Qu’est-ce qu’on regarde ce samedi soir, 1er mai ? “Playtime” sur Netflix
Trop souvent, le génie de Playtime a été réduit à son caractère prophétique. Le film, réalisé en 1967 et diffusé sur Netflix dès ce 1er mai, est d’une époustouflante lucidité sur le miroir qu’il nous tend du contemporain. Une seule séquence...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Trop souvent, le génie de Playtime a été réduit à son caractère prophétique. Le film, réalisé en 1967 et diffusé sur Netflix dès ce 1er mai, est d’une époustouflante lucidité sur le miroir qu’il nous tend du contemporain. Une seule séquence suffirait à démontrer la pertinence de ce long-métrage pour regarder notre époque. Lorsque Hulot est invité chez un ami logeant dans un appartement dont l’un des murs est aménagé comme la devanture d’un grand magasin. L’intimité des résidents est transposée à l’état de vitrine, une prédiction stupéfiante de la mise en scène de nos quotidiens à l’heure d’Instagram et TikTok.
Redécouvrir Playtime aujourd’hui, c’est aussi constater que certaines prévisions sont inexactes, tout du moins partiellement. Le Paris futuriste, dont le film annonce les traits, est à l’inverse de la politique d’urbanisation des villes européennes actuelles, préoccupée par la végétalisation et la préservation de la biodiversité, mais se rapproche davantage de villes-décors plus lointaines, comme Dubaï ou Doha. De même, le nouveau modèle de l’entreprise incline plutôt vers des nids de coworking, cocooning, et la pratique du télétravail qu’aux immenses open spaces aseptisés aperçus dans le film.
>> A lire aussi : “Jour de fête”, le 1er film de Jacques Tati restauré
Ballet burlesque
Si la beauté du film est intacte, c’est que, par-delà la vérification ou non du récit d’anticipation, Jacques Tati repousse son art au seuil d’une radicalité et d’une abstraction qui demeurent indépassables dans sa filmographie. Playtime orchestre une dissolution du récit tout en explosant en même temps la figure du personnage. Hulot est réduit à un rôle de témoin : à la fois d’un spectateur sans incidence sur l’action, mais aussi de bâton de relais entre les différents décors qui se succèdent dans le film.
Rarement un film aura conduit une écriture burlesque avec une telle sophistication, une telle assurance. Là où l’architecture du genre a pour habitude d’accumuler successivement les accidents jusqu’à ce que leur somme converge vers un feu d’artifice final, le geste burlesque est ici réduit à quelques dérèglements qui ne feront jamais chavirer l’ensemble. Le sommet de ce mécanisme étant la scène du restaurant Royal Garden, tableau de 50 minutes, chorégraphié comme un ballet, que le film tire en longueur, jusqu’au vertige, lorsque le spectateur comprend que le chaos qu’il pensait advenir ne viendra jamais.
>> A lire aussi : Comment Robert Bresson a révolutionné le cinéma
Regarder, mais aussi écouter
L’autre grande ligne de force qui fait de ce long-métrage un objet plus que jamais contemporain (et plus que n’importe quel autre film de son auteur), c’est la manière même dont la réception du film peut se pratiquer aujourd’hui. Diffusé en streaming, il verra sans doute une partie de sa (re)découverte s’effectuer dans la fenêtre resserrée d’un écran d’ordinateur. Et ce, pour le meilleur. Car, au péril qu’on passe pour des blasphémateur.trice.s de la salle obscure, le cinéma de Tati, comme celui de Bresson, survit, et même, s’épanouit sur un écran d’ordinateur. L’extrême angularité des cadres est raffermie par les bordures de l’appareil tandis que la possibilité d’écoute au casque révèle plus que jamais l’incroyable spectre sonore.
Ecouter ainsi Playtime (et plus particulièrement les trois 1ers tableaux que sont l’aéroport, les bureaux et l’exposition) nous semble être au plus proche de ce que le théoricien du son Michel Chion appelle l’acoulogie. C’est-à-dire l’écoute du son pour ce qu’il est. Seul véritable personnage de Playtime, le bruit (d’un pas, d’une porte qui claque, d’un frottement sur le cuir d’un fauteuil) procure par sa musicalité un sentiment de plaisir unique dans l’histoire du cinéma. Tati en avance sur son temps, et même précurseur de l’ASMR.
Playtime est disponible en streaming sur Netflix