Qu’est-ce qu’on regarde en streaming ce soir ? “Zero Dark Thirty” de Kathryn Bigelow sur Netflix
Lorsque le film de Kathryn Bigelow est sorti en 2012, la critique américaine lui reprochait de montrer l’efficacité des techniques de torture dans l’obtention d’informations. Comme si la question de l’inefficacité du procédé suffisait à le...
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Lorsque le film de Kathryn Bigelow est sorti en 2012, la critique américaine lui reprochait de montrer l’efficacité des techniques de torture dans l’obtention d’informations. Comme si la question de l’inefficacité du procédé suffisait à le disqualifier, comme s’il n’y avait pas d’autres raisons, moins pragmatiques, plus humanistes, de proscrire la torture. Si les détracteurs du film utilisent une telle argutie, c’est peut-être qu’il est plus difficile d’attaquer Kathryn Bigelow sur des questions de représentation. Car précisément les scènes de torture, effectivement longues et détaillées, qui ouvrent Zero Dark Thirty me paraissent totalement exemptes de complaisance à l’égard des violences physiques opérées.
L’usage du waterboarding (simulation de noyade) et de l’humiliation, l’alternance entre la douceur et les coups semblent enregistrés par une caméra de surveillance douée d’intelligence, apte à découper, cadrer avec précision, restituer tous les enjeux, mais totalement dénuée d’affect. Elle documente, renseigne avec une précision méticuleuse sur les faits accomplis, mais ne s’indigne pas plus qu’elle ne chercherait à justifier le bien-fondé des procédés. En suspendant l’expression de tout jugement, de toute forme de commentaire ou d’indignation, le film produit malgré tout un très grand trouble – et ménage à sa façon, faussement détachée, un espace où le spectateur, sans qu’on lui flèche d’aucune manière ce qu’il doit penser, peut être profondément choqué par les méthodes utilisées.
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Du point de vue des agents de la CIA
A aucun moment, les personnages soupçonnés de complicité dans l’attentat du 11 Septembre ne sont montrés comme des pantins fanatiques qu’on agite pour épouvanter le spectateur occidental (on ne saurait en dire autant des plans sur les islamistes iraniens d’Argo de Ben Affleck). De façon symétrique, la manière dont l’agent de la CIA qui pratique la torture est filmé, comme un sympathique beau gosse, affable et détendu, cinq minutes avant d’abandonner un prisonnier replié dans une cage minuscule, produit un effet de rupture très puissant. Tout comme l’absence totale d’expression du moindre remords. Le manque d’indignation que certains reprochent au film s’inscrit dans un choix plus large consistant à ne rien stigmatiser (pas plus le terrorisme que les méthodes utilisées pour sa répression) mais à consigner des faits, en adoptant une écriture qui pourrait être celle d’un rapport.
La froideur factuelle du film, qui frise l’aridité, est son meilleur atout. Sa forme tatillonne épouse le typage d’un personnage presque uniquement défini par sa détermination. Le sujet du film est l’aptitude d’une jeune femme, Maya (Jessica Chastain, immense), agente du renseignement américain, à poursuivre un objectif envers et contre tout, quitte à braver l’autorité ou à trahir de façon particulièrement retorse son supérieur hiérarchique direct (l’excellent Kyle Chandler, de Friday Night Lights et Super 8, qui, coïncidence amusante, supervise aussi l’intervention à Téhéran d’Argo). À la façon de la série Homeland, le film pointe la dimension névrotique de cette détermination. Zero Dark Thirty devient l’histoire d’une obsession qui dévore chez son sujet toute autre forme de rapport au monde. Et la cinéaste est elle-même obsédée par l’obsession de Maya. C’est une très bonne idée d’avoir réduit à l’os la qualification du personnage, de ne lui adjoindre presque aucune indication biographique, de ne surtout pas alterner les scènes de la vie privée et celles de la vie professionnelle. Elle ne connaît aucune extériorité à son enquête, n’est rien en dehors de ce qu’on la voit faire à l’écran.
Une dernière scène essentielle
Mais c’est probablement la dernière scène qui invalide le plus nettement l’accusation de glorification des activités de la CIA. Certes, l’opération se solde par une réussite. L’objectif est atteint, la cible éliminée. Mais c’est peu dire que cette réussite est montrée sans le moindre lyrisme. Le film neutralise toute forme de gloriole (là encore à l’encontre d’Argo) ou d’identification à la satisfaction de ceux qui ont accompli leur tâche. La mission remplie, il ne reste qu’un grand vide, un personnage qui ne se réduit plus à sa fonction et ne se perçoit plus désormais que comme un ectoplasme. Un fantôme, guère plus incarné que l’ombre fuyante qu’il traquait. Et cette brutale chute de tension est une des plus belles fins vues au cinéma en 2012.
Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow est actuellement disponible sur Netflix