“Quand tu clubbais”, le cri d’amour aux dancefloors de Crame
C’est un livre de rien du tout, une soixantaine de pages entrecoupées d’illustrations, un petit format qui tient agréablement dans la poche et se lit d’une traite comme il se picore, à l’envers comme à l’endroit, quand on n’ouvre pas une page...
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C’est un livre de rien du tout, une soixantaine de pages entrecoupées d’illustrations, un petit format qui tient agréablement dans la poche et se lit d’une traite comme il se picore, à l’envers comme à l’endroit, quand on n’ouvre pas une page au hasard juste pour y retrouver quelques lignes qui font l’effet d’une bouffée d’air frais avec leurs relents de sueur condensée, de maquillage qui coule, de pas de danse hasardeux, de créatures hors norme et d’amours chimiques.
Alors que la nuit est aux abonnés absents, que les clubs ont baissé le rideau pour on ne sait combien de temps, que danser collé-serré est désormais une pratique à risque, qui d’autre que Crame – DJ, organisateur de soirées et grand noctambule devant l’Eternel – pouvait évoquer avec autant de justesse, d’amour et de mélancolie ce monde d’avant au travers de portraits d’habitué·es de ces lieux confinés dans lesquels tout le monde se reconnaîtra ou reconnaîtra les siens ?
Crame décrit avec infiniment de tendresse un monde qu’il connaît par cœur
“A la fermeture des clubs avant le confinement de mars, j’étais en mode je ne peux plus rien faire, nous confie Crame : enregistrer des mixes en ligne ne m’intéressait pas, je n’arrivais pas à m’inscrire dans une démarche politique et activiste parce que je ne savais rien de la réalité de cette maladie et ce qu’il était bon de faire pour l’intérêt général. Tout m’énervait. Et puis je me suis remis sur Facebook et j’ai fait ce que j’aime : rédiger de longs posts.”
“J’ai compris que je devais profiter de cette période pour faire ce que je n’avais jamais osé : un livre en papier. Ce qui m’intéressait, c’était de parler d’une expérience intime et collective. Je ne considère pas le clubbing comme un endroit idyllique protégé du monde réel, bien au contraire, mais j’ai choisi d’en parler uniquement de manière positive, comme un souvenir qui transforme le passé avec nostalgie.”
“C’est le fruit de toutes ces observations au fil des années que j’ai voulu retranscrire”
De la personne qui arrive tôt avant que la fête ne batte son plein à celle qui connaît tout le monde et distribue les bises, de l’habitué·e des backstages aux gens qui ne dansent jamais, de la drag qui passe des heures à se préparer au mec qui n’a qu’une idée en tête, se foutre à poil, Crame décrit avec infiniment de tendresse un monde qu’il connaît par cœur.
“J’ai passé beaucoup de temps dans les clubs en tant qu’organisateur. C’est une position particulière car tu es là du début à la fin, tu vois tout le monde et tu es partout, en coulisses, à l’entrée, sur le dancefloor, aux chiottes.”
Tombé dans le clubbing par hasard
“J’ai donc forcément une connaissance accrue des gens qui les fréquentent. C’est le fruit de toutes ces observations au fil des années que j’ai voulu retranscrire, et je me reconnais un peu dans chacun et dans chacune : les gens qui arrivent tôt c’est moi, les gens qui connaissent tout le monde c’est moi, les gens qui dansent comme des fous c’est moi aussi…”
“Je n’avais surtout pas envie d’écrire un manifeste choc en forme de coup de gueule, mais après, si tu me demandes mon avis sur la situation, je dirais que j’ai été pendant quelques mois dans un état d’esprit un peu attentiste et que désormais je suis vraiment désespéré. Je trouve la situation actuelle par rapport à la fête, à la culture ou à la jeunesse vraiment triste !”
Comme beaucoup, Crame – Arnaud Lassince de son vrai nom – est tombé dans le clubbing par hasard, la petite vingtaine, en organisant des fêtes avec une bande de potes regroupés sous le collectif Mort aux jeunes avec qui il étudie à Sciences-Po. Lui qui connaît mal le dancefloor et les musiques électroniques mais adore danser apprend à mixer, à organiser des soirées, à vivre des nuits plus longues que le jour.
Et met un pied dans un monde qu’il rêve secrètement d’intégrer, loin de son boulot de consultant qu’il décide de quitter. En 2011, il fonde avec trois amis la House of Moda, une soirée qui va rapidement devenir un lieu d’expérimentations sans limites pour la jeunesse LGBT où ce qui ne se faisait plus depuis des années – se mettre en scène – revient en force sous la boule à facettes.
“Tout un monde qui mélangeait la mode, la performance, le design, l’excentricité”
Une ébullition créative hors norme résumée par Crame : “J’ai l’impression qu’on ne se rend pas encore compte, certainement parce que c’est trop récent, de ce que le clubbing des années 2010 a apporté, toutes ces rencontres amicales, sexuelles, amoureuses mais aussi artistiques. Cette naissance de talents de la nuit, les créatures, les drag-queens, les prochain·es top models, tout ce monde qui mélangeait la mode, la performance, le design, l’excentricité et où les gens se rencontraient et testaient leurs personnages.”
“C’était fou, et j’ai eu la chance avec les House of Moda de pouvoir côtoyer ces personnes qui ont inventé un univers incroyable, de participer à cette explosion créatrice, et sans les clubs tout ça n’aurait pas eu lieu. Aujourd’hui, on se met en scène sur Instagram, c’est le concours de celui ou celle qui sera le plus époustouflant, mais ce n’est pas pareil, il n’y a pas de solidarité, de liens qui se créent, pas de confrontation avec le réel, de fun, c’est désespérant.”
“Il n’y a plus rien qui nous pousse à quelque chose d’aussi excitant qu’une nuit sans dormir, qui n’en finit pas et nous transporte dans une autre aventure que ce qu’on vit le jour. Pour moi, rien ne vaut un endroit où tu reçois des gouttes de sueur qui tombent du plafond à cause de la condensation.”
Peut-on postillonner à 10 centimètres l’un de l’autre ?
Elégamment rehaussé d’illustrations signées du tatoueur Kavehrne qui apportent un regard décalé et différent de celui de Crame, Quand tu clubbais et ses portraits – portés par une écriture méticuleuse et lucide, hédoniste et mélancolique – de tous·tes ceux et celles pour qui sortir participe d’un rituel comme d’un exorcisme est aussi un livre qui, entre les lignes, évoque un chapitre de l’histoire qui se referme pour toujours.
“J’ai conscience qu’on parle d’un monde qui est révolu et qui n’existe plus, explique Crame, le clubbing est devenu du jour au lendemain une activité du passé, quelque chose qu’on ne pouvait plus faire. En général, les gens passent leurs années de jeunesse à sortir en boîte, et ensuite, pour la plupart, ils vaquent à autre chose. Mais là, en fait, tout le monde est passé à autre chose sans l’avoir choisi.”
“Il va y avoir du renouvellement, beaucoup de lieux vont fermer, et ceux qui ouvriront seront forcément différents”
“On se rend tous compte, plus le temps passe et que les données sur la situation sanitaire s’accumulent, que c’est fini, que danser dans un endroit confiné et moite est de l’ordre de l’impensable. On en est même à évoquer des souvenirs lointains : ‘Ah bon, on faisait ça ? Mais c’était n’importe quoi ! On se postillonnait à 10 centimètres l’un de l’autre de manière totalement insouciante ?’ En mars 2021, se souvenir de tout ça est vraiment cruel. En tout cas, ça me fait terriblement mal, parce que, soyons lucides, quand les clubs vont rouvrir en 2022 ou en 2023, ce sera autre chose, même si je n’ai pas d’idée précise sur le futur de la nuit.”
“Il va y avoir du renouvellement, beaucoup de lieux vont fermer, et ceux qui ouvriront seront forcément différents. Les gens qui veulent se lancer seront encore plus réticents qu’auparavant, et en tant que LGBT, on aura encore moins d’espaces qu’auparavant, car c’est infernal d’ouvrir et de faire tourner un club. Il y a encore des militants de la nuit très actifs qui se battent et y croient, et puis il y a tous les autres qu’on ne voit pas, qui en vivaient, qui ne peuvent plus attendre, ont baissé les bras et ont décidé de changer de vie, et c’est mon cas !”
Quand tu clubbais Texte : Crame. Illustrations : Kavehrne KavehrneQuand tu clubbais de Crame, illustrations Kavehrne, 62 p., 12 €, en commande ici