Que vaut “The Father”, la surprise française des Oscars ?

C’est le petit cocorico de la saison des cérémonies, le frenchie qui s’est frayé un improbable chemin jusqu’à Los Angeles pour monter à la surprise générale sur la scène des Oscars. Le 25 avril dernier, The Father y a remporté deux statuettes,...

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C’est le petit cocorico de la saison des cérémonies, le frenchie qui s’est frayé un improbable chemin jusqu’à Los Angeles pour monter à la surprise générale sur la scène des Oscars. Le 25 avril dernier, The Father y a remporté deux statuettes, une partagée par son auteur Florian Zeller (scénario adapté), et l’autre remise à son acteur principal, Anthony Hopkins, permettant au film de s’affirmer en fin de soirée comme un de ses grands gagnants.

Adapté de la pièce “la plus acclamée de la décennie” (selon le Guardian) qui avait déjà offert à Florian Zeller un succès maousse depuis sa création en 2012 et sa traduction depuis dans une quarantaine de langues, il est sorti hier dans les salles françaises fraîchement déconfinées. Précédé donc d’une double légende paradoxale : à la fois celle de l’outsider – techniquement, c’est un 1er film : on verra dans quelle(s) catégorie(s) le nommeront les César 2022…  – et du rouleau compresseur qui a déjà tout gagné.

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Un vrai morceau de virtuosité…

The Father aborde donc la sénilité, thème assez en vogue puisque c’est aussi celui de Falling de Viggo Mortensen sorti une semaine plus tôt, et bien sûr surtout parce que la société y a beaucoup pensé, dans ces derniers mois qui ont mis en branle notre rapport à la vieillesse, et aux soins qui lui sont dus. Le film de Zeller a la particularité justement de ne pas aborder la sénilité du point de vue du soignant, ou du proche, témoin impuissant du naufrage, mais de celui du sénile lui-même, en tentant par une série de ruptures diverses de la linéarité (effets de répétition des dialogues, acteurs intervertis, modifications du décor…) d’en restituer l’expérience subjective. 

Anthony, donc (Hopkins, mais c’est aussi le prénom du personnage), erre dans son appartement, ou plutôt dans plusieurs appartements qui se confondent, comme se confondent aussi les visages (sa fille, son gendre, son aide-soignante…), les événements (un dîner, une rencontre matinale avec une future aide à domicile…), les temporalités (est-ce qu’une journée, une semaine, un mois, un an a passé ?).

Pour Zeller, cet état de confusion est avant tout une opportunité de mise en scène : construire l’Alzheimer-movie comme un thriller psychologique et paranoïaque. Le choix de Hopkins-Lecter s’inscrit évidemment dans le genre, en même temps qu’il vient rendre plus scandaleuse encore l’arrivée de la sénilité tant l’acteur est un synonyme de force, de malignité, d’intelligence supérieure. Au-delà de ce casting un peu symbolique, Zeller use surtout d’un langage et d’artifices propres au registre semi-fantastique, d’une manière qui peut évoquer par exemple Shyamalan et s’en inspire sûrement : jouer sur la propension naturelle du spectateur à croire que ce qu’il voit a bien lieu, qu’une scène s’est bien passée ainsi, qu’un visage est bien celui-là ; puis le mettre peu à peu, ou brutalement, face à sa propre crédulité, en imposant une incohérence spatiale ou temporelle.

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… mais qui tourne à vide

Si les quatre ou cinq 1ers “coups” de ce genre qu’exécute le film fonctionnent, la machine commence rapidement à rouiller dès lors qu’elle ne peut plus cacher à quel point elle fait système, et The Father se retrouve vite enlisé dans une fabrication permanente d’ambiguité anxiogène assez convenue et lourdingue. Là où le film voudrait être une coulée, ou une noyade, sinuant en avant et arrière dans le temps et la mémoire, il produit plutôt l’impression saccadée d’un numéro de cabaret, avec ses scènes concaténées s’éteignant sur des effets de rideau une fois l’acrobatie exécutée, nous laissant quelque peu penaud·es, dans la morne attente du bidule suivant. Ce sont les bidules, et non les personnages, qui guident le film, puisque lui a besoin de quelques repères pour s’autoriser ses truchements : la route du récit est balisée (il y a quelque chose de très platement universel et générique dans la configuration de la famille, de l’appartement, de la maladie, du soin – mais cela participe sans doute au succès du film, plus relatable, tu meurs) pour que la mise en scène s’amuse.

Il ne faut pas longtemps avant de commencer à se dire qu’au fond tout ça ne constitue pas tellement l’expérience VR Alzheimer promise, mais quelque chose qui n’appartiendrait qu’au film lui-même. Car Anthony n’est pas réellement dans la confusion : il se souvient toujours précisément de ce qu’il a pris pour le réel une minute plus tôt. Les permutations, interversions, ruptures de la réalité que sa mémoire ou plus certainement le film lui infligent, lui paraissent indubitablement aberrantes et intolérables : il ne s’enfonce pas dans une brume, il ne tombe pas dans un gouffre, il traverse un pur épisode kafkaïen qui ne le prive jamais du sentiment de sa rationalité.

On ne croit pas à cet homme qui soudain s’effondre, baisse les armes, appelle sa petite maman, tant l’escamotage hystérique du monde l’a jusqu’ici toujours simplement révolté, le laissant totalement droit et intact. Ce n’est en fait pas l’homme qui est alors nu, mais le film lui-même – réduit, sans sa boîte de magicien, sans ses effets de manches, à révéler au grand jour sa franche faiblesse de fond, prenant pour un twist sa constatation penaude de la tristesse solitaire des vieux, bien nappée de soupe orchestrale au cas où nous aurions omis de nous en émouvoir.

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