Que risque Thomas Pesquet s'il commet un crime dans l'espace?

ESPACE - C’est le grand jour pour Thomas Pesquet qui a l’immense privilège de retrouver la Station spatiale internationale ce vendredi 23 avril, près de quatre ans après l’avoir quittée. Le spationaute français décolle du centre spatial Kennedy,...

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ESPACE - C’est le grand jour pour Thomas Pesquet qui a l’immense privilège de retrouver la Station spatiale internationale ce vendredi 23 avril, près de quatre ans après l’avoir quittée. Le spationaute français décolle du centre spatial Kennedy, en Floride à bord de la capsule SpaceX. Mais que risquerait-il si au cours de sa mission il commettait un crime? La question relève totalement de la science-fiction, mais elle explique tout l’enjeu du droit spatial comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article. 

Pour répondre à cette question (farfelue, on sait), il convient d’abord de rappeler les spécificités de la Station spatiale internationale (ISS). Cette infrastructure qui orbite à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes est en réalité un vaste assemblage de différents morceaux. Et chaque pièce de ce lego géant possède une immatriculation rattachée à son pays d’origine, créant de facto des frontières à bord.

Chaque pays conserve donc sa propre juridiction à bord de son module, comme le prévoit l’article 8 du traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Signé en janvier 1967, ce traité pose les grands principes applicables dans l’espace.

“L’État partie au Traité sur le registre duquel est inscrit un objet lancé dans l’espace extra-atmosphérique conservera sous sa juridiction et son contrôle ledit objet et tout le personnel dudit objet, alors qu’ils se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou sur un corps céleste.”

Lorsque Thomas Pesquet prend des photos dans la sublime Cupola, fenêtre d’observation sur la Terre, il est dans un module européen. Mais si le spationaute se rend dans le module Destiny, un laboratoire américain, il ne sera donc plus soumis à la même législation.

Le spationaute Thomas Pesquet à bord de la Cupola, l'un des modules européen de l'ISS / 22 novembre 2016.

La possibilité de la peine de mort? 

Si Thomas Pesquet venait à passer à l’acte - ce qu’on ne lui souhaite pas - à bord de ce module américain en tuant un ressortissant américain, il pourrait être jugé par les États-Unis et encourrait alors la peine capitale. “La peine qu’il risque dans l’espace pourrait potentiellement être plus sévère (que sur Terre en France, ndlr) parce qu’il y a un risque qu’il soit jugé par un État qui n’est pas la France. Et parmi les autres Nations représentées sur l’ISS on a le Japon et les États-Unis, deux pays où la législation pénale est plus sévère”, explique au HuffPost Maître Pierre-Stanley Perono, avocat en droit pénal et droit des affaires et co-auteur de l’ouvrage “Les nouveaux enjeux de l’espace”.

“Dans un tel cas de figure, la France va introduire une consultation avec les États-Unis. Au terme d’un délai de 90 jours, si les États-Unis considèrent que la France ne donne pas assez de garanties pour juger le spationaute, alors ils pourront le poursuivre”, précise-t-il, citant l’article 22 du Décret du 29 novembre 2005. La nationalité de l’auteur de la victime et celle du présumé agresseur sont donc à prendre en compte, tout comme le lieu où a été commis le crime dans la station. 

La voie de l’arbitrage pourrait être un mode de résolution du litige entre les États. L’avocat estime toutefois que dans l’espace, on privilégiera la voie diplomatique, bien que cette solution soit imparfaite. “La voie diplomatique présente une difficulté puisqu’il y a un vrai problème de sécurité juridique. Nous sommes encore dans un droit qui laisse libre cours à la négociation et donc libre cours au rapport de force”, poursuit-il, tout en rappelant que la NASA est le principal contributeur de l’ISS.

“Pas de vide juridique”

La question d’un crime commis en route vers l’ISS se pose également et là encore la législation est particulière. L’agresseur sera jugé sous la juridiction du pays où a été lancée la fusée pour rejoindre la Station spatiale internationale, comme le prévoit l’Accord sur le sauvetage des astronautes de 1967. Dans le cas de Thomas Pesquet ce serait donc le droit américain puisqu’il s’envolera à bord de la capsule Crew Dragon en Floride. Lors de sa 1ère mission en 2016, le Français avait embarqué à bord d’une fusée Soyouz lancée depuis Baïkonour. Il était dans ce cas-là sous le régime de la loi russe. 

“Toutes les activités dans l’espace sont encadrées par la loi”, explique Louis de Gouyon Matignon, doctorant en droit spatial et fondateur de la société “Toucan Space”, qui propose au public d’envoyer des objets dans l’ISS. Il explique que même lors d’une sortie extravéhiculaire, un spationaute est soumis à la loi du module auquel il est rattaché. “Il n’y a pas de vide juridique dans l’espace. Le droit est vraiment bien établi avec cinq grands traités onusiens. Dès les années 70, on a essayé d’envisager tous les cas de figure afin de prévenir la guerre dans l’espace ou toute appropriation d’un corps céleste. Donc on n’a pas le droit de s’approprier Mars, ni de commettre un crime sur la Lune ou acheter une étoile par exemple. Ce n’est pas parce qu’on quitte la Terre qu’on quitte le droit.”

L’ISS, le paradis des juristes

Toutes ces questions de droit pénal spatial demeurent théoriques et à l’heure actuelle il est très difficile d’envisager concrètement comment serait gérée une telle affaire à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, étant donné qu’il n’existe (fort heureusement) aucune jurisprudence jusqu’à présent.

En 2018, nous aurions pu avoir un 1er cas intéressant avec l’Américaine Anne McClain. Cette astronaute avait été accusée par son ex-compagne Summer Worden d’avoir piraté ses comptes bancaires depuis l’ISS. Cela aurait pu être le 1er crime dans l’espace. Mais l’affaire concernait une présumée victime aux États-Unis et aucun autre pays n’était donc mis en cause. D’autant que depuis, les procureurs ont déclaré que l’accusatrice avait fait de fausses déclarations.

Si ces questions juridiques semblent a priori anecdotiques, elles sont pourtant capitales pour les pays qui financent l’ISS, alors que le tourisme spatial va se développer à bord de la station. De ce fait, les spationautes entraînés et triés sur le volet ne seront plus les seuls à occuper les lieux, créant des risques supplémentaires et nécessitant donc une législation claire et précise.

Le droit pénal à bord de l’ISS demeure toutefois une priorité moindre pour les juristes qui travaillent surtout aux questions relatives à la propriété intellectuelle, précisées par l’accord de 1998 sur la Station spatiale internationale. Ce dernier point est fondamental puisqu’il permet aux États ou agences spatiales de revendiquer une découverte ou expérience scientifique menée à bord.

Qu’en est-il d’un crime sur Mars?

Si tout semble encadré dans l’ISS et sur la Lune, reste la question de Mars, la planète qui passionne toutes les agences spatiales et notamment la NASA qui travaille en ce moment avec son rover Perseverance. Lorsque l’on parviendra à envoyer pour la 1ère fois un homme sur la planète rouge, à 400 millions de kilomètres de nous, que se passera-t-il?

Louis de Gouyon Matignon pense que l’on pourrait voir naître une constitution extra-terrestre:

“Si Thomas Pesquet commettait un crime sur Mars, techniquement il serait toujours soumis soit à la loi française ou la loi qui protège la victime du crime que Thomas pourrait commettre. Mais en réalité c’est plus compliqué: nous sommes à 400 millions de kilomètres de la Terre. Est-ce que les personnes qui sont sur Mars ne vont pas petit à petit se détacher du droit terrien pour créer un droit sui generis avec une constitution martienne? Tout cela est pour l’heure du domaine de la science-fiction, mais cela peut changer très vite et c’est l’enjeu du droit spatial.”

À voir également sur Le HuffPost: Pourquoi Thomas Pesquet pense que son deuxième voyage dans l’espace sera plus dur