Qui est Fishtalk, le groupe noise qui sonne le glas du rock à papa ?
“L’idée n’est pas de se remettre dans une posture qui avait du sens il y a quarante ans. On est dans un contexte nouveau et il faut faire de la musique qui a du sens aujourd’hui”, avançaient les Psychotic Monks dans nos colonnes, en 2019. Soit...
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“L’idée n’est pas de se remettre dans une posture qui avait du sens il y a quarante ans. On est dans un contexte nouveau et il faut faire de la musique qui a du sens aujourd’hui”, avançaient les Psychotic Monks dans nos colonnes, en 2019. Soit composer une musique corrélée à la marche du monde et ses tressaillements, son agitation, ses vicissitudes – se faire porte-voix des affres de l’époque, en somme.
Voilà qui traçait déjà le chemin qu’une frange de la scène indépendante allait emprunter dans la foulée : celui d’une musique noise au propos acéré, reflet d’un moment politique et social qui ne laisse plus de place au futile. Un mouvement auquel Fishtalk n’a pas tardé à se rallier.
Filiation
À leurs débuts, Mathilde Gresselin (chant, basse, synthé), Valentin Moncler (batterie, production), Ismaël et Corentin Maretheu (guitares) manipulaient plutôt des textures vaporeuses aux couleurs shoegaze, matière sonore sur laquelle se déployait la voix de Mathilde, éthérée. Un choix artistique fidèle à leurs influences d’alors, régies par Slowdive ou Blonde Redhead… mais plus vraiment d’actualité aujourd’hui.
“On est un peu ce qu’on bouffe”, analyse Mathilde à ce propos lorsque l’on rencontre le groupe, une matinée pluvieuse et un brin maussade – météo propice à plonger dans les guitares brumeuses qui font le shoegaze, par ailleurs. “Avant, on écoutait des trucs vachement plus doux […] puis on a découvert des choses beaucoup plus abrasives. Nos influences ont changé et naturellement, on s’est mis à faire plus de bruit.” Parmi ces influences, entre autres : les New Yorkais de Model/Actriz, Arca, l’illustre Kim Gordon… Et, sans surprise aucune, les Psychotic Monks – pour qui le quatuor a d’ailleurs assuré une poignée de 1ères parties, l’année dernière.
“Les Psychotic Monks ont pavé la route pour des gens comme nous”
Car en flairant une certaine filiation entre ces dernier·es et Fishtalk, il semble que l’on ne soit pas complètement à côté de nos pompes. “C’est une analogie que les gens font beaucoup, et nous aussi par la force des choses”, amorce Mathilde. Et ce, “pour tout ce qu’iels représentent, et dont on pensait que ça n’existait pas dans la scène rock en France, à savoir des personnes queer qui ne jouent pas sur les codes de la masculinité”, complète Corentin. Avant de renchérir : “Iels ont pavé la route pour des gens comme nous.” Manière de saluer l’audace de leurs aîné·es, avec qui les quatre musicien·nes partagent esthétique musicale et valeurs.
Un propos féministe sans équivoque
Fishtalk ne se contente pas d’étendre sa palette sonore pour mieux la triturer, non, le groupe se plaît aussi à lacérer l’imagerie rock pour mieux la remodeler. Et ce, par les représentations autant que par le propos, lesquels sont “indissociables”, assure le groupe. “Ce n’est pas un hasard si, à partir du moment où l’on a commencé à faire une musique plus noise, on a revendiqué des choses plus spontanément. Même notre manière de nous présenter sur scène a changé… Tout ça fait partie d’un tout, on devient plus explicite dans ce qu’on a envie de dire”, détaille Corentin.
Voilà le fruit d’un cheminement personnel avant d’être collectif, nourri par leurs expériences intimes comme artistiques. “Ces dernières années, beaucoup de choses se sont passées dans nos vécus, on a fait nos coming-out, on a découvert notre queerness après la formation du groupe…”, retrace Mathilde. “Et même grâce au groupe et à la scène”, abonde Ismaël.
Cela se ressent dans leur plume. Alors que le 1er EP du groupe – Shutdown, sorti en 2021 – se voyait parsemé d’une poésie intime, explorant la douleur du deuil ou celle des au revoir, le second – OUT, à paraître le 19 avril prochain – impulse un projet légèrement plus radical… “Brûler le patriarcat”, indique Mathilde. Voilà qui transparaît dans chacun des titres qui y figurent, à commencer par l’orageux Men Are Dead, 1er single extrait du disque en question.
“Certaines chansons sont teintées de violences patriarcales, de périodes assez difficiles… C’est la colère et la souffrance qui font que les textes sont devenus un peu énervés et féministes”, livre la chanteuse, en conservant une forme de pudeur. Les prononcer sur scène lui permet justement d’“évacuer” cette douleur solitaire pour “en faire un truc collectif”.
Repenser les espaces
Par la force des choses, les concerts deviennent ainsi de nouveaux espaces de réflexion et les membres de Fishtalk s’en saisissent, en tant que musicien·nes mais aussi en tant que public. Mathilde en est persuadée, ce qui se trame de part et d’autre de la scène a le “pouvoir de modeler les imaginaires, les rêves, les envies des gens”. “J’ai de plus en plus de mal à recevoir un concert où l’énergie que l’on me renvoie est agressive et masculine… Pareil avec les groupes qui renvoient une image tellement boys club avec ce côté ‘on met un pied sur le retour et on transpire la testostérone’”, cingle ensuite Corentin.
“Il y a un truc dans l’image du groupe de rock auquel je n’ai pas du tout envie que l’on s’apparente”
Des concerts – ou messes viriles, c’est selon – qui ne leur inspirent que de la méfiance et les poussent à vouloir en redessiner les contours. “Il y a un truc dans l’image du groupe de rock auquel je n’ai pas du tout envie que l’on s’apparente. Donc c’est important d’en faire plus, de performer le truc un peu queer pour se désolidariser du côté mascu”, poursuit-il. Mathilde acquiesce, elle qui n’hésite pas à “[rembarrer] automatiquement” les grands gaillards “qui gueulent” lorsqu’elle et ses compères performent, “parce que c’est naze en fait”, raille la chanteuse.
Savoir veiller sur son public
Une vigilance sans doute nécessaire pour faire de la scène un lieu d’affirmation de soi. Iels assurent justement y voir une responsabilité : celle de déconstruire l’image de tour d’ivoire qu’elle inspire parfois et ainsi veiller sur les gens qui les écoutent. Car, en tant qu’artiste, “tu as une influence sur ce qui se passe dans la salle”. “Ça invite à être attentif et même si l’on ne trouve pas forcément les réponses, ça pose les questions de comment faire pour que les personnes s’y sentent bien. Elles viennent exprès pour nous voir, alors on a envie de créer un espace safe pour elleux”, insiste Valentin, batteur et producteur du groupe.
Une sensibilité qui augure de nouvelles perspectives plus affables pour les cultures underground. Si l’on a longtemps consenti, en concert, à recevoir moult pluies de bières, le coup de pied maladroit d’un dadais qui slame ou bien ses coudes dans l’échine en plein pogo, est sans doute venu le moment de repenser tout ce folklore – pour le meilleur. Après tout, la douceur n’a-t-elle pas elle aussi sa place dans les fosses ?
Fishtalk en concert à La Boule Noire, à Paris, le 24 avril aux Inrocks Super Club, avec Alias et Maïcee. Vous pouvez réserver vos billets à cette adresse. OUT (Petite Biche Records), sortie le 19 avril.