Qu’est-ce qui fait rêver Renate Reinsve, révélation cannoise de “Julie (en 12 chapitres)” ?
En amour, tout n’est peut-être qu’une question de timing. C’est l’une des grandes leçons apprises dans Julie (en 12 chapitres), le film de Joachim Trier sélectionné au dernier Festival de Cannes et en salle le 13 octobre. Lorsque Julie s’infiltre...
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En amour, tout n’est peut-être qu’une question de timing. C’est l’une des grandes leçons apprises dans Julie (en 12 chapitres), le film de Joachim Trier sélectionné au dernier Festival de Cannes et en salle le 13 octobre. Lorsque Julie s’infiltre dans une fête de mariage et rencontre Eivind, elle comprend bien vite, par un jeu de séduction évitant astucieusement de franchir le Rubicon de l’infidélité, qu’elle l’aime et que lui aussi en retour.
Pourtant, au lever du jour, les deux amant·es se quittent. La conscience légère mais le cœur noué de regrets, il·elles rejoignent chacun·e les draps chauds de leur conjoint·e respectif·ive.
Une histoire d’amour était en train de s’écrire entre elle et lui, mais le moment n’était pas adéquat. C’est par la suite, grâce à un artifice de cinéma sublime (l’espace-temps d’une ville figée par un arrêt sur image), que le film synchronisera ces deux êtres pour qu’ils vérifient si leur histoire valait la peine d’être vécue.
Alignement des planètes
De timing et de synchronisation heureuse, il en fut également question pour Renate Reinsve, l’interprète principale de Julie qui en irradie chaque plan et qui est repartie de Cannes, sans surprise, avec le prix d’interprétation féminine. Quelque temps avant la projection du film sur la Croisette, celle qui sera la révélation unanime du festival est encore méconnue.
Habituée à des rôles comiques sans grande épaisseur psychologique à la télévision norvégienne (elle interprète notamment l’un des trois 1ers rôles de la sitcom Nesten voksen, qui sera interrompue prématurément par manque d’audience) ou remarquée pour de brèves apparitions (on lui doit une seule réplique mais pas des moindres dans Oslo, 31 août de son ami Joachim Trier : “Allons faire la fête !”), l’actrice éprouve une certaine difficulté à trouver des rôles consistants et décide de faire une pause dans sa carrière. Pour un temps ou peut-être de manière définitive.
“Je souhaitais grâce à mon travail poser des questions, découvrir ce que c’est qu’être un être humain et tenter de percer sa profondeur.”“C’était une expérience amusante, mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai voulu faire ce métier. Je souhaitais grâce à mon travail poser des questions, découvrir ce que c’est qu’être un être humain et tenter de percer sa profondeur. J’ai senti qu’il fallait que je fasse un grand changement dans ma vie pour y trouver à nouveau un sens. Tout de suite après avoir pris cette décision, je me suis sentie heureuse et libérée”, se remémore l’actrice.
Un alignement des planètes et un jour plus tard, Joachim Trier l’appelle pour lui proposer un 1er rôle qu’il a écrit en pensant à elle : Julie. “Je n’avais aucune idée qu’il avait écrit un rôle pour moi. Il ne voulait pas m’en causer tant que le projet n’avait pas perçu les aides financières afin de pouvoir le réaliser.”
Un personnage si proche
Portrait découpé en fragments et déroulé sur plusieurs années de l’existence d’une jeune femme agitée entre insatisfaction professionnelle, désir d’indépendance et hésitations amoureuses, Julie (en 12 chapitres) fait partie de ce type de films dont l’interprète principale fait tellement corps avec son personnage que si une rencontre fortuite s’engageait à l’instant dans la rue avec l’actrice, on ne saurait dire si l’on aperçoit Renate Reinsve ou une Julie échappée du monde des images.
Mais à quel point la vie de l’actrice a servi de projection à l’écriture du personnage principal de Joachim Trier ? “Le film est un mélange de mes histoires personnelles et de celles de Joachim, mais aussi d’expériences véritablement vécues par des amis et que l’on a partagées entre nous. Le personnage est très proche de moi, mais en entreprenant le rôle je voulais qu’il soit universel, qu’il appartienne à plus de monde qu’à ma seule personne. J’avais très peur de ne pas en restituer toutes les nuances”, explique la comédienne. Une multiplicité de sources d’inspiration qui donne au personnage un sentiment de vérité si tenace.
“J’ai moi-même expérimenté son voyage : être quelqu’un de très instable qui ne trouve pas sa place dans le monde. Ça fait de toi quelqu’un de seul et de triste lorsque tu ne parviens pas à trouver cette connexion dans ta vie. Tu te sens toujours un peu en dehors de toi-même car tu n’as pas encore fait tes choix. Je pense que c’est aussi dû à l’époque dans laquelle on vit, où l’on grandit plus tard par rapport à nos parents et grands-parents. Maintenant, nous avons face à nous tous ces choix d’identité. Comment tu veux travailler, avec qui tu veux vraiment être, etc. Aujourd’hui, je suis plus à l’aise à l’idée d’être moi-même, j’ai trouvé une stabilité dans ce que je suis. Julie trouve son équilibre parce que des choses heureuses lui arrivent mais aussi des événements plus douloureux, et ce sont ces derniers qui vont la ramener sur terre. J’ai l’impression d’avoir traversé la même chose.” Une stabilité enfin trouvée et que sa récente célébrité ne semble pas mettre en danger.
Un tournant sans complexe ni angoisse
Lorsqu’on l’interroge sur ce changement de statut extrêmement brutal dans sa carrière, la comédienne paraît en effet apaisée et épanouie. “Je me sens désormais libérée d’un modèle dans lequel j’étais enfermée. On me propose désormais des rôles différents. C’est un grand changement.”
Forte de ce bouleversement, elle est désormais sollicitée dans les rues d’Oslo par les gens qui la félicitent mais aussi lui expriment à quel point ils sont fiers qu’une telle chose soit arrivée à la Norvège. “Ce qui est très appréciable dans cette ville, c’est que lorsque tu deviens quelqu’un de connu, les gens restent très terre à terre et simples avec toi”, ajoute-t-elle. Aucun complexe ni aucune angoisse ne semble donc envahir Renate Reinsve quant à l’avenir.
Ce qui prédomine chez elle et ce qu’elle retient précieusement, c’est plutôt la fierté d’avoir porté un tel film : “Je suis si heureuse de ce que l’on a accompli avec Joachim, car toutes les choses dont je rêvais sont dans ce film : travailler de nouveau avec lui et autour d’un rôle si brillamment écrit. Je suis également tellement reconnaissante de la manière dont les gens se sont connectés à mon personnage, la manière dont ils se sont approprié le film et ont perçu quelque chose qui ressemble à un miroir de leur existence.”
Un tournage enchanté
Sur cette grande justesse dont le film fait preuve et qui a été beaucoup louée à Cannes, l’actrice nous révèle quelque chose d’inattendu. Si l’on aurait juré que, dans un certain nombre de scènes, les comédien·nes avaient eu recours à l’improvisation, Renate nous révèle que le scénario était tellement bien écrit que ce n’était pas nécessaire pour parvenir à saisir une certaine vérité. Sur le plateau, l’improvisation n’était pas négligée, mais servait davantage à recentrer les acteur·trices dans une scène lorsqu’il·elles s’égaraient.
La clé du tournage pour Trier étant l’énergie qu’il voulait instaurer entre ses comédien·nes. L’actrice explique, par exemple, que pour établir un climat propice à certaines scènes, le cinéaste mettait de la musique et faisait danser ses comédien·nes entre eux·elles avant de tourner la scène. Un procédé qui fait admirablement ses preuves dans le film mais qui n’est sûrement pas à l’origine de tout. “En fait, c’est juste que c’est un bon réalisateur”, conclut l’actrice en riant.
À lire aussi : L’état des lieux du cinéma nordique en 1997Toujours sur son ami cinéaste, l’actrice n’est pas avare en propos élogieux et explique l’importance de celui-ci dans la construction d’une identité du cinéma norvégien.
“Comparé aux cinémas suédois et danois, qui ont une histoire du cinéma plus ancienne, le cinéma norvégien est encore très récent, et nous avons encore peu d’expérience. Ce n’est que mon avis, mais lorsque la Norvège s’est mise à faire des films, elle regardait vers les cinémas suédois et danois mais aussi américain et tentait de reproduire ce qui existait déjà ailleurs plutôt que d’essayer de trouver sa propre voix. Joachim a travaillé si dur pour établir sa propre vision et sa manière de travailler que, désormais, on reconnaît sa signature. Il veut faire des choses que l’on n’a jamais vues avant. J’ai le sentiment que, depuis quelques années, la Norvège commence à imprimer sa propre vision du cinéma.”
Sur sa carrière à venir qui sera particulièrement attendue, l’actrice évoque une curiosité pour la réalisation et un rôle plus excentrique autour d’un projet d’un réalisateur norvégien dans lequel elle est impliquée depuis plusieurs années, et qui est en pause pour manque de financement. Renate Reinsve cause d’un “très bon scénario avec des rôles féminins fantastiques”. On peut imaginer que la célébrité nouvelle de l’actrice favorise la concrétisation du projet.
Enfin, lorsqu’elle annonce ses rêves de collaboration avec des cinéastes internationaux, ce sont deux salles, deux ambiances. D’un côté, elle adorerait explorer les espaces ensoleillés et sensuels du cinéaste italien Luca Guadagnino, et de l’autre, plonger dans les ténèbres de Lars von Trier, dont elle retient l’immense talent pour saisir l’extrême noirceur et examiner les tabous humains. Un grand écart de style qui rappelle l’éloge du non-choix cher au personnage de Julie. Entre l’ombre et la lumière, pourquoi, après tout, choisir et ne pas vivre les deux à la fois ?
Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum (Nor., Fr., Suè., 2021, 2 h 01). En salle le 13 octobre.