Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “La Fleur du mal” sur Netflix
Un air ancien interprété par Damia (Un souvenir) qui évoque les années 40, un escalier qu’on remonte comme le temps. Dans une chambre, une jeune fille pleure. Dans la pièce voisine, le cadavre d’un homme. Après cette entrée en matière dans...
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Un air ancien interprété par Damia (Un souvenir) qui évoque les années 40, un escalier qu’on remonte comme le temps. Dans une chambre, une jeune fille pleure. Dans la pièce voisine, le cadavre d’un homme.
Après cette entrée en matière dans le passé, saut dans le présent. L’aéroport de Bordeaux. Un jeune homme, François Vasseur (Benoît Magimel, toujours excellent chez Chabrol), revient des “States” après trois années d’absence. Il retrouve les siens : son père pharmacien Gérard (Bernard Le Coq dans l’un de ses meilleurs rôles, merveilleusement ambigu), sa grand-tante Line (Suzanne Flon), sa cousine et demi-sœur un peu trop adorée Michèle (Mélanie Doutey), et sa belle-mère Anne Charpin-Vasseur (Nathalie Baye, géniale), en pleine campagne électorale briguant le mandat de maire, toujours escortée par son assistant ambitieux (Thomas Chabrol, parfait). Nous sommes dans la bonne bourgeoisie girondine, et ce spectacle nous délecte.
Une famille s’aime “trop”
Mais voici qu’un tract anonyme circule dans la petite ville. Y sont rassemblées toutes les turpides des Charpin et des Vasseur depuis plusieurs générations. La famille est choquée, mais Gérard laisse tomber un : “Tout est vrai.” Oui, tout est vrai, comme nous allons bientôt le découvrir. L’inceste, même quand il n’est pas dit, circule dans la famille comme si c’était normal. François et Michèle s’aiment trop (ils couchent ensemble et ne cachent pas leurs sentiments devant le reste de la famille). Anne et Gérard ont d’abord été respectivement mariés avec le père de Michèle et la mère de François. François porte le prénom du frère “trop aimé” de la charmante Tante Line, dont le vrai prénom est Micheline, suspectée d’avoir tué son père (un horrible collaborateur) à la Libération. Oui, les Charpin et les Vasseur frayent ensemble depuis très longtemps, c’est la famille “tuyaux de poêle”, comme le dit délicatement le tract… Ce que ne sait pas le corbeau, c’est que son texte anonyme va faire ressurgir des fantômes, et en provoquer un nouveau. Car “le temps n’existe pas, c’est un présent perpétuel”, dixit la Tant Line.
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Le scénario, écrit par la psychanalyste Caroline Eliacheff et la romancière et essayiste Louise L. Lambrichs, charge évidemment la barque, mais on aurait aimé être au-dessus de l’épaule de Claude Chabrol quand il a écrit ses dialogues, tant il parvient, par une mise en scène machiavélique, à en éviter les lourdeurs symboliques pour en faire un sommet de son cinéma. A la fois charge contre la bourgeoisie, contre la politicaillerie, et film extrêmement sensible et pudique sur les sentiments des êtres humains.
La vraie “fleur du mal”
Le personnage principal de La Fleur du mal, c’est la famille tout entière. La “fleur du mal”, c’est le ver qui est dans le fruit, c’est le secret (“Chabrol, cinéaste du secret”, comme on le lit parfois). Mais le fruit était déjà pourri. Le mal s’est un jour infiltré dans une famille, il n’en sortira plus. Car la famille est un jardin clos, comme le salon d’hiver de la tante Line. Et la dynastie Charpin-Vasseur une sorte de famille au carré : comme chez les dieux, on s’y marie et reproduit entre soi depuis plusieurs générations…
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L’un des personnages les plus chabroliens du film est celui de Gérard Vasseur (Bernard Le Coq). Il rappelle le Jean Yanne de Que la bête meure ou Jacques Dacqmine dans Inspecteur Lavardin : “hypocrite, méchant, jouisseur”, comme le décrit son fils, personne ne l’aime. La bête doit mourir, chez Chabrol, et souvent de la main d’un de ses enfants… Comme le père de Line.
Mais ne dévoilons pas tous les secrets de La Fleur du mal, qui bien évidemment résonne aujourd’hui avec l’actualité et la révélation récente que l’inceste gangrène la société française depuis sans doute bien longtemps. C’est en cela que La Fleur du mal est un des films les plus violents de Chabrol : ici, pas de cas de folie affichée, apparente, pas de maladie mentale, tout le monde semble normal (ou fou), et c’est ce qui est le plus terrifiant.Reste l’humour chabrolien, qui parvient à transformer le déplacement d’un cadavre en une scène de comédie. Pour l’anecdote, on s’amusera aussi à constater, une fois de plus dans sa filmographie, mais un plus encore dans ce long-métrage, que le cinéaste s’est entouré de nombreux membres de sa famille au sens large : son épouse Aurore (sa scripte), ses deux fils (Thomas l’acteur, Matthieu le compositeur), sa belle-fille Cécile Maistre (son assistante) et même le père de celle-ci, l’admirable acteur François Maistre. La famille, sujet intarissable. “Il n’y a d’histoire que de famille”, disait Roland Barthes.
La Fleur du mal de Claude Chabrol, disponible en streaming sur Netflix