Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Garçon chiffon” sur Canal+
Nicolas Maury est-il trop ? Trop sensible, trop bizarre, trop exubérant ? Trop ou pas suffisamment comme il faudrait être pour occuper une place définitive et s’y installer. “Pourquoi on ne veut pas de moi ?”, demande, au début du film, Jérémie...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Nicolas Maury est-il trop ? Trop sensible, trop bizarre, trop exubérant ? Trop ou pas suffisamment comme il faudrait être pour occuper une place définitive et s’y installer. “Pourquoi on ne veut pas de moi ?”, demande, au début du film, Jérémie (Maury), jeune comédien à la carrière encore balbutiante qui vient d’être éjecté d’un rôle qu’on lui avait pourtant promis. “Pour ces cons-là, tu es trop”, répond son agent, désolé.
L’échange résonne comme une confidence chargée du vécu de son auteur, sans doute commun à tout·e apprenti·e acteur·trice monté·e un jour à Paris, ayant connu les joies et les peines de cette ascension, les rêves fanés, ceux exaucés. Etre insituable, ni au dehors ni au dedans mais à un endroit à soi, celui depuis lequel s’exprimer… Voilà le programme aussi stimulant que réjouissant de ce 1er long métrage et le mantra d’un cinéaste, jusque-là acteur de cinéma, de théâtre et depuis peu star de télé (Dix pour cent).
Excentrique mais jamais égocentrique, Garçon chiffon suit les chemins rebattus du roman de formation avec ses galères, ses hasards heureux, ses morts et ses renaissances symboliques. Mais Garçon chiffon est malin, il échappe à la tyrannie des genres. Il est chargé en références et en couleurs, il dégouline d’histoires où s’agrègent les traumas et les vicissitudes d’une vie hantée par la jalousie, le suicide d’un père, le besoin irrépressible d’être aimé, le sentiment d’abandon et le poids d’un héritage familial dont on voudrait s’affranchir sans parvenir à s’en défaire tout à fait.
>> À lire aussi : [Cannes 2021] Avec “The French Dispatch”, Wes Anderson se perd en francophilie
Comédie et désespoir existentiel
Dans le fond, Garçon chiffon est bien plus retors que son titre d’enfant boudeur et fragile. Sa beauté apprêtée (infinie sophistication de tout son monde, dialogues, intérieurs, vêtements), sa mignonnerie (l’adorable chien Gugus comme promesse d’un nouveau départ) sont des parades au service d’un principe d’élégance élargi à l’ensemble d’un film qui use de la comédie pour mieux dire le désespoir existentiel qui y règne. À l’intérieur de ce magma intime et névrotique, pas de gentille et polie confession d’un artiste s’interrogeant sur la juste dose d’impudeur à inscrire dans son autoportrait, mais au contraire le déferlement ininterrompu de soi.
Il faut certainement être un peu fou pour écrire et interpréter le rôle-titre de son 1er film. Nicolas Maury le sait et il s’en amuse en confiant, le temps d’une scène de satire drolatique, le rôle d’une cinéaste furibonde à son amie Laure Calamy (excellente dans cette partition déjantée). Fou, un peu parano sans doute et irrésistiblement romantique. Garçon chiffon est un film d’outrance contrôlée, pas tellement survolté. Il est au contraire doux et cotonneux, mais déjà un film-somme qui scelle les obsessions d’un auteur-acteur et porte en apothéose son art de jouer, un burlesque délicat auquel tout son corps de pantin mélancolique et son regard écarquillé se plient.
Comme un roman-photo
Garçon chiffon est beau, drôle et émouvant parce qu’il n’a peur de rien, ni de trébucher, ni de se faire mal (un œil au beurre noir vient vite décorer le visage de Jérémie), ni même de chanter ses sentiments à un inattendu amoureux hétéro (autre belle prouesse d’un film qui attire les contraires et interroge la masculinité). Le film se déplie comme un roman-photo, avec ses longues plages de temps, ses vitesses contraires (euphorie ou stase dépressive) ses séquences qui durent et ramassent les bouts de ce garçon en miettes qui se répare auprès des autres.
>> À lire aussi : Dans “Bergman Island”, Mia Hansen-Løve invoque l’esprit d’Ingmar
Film plein à craquer, éparpillé et à la fois extrêmement tenu, qui regarde en arrière pour mieux voir ce qui vient, Garçon chiffon est aussi l’histoire d’un exorcisme qui passe par un retour au bercail. Déprimé mais prêt à décrocher un rôle au théâtre, Jérémie va se ressourcer chez sa mère, merveilleuse Nathalie Baye, aimante et tendrement sèche comme une mère qui ne veut pas que l’on s’inquiète de son inquiétude.
Retourner du côté de son enfance, c’est alors pour Jérémie replonger dans une fiction, s’apercevoir qu’une autre l’a remplacée. C’est aussi se rappeler pourquoi il fallait la quitter. Y revenir, c’est ouvrir la voie à une guérison pour que l’adulescent prenne enfin la fuite et que “le jeune homme mélancolique” (le Moritz de L’Éveil du printemps, “un rôle pour toi”, lui répète-t-on) quitte les coulisses et occupe le devant de la scène.
Garçon chiffon de Nicolas Maury est à regarder ce soir à 22 h 38 sur Canal+ et également disponible en replay sur MyCanal jusqu’au 13 août.