Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Miller’s Crossing” sur Arte
Il y a des potato eaters (irlandais), des guineas (italiens), des sheenies (juifs), des speakeasies, des mitraillettes Thompson, une femme fatale et beaucoup de chapeaux de feutre dans ce troisième film d’Ethan et Joel Coen, sorti en 1990....
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Il y a des potato eaters (irlandais), des guineas (italiens), des sheenies (juifs), des speakeasies, des mitraillettes Thompson, une femme fatale et beaucoup de chapeaux de feutre dans ce troisième film d’Ethan et Joel Coen, sorti en 1990. Un œil inattentif pourrait identifier comme rien de plus et rien de moins qu’un pur exercice de style, voire une imitation vitrifiée des codes du film noir des années 1930. Pourtant Miller’s Crossing, assez rare dans l’œuvre des frères par sa manière d’assumer une authentique fresque de genre pratiquement dépourvue d’humour, est bien plus retors et étrange.
S’il ressemble à quelque chose, c’est moins à L’Ennemi public de William Wellman, ou à un quelconque film de l’âge d’or du genre, que par exemple aux Incorruptibles de Brian De Palma, sorti quatre ans plus tôt. Un film avec lequel il partage un rapport au film de gangsters à la fois totalement abstrait – une enfilade de décors étrangement vides, peuplés d’archétypes à leur état le plus chimiquement pur – et totalement baroque, avec sa mise en scène d’un classicisme exacerbé et dont le rythme empesé, les trouées de silence et les grands mouvements panoramiques donnent à beaucoup de scènes la texture du rêve.
>> A lire aussi : Le cinéma des frères Coen en 7 motifs récurrents
Un bandit mélancolique
C’est dans ce rêve, à l’ombre des persiennes (beaucoup de scènes rideaux tirés, accentuant la somnolence et l’odeur de renfermé), qu’avance Miller’s Crossing, déambulant dans la langue morte du film noir avec la langueur, la lenteur et l’impression de noyade d’un corps qui se meut dans l’eau. A travers le personnage central de Tom Reagan, bandit mélancolique passant d’un camp à un autre, sans qu’on sache jamais s’il le fait par calcul, par instinct, par amour ou par ennui, se fait jour une espèce de crise existentielle du genre, où les déplacements des pièces du plateau apparaissent comme dérisoires. Epargner untel, tuer un autre, se sauver soi-même, cela a-t-il au fond la moindre importance ? La guerre des gangs, la loi du plus fort ou du plus malin et les passions amoureuses sont gagnées par une lassitude, une indifférence à l’issue du jeu, à la mort, à l’exil – comme tous ces personnages parlant sans cesse de “leave town” (quitter la ville), et dont on sent qu’ils pensent plutôt à quitter le monde.
>> A lire aussi : L’art du pastiche chez les frères Coen
Le silence de Dieu, grand sujet coenien sinon le 1er (A Serious Man) est peut-être déjà là, dans cette pénurie asphyxiante de sens, et dans ce geste, somme toute inexplicable, que Tom finira par commettre, comme pour rompre les ponts avec toute chance de trouver un motif à sa place ici-bas. Il n’est pas, loin s’en faut, le seul mystère de ce film drapé dans les étranges symboles totémiques (le chapeau que l’on perd, que l’on retrouve, dont on rêve, dont on cause, que signifie-t-il ?) et les épais sous-textes (l’homosexualité inavouée d’au moins deux personnages, probablement trois, et pourquoi pas tous). Les bros, pourtant sans scintiller au box-office, apparaissent pour la 1ère fois comme des auteurs majeurs. Leur film suivant (Barton Fink), écrit en trois semaines pendant une panne d’inspi sur celui-ci, obtiendra la Palme d’or.
Miller’s Crossing est diffusé ce soir lundi 26 avril, à 22h50, sur Arte