Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Juste la fin du monde” sur Arte
Adaptation de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde est reparti en 2017 avec trois César parmi lesquels celui du meilleur réalisateur pour Xavier Dolan. Commençons par le milieu, et ce clin d’œil subreptice envoyé par Gaspard Ulliel...
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Adaptation de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde est reparti en 2017 avec trois César parmi lesquels celui du meilleur réalisateur pour Xavier Dolan.
Commençons par le milieu, et ce clin d’œil subreptice envoyé par Gaspard Ulliel à Vincent Cassel. Ils sont frères, ils ne se sont pas vus depuis douze ans, ils se toisent, se taisent, et soudain se teasent par ce petit geste inattendu qui dit tout des non-dits accumulés. Dans la maison familiale, quelque part en France (on n’en saura pas plus), en ce dimanche de canicule, le fils prodigue a accepté de revenir une dernière fois, pour annoncer à ses proches qui ne le sont plus, qu’il va mourir.
Nathalie Baye géniale en mère almodovarienneMourir de quoi ? On ne le saura pas, mais on peut supposer que le sida s’apprête à l’emporter, comme il emporta en 1995, à 38 ans, le dramaturge Jean-Luc Lagarce, auteur du texte adapté ici par Xavier Dolan. Gaspard Ulliel, comme bloqué sur les touches YSL et néanmoins irréprochable, interprète cet artiste monté à la capitale (« t’es toujours dans le quartier… le quartier gay ? » lui demande sa mère), devenu légende pour sa famille qu’il ne voit plus, mais qu’il maintient en état d’adoration en leur envoyant régulièrement des cartes postales.
Collectionneuses de ces missives elliptiques, Nathalie Baye, géniale en mère almodovarienne (elle ressemble dans certains plans à Carmen Maura) et Léa Seydoux, désarmante petite sœur provinciale aux tatouages ringards, se sont mises sur leur trente et un pour accueillir leur beau Swann, tandis que Vincent Cassel, grand frère ayant choisi un devenir-fourmi (on ne l’avait pas vu aussi juste depuis longtemps), se renfrogne de tant d’attentions portée à la cigale-Ulliel. Et puis il y a sa femme, la belle-sœur, Marion Cotillard, petit oiseau délicat et maladroit posé au milieu de ce champ de bataille.
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Une nécessité cinématographiqueDécrire longuement les personnages n’est pas superflu, car il n’y a qu’eux. L’intrigue, aussi elliptique que les dites cartes postales, est ramassée sur quelques heures (avant et après un déjeuner), et une poignée de décors (un salon, des chambres, l’habitacle d’une voiture). Composé à 90 % de gros plans sur les visages des acteurs (tous à leur meilleur), le film n’est fait que de discussions, souvent amères, parfois drôles, comme un précis de rancœurs familiales qu’on aurait déjà vu cent fois – deux fois rien que cette année à Cannes, chez Cristi Puiu ou Paul Verhoeven, et chez Dolan lui-même, dans Tom à la ferme –, mais que le cinéaste québécois s’évertue, avec succès, à revitaliser.
Ce pourrait être du théâtre filmé, c’est exactement l’inverse. Dolan, fidèle à lui-même, charge chaque plan, jusqu’à la gorge, d’une nécessité cinématographique. Filmés dans un 35mm luxuriant, ces cinq visages sont comme des notes de musique avec lesquelles s’écrit une partition, qui évoque davantage le minimalisme répétitif et dissonant d’un Philip Glass que la symphonie pop et lyrique de son précédent film, Mommy.
Le temps qui reste
De la pop il y a certes – dont une chorégraphie merveilleuse sur Dragostea Din Tei du kitschissime groupe roumain O-Zone ; ou un pastiche de pub Levis sur une reprise de Françoise Hardy –, mais elle ne parvient plus à écarter les bords de l’écran. Pas besoin, direz-vous, puisque celui-ci est d’emblée en scope : sauf que rarement ce format aura paru si étouffant, si capiteux, si guindé. Flotte sur Juste la fin du monde, en accord avec son titre, un parfum de mort (le visage d’Ulliel semble se défaire en direct, la dernière image est terrible). Ou plutôt qu’un parfum de mort, une conscience aiguë du temps qui passe.
Le film débute à peine qu’il est ainsi abrégé, brutalement. C’est que Xavier Dolan (plus jeune palmé de… ah pardon, prix spécial du jury à 25 ans), est un homme pressé. Depuis ses vingt ans, il accumule les longs-métrages comme d’autres les clips, fonce, grille les priorités, méprise les politesses. Et ce nouveau film est celui où apparaît le plus clairement cette peur de n’avoir pas le temps. Donc il va donc droit au but, sans séduction, au cœur de son propos : il n’est de haine qui vaille qu’on ne s’aime.
Et tout ça passe en un regard, un regard entre frangins qui savent que c’est déjà trop tard, mais qu’il faut quand même jouer le jeu. C’est juste un clin d’œil, et c’est sublime.
Juste la fin du monde de Xavier Dolan, diffusé ce mercredi 23 juin à 20h55 sur Arte.