"Quartiers sans relous": Mme Schiappa, le harcèlement de rue n’a pas de bornes géographiques
Le gouvernement a annoncé le projet d’une cartographie des zones de harcèlement de rue en France. L’intention affichée est de lutter contre le harcèlement là où il aurait lieu en majorité et de garantir des “quartiers sans relous”. Responsables...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Le gouvernement a annoncé le projet d’une cartographie des zones de harcèlement de rue en France. L’intention affichée est de lutter contre le harcèlement là où il aurait lieu en majorité et de garantir des “quartiers sans relous”. Responsables d’associations de lutte contre les violences et militantes féministes, nous alertons sur le caractère inefficace et dangereux de cette démarche.
Véhiculer l’idée que le harcèlement sexiste serait un phénomène local et d’ordre individuel témoigne d’un mauvais diagnostic et d’une compréhension erronée des violences sexistes et sexuelles. L’action publique qui en découle ne peut être que vouée à l’échec.
C’est pourquoi il est essentiel de déconstruire les idées reçues et de rappeler quelques faits essentiels concernant le harcèlement des femmes, ses conséquences et ses causes profondes.
Véhiculer l’idée que le harcèlement sexiste serait un phénomène local et d’ordre individuel témoigne d’un mauvais diagnostic.
Les victimes du harcèlement de rue, ce sont les femmes, mais aussi les minorités de genre, les personnes handicapées. Les auteurs? Des hommes, de tous profils. La forme? Des commentaires sur l’apparence physique, des propos sexuels dégradants, avec, souvent, une dimension raciste, LGBTphobe, islamophobe, grossophobe.
Dès le début de l’adolescence, les femmes intègrent psychiquement et physiquement le fait de ne pas être en sécurité dans la rue. Elles apprennent à garder le regard baissé, feindre d’écouter de la musique, marcher vite. Elles apprennent à se taire, aussi, car toute réponse négative ou refus peut entraîner l’escalade vers des insultes, menaces ou agressions physiques.
Pendant ce temps, les jeunes hommes se construisent sans cette contrainte permanente. Une inégalité profonde dans le vécu du quotidien s’installe et impacte toutes les sphères de la vie en société, professionnelle, familiale, amoureuse.
Cette violence du quotidien, qui empêche les femmes d’exercer pleinement leur liberté, n’est cependant pas restreinte à l’espace public, même si celui-ci reste aujourd’hui pensé par et pour les hommes. La démarche du ministère de l’Intérieur est problématique en ce qu’elle cible la rue, alors que le harcèlement sexuel ou à caractère sexiste a lieu partout. Dans les bars, les universités, les entreprises, les administrations, les couloirs de l’Assemblée Nationale…
Le harcèlement de rue n’est qu’une des facettes du sexisme qui se déploie partout et que les femmes et les minorités de genre subissent à toutes les étapes de leur vie. Partout les mêmes affiches publicitaires qui utilisent des corps nus pour vendre tout et n’importe quoi, et transforment les femmes en objets qu’on s’habitue à scruter sous toutes leurs coutures. Partout les réseaux sociaux qui ferment les yeux sur le cyberharcèlement des femmes. Partout les prises de parole publiques qui nient, banalisent, excusent les violences, et culpabilisent les victimes. Et sur les plateaux télé des émissions grand public, des agressions sexuelles commises en direct qui suscitent l’hilarité générale.
Le harcèlement des femmes dans l’espace public n’est que la conséquence de cette culture qui banalise voire encourage l’agression des femmes. Une culture qui, à travers la littérature, les séries, les paroles de chansons, entretient la confusion entre séduction et harcèlement, entre sexe et violence.
Cette confusion, on la retrouve dans le mot “relou”, qui évoque l’emploi fréquent de l’expression “drague lourde”. Le harcèlement de rue, ce n’est pas de la drague. Et la drague, quand c’est lourd, ça n’en est pas. Ce qui caractérise la drague, c’est le consentement. Un homme qui interpelle une femme, où que ce soit, pour commenter son physique ou lui faire des propositions sexuelles crues n’est pas un relou, c’est un harceleur.
Le harcèlement des femmes dans l’espace public, c’est aussi le symptôme d’une société qui n’éduque pas ses enfants à l’égalité. Le fait que, dès l’école primaire, l’espace collectif des cours de récréation soit majoritairement occupé par les garçons quand les filles y restent à la périphérie est connu et a été largement documenté par les sociologues et géographes, sans qu’aucune politique publique ne soit déployée pour y remédier. Là où les garçons sont socialisés à occuper l’espace public, y faire du bruit, s’y mouvoir librement, les filles apprennent à le craindre, d’autant que les adultes ne cessent de leur rappeler que pour elles, la rue est un espace de danger.
Plus tard, au collège et au lycée, où le harcèlement fait ses débuts dans l’indifférence ou le déni des adultes des établissements, aucune politique éducative n’est mise en œuvre pour former la jeunesse au consentement ou à l’égalité. Les droits des élèves, inscrits dans la loi, de bénéficier de trois séances d’éducation à la sexualité par an et d’avoir un·e référent·e égalité dans leur établissement sont largement ignorés, car l’État n’applique pas ses propres lois dans les établissements scolaires.
Le harcèlement des femmes et des minorités de genre n’a pas de bornes géographiques. Il relève de notre organisation sociale et culturelle. Prétendre le contraire, c’est se résoudre dès le départ à échouer, et c’est choisir de stigmatiser certains quartiers.
Le harcèlement des femmes et des minorités relève de notre organisation sociale et culturelle. Prétendre le contraire, c’est se résoudre à échouer et stigmatiser certains quartiers.
Nous refusons que les revendications légitimes des femmes à la sécurité dans l’espace public soient instrumentalisées.
Si l’on veut traiter le problème du harcèlement sexuel ou sexiste, dans la rue et ailleurs, il faudra accepter de regarder en face certaines évidences:
1) Le préalable à toute évolution des comportements est une évolution des mentalités. Cela nécessite une reconnaissance publique que le problème est systémique et non individuel.
2) La priorité donnée à des mesures répressives est une impasse.
3) Cela prendra du temps et demandera des politiques de long terme axées sur les causes du sexisme, et non sur ses conséquences.
4) Des politiques publiques contre les violences sexistes et sexuelles, à commencer par la formation des enseignant.es sur ces sujets et une éducation à l’égalité à l’école, demandent des moyens.
Nous les attendons toujours.
Les signataires :
- Rebecca Amsellem, activiste, newsletter féministe Les Glorieuses
- Association Pourvoir Féministe
- Association Stop Harcèlement de rue
- Sophie Barre, Collectif #NousToutes
- Lauren Bastide, journaliste
- Chris Blache, activiste féministe
- Fatima Benomar, militante féministe, co-fondatrice des effronté·e·s
- Alix Béranger, activiste féministe
- Shanley Clemot McLaren, activiste féministe et membre du collectif #StopFisha
- Héloïse Duché, co-fondatrice de Stop Harcèlement de rue
- Elvire Duvelle-Charles, journaliste, co-créatrice de Clit Révolution
- Pascale Lapalud, urbaniste
- Yuna Miralles, activiste féministe
- Diariata N’Diaye, artiviste, fondatrice de Resonantes et créatrice de l’application App-Elles
- Anna Toumazoff, activiste féministe
- Illana Weizman, autrice et militante féministe
À voir également sur Le HuffPost: “Je m’attaque enfin au harcèlement de rue, 8 ans après une tentative de viol”