dernier directeur du développement et du studio Radio France, après avoir dirigé Mouv’ pendant sept ans. “J’avais organisé plusieurs séries de rencontres pour le compte de François Hollande avec des artistes de hip-hop. On avait aussi tourné ce fameux clip totalement improvisé avec Leïla [Leïla Sy, réalisatrice de nombreux clips de rap] pour lequel Hollande nous avait donné une totale carte blanche”, se remémore Bruno Laforestrie dix ans plus tard.
Si aujourd’hui encore l’ancien président socialiste ne loupe pas une occasion de dire qu’il écoute “Booba et PNL”, sa relation avec le monde du hip-hop n’a pas survécu à l’exercice du pouvoir. En juillet 2012, soit quelques mois à peine après l’élection, Manuel Valls enterre en effet le récépissé en cas de contrôle d’identité. Mesure phare affichée en direction des “quartiers”, l’engagement avait constitué l’une des principales promesses de Hollande envers le milieu associatif.
Le tournant des affaires Adama Traoré et Théo LuhakaEn février 2013, Valls enfoncera un peu plus le clou en déclarant, dans un style sarkozien, vouloir “lutter contre les paroles agressives à l’encontre des autorités ou insultantes pour les forces de l’ordre et les symboles de notre République”. L’image du gouvernement socialiste sera fortement écornée par les affaires Adama Traoré et Théo Luhaka, amenant les violences policières sur le devant de la scène médiatique. Le sujet sera d’ailleurs l’objet d’un tête-à-tête tendu entre François Hollande et Kery James à l’automne 2016.
“Les artistes hip-hop qui s’étaient engagés à nos côtés ont été globalement déçus. On ne les a pas non plus vraiment défendus lorsqu’ils ont été l’objet d’attaques de l’extrême droite, comme lors de l’annulation en 2016 du concert de Black M pour le centenaire de la bataille de Verdun”, note un ancien conseiller élyséen. En 2017, le candidat du PS Benoît Hamon avait fait les frais de cette déception : aucun poids lourd du rap game n’avait daigné le soutenir. Malgré quelques tentatives, les comités de soutien de l’ancien député n’avaient reçu que des fins de non-recevoir polies, comme celle d’IAM.
“Les rappeurs n’attendent plus rien des politiques”L’enjeu est aussi générationnel. Le PS, et plus largement la gauche, a longtemps fantasmé un rap “conscient”, idéalisé comme revendicatif et engagé du “bon côté”. Un lieu commun qui résonne encore chez plusieurs cadres du parti, toujours prompt·es à déclamer leur amour pour des anciens à l’instar de Kery James et IAM, mais beaucoup moins pour des représentants de la jeune garde tels que Koba LaD, Naps ou Vald.
Le temps a eu raison des relations du PS avec les puissants réseaux associatifs que la formation avait habilement su mobiliser en 2007 et 2012. Pour Fred Musa, le constat est sans appel : “Les rappeurs n’attendent plus rien des politiques.”
De fait, l’industrie du rap constitue aujourd’hui un secteur largement autonome financièrement, aux interdépendances limitées avec le monde politique en comparaison avec d’autres secteurs culturels. Un constat confirmé par Imhotep, cofondateur et architecte sonore du groupe IAM : “Le hip-hop et le rap sont encore loin d’occuper la place qui leur revient statistiquement dans les politiques culturelles de notre pays, voire dans les programmes scolaires !”
Mélenchon et Macron à l’offensiveDans la campagne 2022, un candidat tente néanmoins de surfer sur la vague hip-hop : Jean-Luc Mélenchon. Très active, l’équipe de com du leader de La France insoumise multiplie les coups. Pour teaser le lancement de l’Union populaire sur les réseaux sociaux, LFI a par exemple diffusé début janvier un clip à la production léchée, avec en fond sonore le méga-tube Boss du rappeur originaire de Miami Lil Pump. Une opération osée, mais qui semble avoir porté ses fruits : French Baloo, le YouTubeur français spécialiste du genre, gratifiera ses 450 000 abonné·es d’une vidéo tout entière dédiée à ce happening mettant en scène Jean-Luc Mélenchon.
Quelques jours plus tôt, l’équipe du leader insoumis avait opté pour un son du rappeur Nanke – connu des initié·es – pour habiller une vidéo TikTok dans laquelle le candidat taclait Emmanuel Macron. Si l’ancien ministre socialiste n’a pas encore engrangé les soutiens publics convoités, il avait pu compter en 2017 sur ceux de Rim’K et Jazzy Bazz, qui avaient tous deux publiquement affiché leur préférence pour lui.
© Edith Carron pour Les Inrockuptibles
Comment engager les rappeurs et rappeuses dans une campagne présidentielle 2022 traversée par les questions identitaires et l’omniprésence de l’extrême droite ? Cette question, l’entourage d’Emmanuel Macron se la pose depuis cet hiver. Il planche sur le lancement de Pluriel, “un mouvement citoyen”, selon les mots de son principal instigateur, Karim Amellal. L’écrivain franco-algérien est un intime du Président qu’il a rencontré sur les bancs de Sciences Po à la toute fin des années 1990. “Le leitmotiv est clairement de combattre les idées d’Éric Zemmour qui dominent la campagne”, dévoile Amellal, candidat malheureux LREM à la mairie du Xe arrondissement lors des municipales de 2020.
Officialisé le 16 février, Pluriel entend mobiliser largement le monde de la culture. Le mouvement prend néanmoins soin de ne pas fonctionner comme un comité de soutien en faveur du président français. Il propose à ses potentiels appuis, souvent frustrés dans leur désir de porter un contre-discours, de s’engager autour de thématiques clés telles que la mobilité sociale, la diversité ou encore la lutte contre les discriminations. “L’Élysée est naturellement informé de notre initiative”, glisse un participant.
Des transfuges du monde associatif et du PSOutre plusieurs ministres et député·es LREM, Pluriel compte une petite centaine d’adhérent·es, dont plusieurs transfuges du monde associatif et du PS, à l’instar de l’ex-président de SOS Racisme Fodé Sylla. La cheffe d’orchestre Zahia Ziouani gravite également autour de l’initiative. En 2018, elle avait été nommée par Emmanuel Macron au sein du Conseil présidentiel des villes chargé de le conseiller sur les banlieues. Autre figure influente parmi Pluriel, Olivier Laouchez, patron du groupe de médias Trace. Très investi dans le hip-hop français, ce dernier a été le directeur de Secteur Ä, 1er label indé de rap en France.
Proche d’Emmanuel Macron, l’homme d’affaires installé à Johannesbourg avait été l’architecte en juillet 2018 de la venue du Président dans la mythique boîte nigériane fondée par Fela Kuti, le Shrine. “Les artistes sont de plus en plus réticents à s’engager. Depuis l’effondrement de la gauche, le monde de la culture est quelque part orphelin de relais politiques. Pluriel peut ainsi permettre de retisser le lien, car les artistes ont leur rôle à jouer dans cette campagne”, analyse Laouchez.
En décembre 2019, le chef de l’État s’était dit “bouleversé par la justesse” des Misérables de Ladj LyCes dernières semaines, et dans la plus grande discrétion, le mouvement a tenté de rencontrer plusieurs stars du hip-hop français parmi lesquelles Oxmo Puccino et Rohff. Des acteurs et réalisateurs seraient également dans le viseur, à l’exemple d’Omar Sy, de Kim Chapiron ou encore de Ladj Ly. En décembre 2019, le chef de l’État s’était dit “bouleversé par la justesse” du film césarisé Les Misérables. Depuis, le cinéaste, membre de Kourtrajmé, a reçu le soutien de l’Agence française de développement (AFD) pour la création d’une école de cinéma à Dakar.
Ladj Ly n’est pas le seul cinéaste courtisé par Pluriel qui rêve aussi de l’adoubement de Jean-Pascal Zadi. En octobre 2020, le réalisateur avait été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron pour une diffusion de son film Tout simplement noir. Si Pluriel n’a pas encore engrangé de soutiens publics espérés, Olivier Laouchez rappelle non sans malice que “le mercato n’est pas encore terminé”.