Qu’est-ce qu’on regarde ce samedi soir 12 juin en streaming ? “Gran Torino” sur Netflix
Acclamé aux Oscars et aux César, Clint Eastwood livre de façon éclatante à travers ce testament artistique, sa pensée sur le cinéma et son pays. Clint apparaît ici sous les traits de Walt Kowalski (homonyme du Brando de Un tramway nommé désir),...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Acclamé aux Oscars et aux César, Clint Eastwood livre de façon éclatante à travers ce testament artistique, sa pensée sur le cinéma et son pays.
Clint apparaît ici sous les traits de Walt Kowalski (homonyme du Brando de Un tramway nommé désir), ouvrier retraité de chez Ford, vétéran de la guerre de Corée, par ailleurs vieux con atrabilaire et raciste insupportable. Il y a une certaine audace de la part d’Eastwood à incarner ainsi un personnage aussi antipathique et muré dans ses certitudes rances, et il l’interprète avec un mélange de force à faire froid dans le dos et de surlignages grotesques. La manière dont il serre la mâchoire en grognant comme un doberman produit même un effet comique de répétition, mais du genre rire nerveux, de même que ses jappements racistes suscitent chez le spectateur un rire désapprobateur d’autodéfense.
Eastwood est évidemment bien différent de ce personnage et il suffit d’observer le travail de Clint cinéaste pour en avoir la confirmation. Car si Clint/Kowalski méprise agressivement la famille chinoise qui a emménagé à côté de chez lui, Clint/réalisateur consacre à ce phalanstère asiatique tout son temps et toute son attention, filmant avec empathie ses différents membres, sa nourriture, ses habitus, ses traditions. Kowalski va petit à petit desserrer les mâchoires devant la gentillesse de ses nouveaux voisins et presque se prendre d’affection pour le jeune Thao, trouvant en cet adolescent timide un fils putatif, et l’occasion de réussir un peu ce qu’il a raté avec ses propres fils. Leur relation va notamment se nouer autour des problèmes que Thao rencontre avec les gangs du quartier.
>> A lire aussi : “The Last Hillbilly”, au cœur de l’Amérique de Trump
Une Ford Gran Torino qui prend la poussièreLors d’une 1ère confrontation, Kowalski sauvera la situation avec autorité, faisant mine de dégainer un gun en pointant ses doigts comme dans les jeux d’enfant, puis pointant finalement un vrai flingue qui fait fuir les importuns. Vrai flingue, faux flingue, violence frontale ou ruse oblique, telle est la dialectique qui traverse Kowalski, ancien soldat traumatisé à vie par son expérience coréenne. D’autres lignes de partage viennent croiser celle de la violence et contribuent à complexifier le film, à éviter les manichéismes : relations difficiles entre générations, préjugés raciaux, guerres de gangs qui ne se superposent pas forcément aux lignes ethniques (des Hmong se font tabasser par un gang de Hmong). Et puis, dans le garage de Kowalski, une Ford Gran Torino prend la poussière. Sa place dans le film est secondaire, mais de la plus haute importance symbolique. C’est la voiture de Starsky & Hutch, cela aurait pu être celle de l’inspecteur Harry, symbole d’une Amérique sûre d’elle-même et de ses valeurs, signe distinctif d’un cinéma d’action où l’on flinguait aisément. C’est aussi l’objet de fierté de Kowalski retraité de chez Ford. Elle prend ainsi une résonnance particulière au moment où l’industrie automobile américaine est au bord de la faillite terminale.
Une histoire de l’Amérique d’après-guerreDans ce film fluide et classique, Clint Eastwood dresse le bilan de sa carrière, des personnages qu’il a interprétés, du mythe Dirty Harry, d’un cinéma américain tellement fondé sur les héros positifs, la violence et les gagnants qu’on ne le remarque même plus. C’est aussi une histoire de l’Amérique d’après-guerre que glisse Eastwood mine de rien, pays de la croissance économique et de l’industrie automobile, mais aussi nation pétrie dans la violence, le racisme, les conflits communautaires, les guerres urbaines territoriales, l’égoïsme consumériste.
A travers une modeste histoire de quartier, Eastwood cause de son cinéma et de son pays avec honnêteté, porte le fer dans la plaie sans chercher à enjoliver, mais en laissant un espoir pour l’avenir. Harry abattait ses proies sans état d’âme, leur disant juste en guise d’homélie : “Rien de personnel.” Léguant sa Gran Torino (autant dire toute l’Amérique) à un jeune Chinois, Clint/Kowalski semble dire qu’être un homme, c’est savoir baisser la garde, apprendre à déposer les armes, réfléchir avant de tirer : leçon intime, qu’il est loisible de décliner à l’échelle de tout un pays.
Au bout de toute une vie et d’une cinquantaine de films en sphinx laconique, Clint se livre comme jamais, incarnant même son “ennemi”, voire une image précédente de lui-même qu’il déteste, accompagnant son personnage jusqu’au bout de sa démarche, sans ciller, et c’est assez bouleversant.
Gran Torino de Clint Eastwood, disponible sur Netflix.