Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Hyènes” sur Arte

La popularité de Djibril Diop Mambéty est soumise à plusieurs obstacles. D’une part, la légende de son ainé et compatriote sénégalais Ousmane Sembène (Moolaadé, La noire de...) dont il est toujours resté dans l’ombre et une œuvre très peu fournie...

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La popularité de Djibril Diop Mambéty est soumise à plusieurs obstacles. D’une part, la légende de son ainé et compatriote sénégalais Ousmane Sembène (Moolaadé, La noire de...) dont il est toujours resté dans l’ombre et une œuvre très peu fournie en nombre (seulement deux longs métrages tournés et plusieurs moyens métrages), pourtant à l’origine d’au moins deux très grands films. Si Touki-Bouki, son 1er film, célébrait la jeunesse et la fougue, Hyènes, le second réalisé près de 20 ans plus tard, peut être considéré comme son double opposé. De Touki-Bouki, Hyènes ne garde pas grand-chose, si ce n’est le même constat acerbe du postcolonialisme dans son pays.

Adapté d’une pièce célèbre de Dürrenmatt, le film relate le retour de Linguère Ramatou après trente ans d’absence dans son village natal touché par la famine. Devenue richissime, elle offre toute sa fortune à la ville en échange de la mise à mort de l’amant qu’il l’a trahie autrefois.

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L’aridité du paysage et le dépouillement de l’histoire renvoient à deux mythologies, l’une multimillénaire et l’autre vieille d’à peine quelques décennies. La 1ère est la tragédie antique dont le film reprend l’argument liminaire du retour au pays d’un des personnages suite à un long exil (notamment le retour du roi Agamemnon après 10 ans de guerre dans la pièce éponyme d’Eschyle). C’est également dans la façon dont le récit orchestre calmement, avec une sérénité inquiétante, le funeste destin de son héros que l’on pense à l’auteur grec. La caméra de Djibril Diop Mambéty se délaisse de toute préoccupation psychologique et soumet ses protagonistes à un pur rapport de causalité et de détermination.

Amateur de western

Deuxième épisode d’une trilogie sur le pouvoir et la folie initiée par Touki-Bouki, Hyènes fixe avec une rigueur implacable le règne de l’argent et la déliquescence morale qu’il engendre sur une communauté (métaphore à peine voilée de l’asservissement des économies africaines par les politiques occidentales).

Chez lui et comme pour beaucoup de cinéastes nés après 1945, le désir de cinéma naît d’une épiphanie appelée le western. Enfant, il voit Le train sifflera trois fois, et décide de devenir Gary Cooper. De longues années plus tard, le cinéaste garde le même attachement au genre américain dont il rejoue plusieurs motifs dans Hyènes. Non pas la vivacité et le lyrisme des grands films de studio des années 1940 et 1950, mais le chant du cygne de deux grands maîtres du classicisme hollywoodien que sont Frontière chinoise de John Ford (1965) et Rio Lobo de Howard Hawks (1970).

Au-delà de leur caractère testamentaire, réalisés quelques années avant la mort de leur auteur, on perçoit dans ses trois films la même confiance dans une logique de soustraction de la mise en scène, le même rythme délicieusement lancinant, le même regard posé sur les hommes, désabusé mais pas résigné, malgré tout gorgé de compassion et d’humour. Fatigués, à bout de souffle, leurs personnages sont gagnés par la même ironie lorsqu’ils sont confrontés à la mort. Au célèbre “So long, you bastard !” lancée par l’héroïne de Ford lorsqu’elle se donne la mort dans le dernier plan du film, le personnage de Djibril Diop Mambéty répond “Peur de quoi ?” au prêtre du village lorsque celui-ci lui demande s’il redoute la mort.

Derrière la figure du héros et du mythe depuis longtemps dissolu, les trois films dessinent un portrait puissant de femmes en proie à la barbarie et la lâcheté des hommes. C’était une Mexicaine balafrée dans Rio Lobo, un groupe de femmes face à l’atrocité d’un chef de guerre mongole dans Frontière chinoise, et dans Hyènes, c’est la figure bouleversante de Linguère Ramato, jadis reine de jeunesse et de beauté et maintenant messagère intransigeante et impassible de la vengeance. “Le monde a fait de moi une putain, je veux faire du monde un bordel” Lorsqu’elle s’offre le châtiment de l’amant qui l’avait délaissée, elle disparaît de l’image. Sur son visage, la tristesse est intacte. Cette fois, l’argent n’a pas triomphé.

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