Qui était donc K-Hand, la “First Lady of Detroit” ?
Quand on cherche son nom dans les index des bibles de l’histoire de la techno et de la house que sont des livres comme Last Night A DJ Saved My Life de Bill Brewster et Frank Broughton, Techno Rebelle d’Ariel Kyrou ou Techno Rebels de Dan Sicko,...
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Quand on cherche son nom dans les index des bibles de l’histoire de la techno et de la house que sont des livres comme Last Night A DJ Saved My Life de Bill Brewster et Frank Broughton, Techno Rebelle d’Ariel Kyrou ou Techno Rebels de Dan Sicko, une chose est frappante : impossible de trouver la moindre référence à Kelli Hand connue principalement sous le nom de K-Hand. Une DJ et productrice phare de la techno de Detroit depuis ses débuts, rare (voire unique) femme dans le game, toujours alerte et au top 30 ans après son 1er set de DJ à la fin des années 80’s et qui malheureusement vient de nous quitter le 3 août dernier.
L’annonce de sa mort (pour des raisons encore inconnues) ayant été confirmée par ses proches, les hommages en l’honneur de cette pionnière – et venant de légendes de la dance music comme Mike Servito, Hardfloor ou Tommie Sunshine – n’ont cessé de se multiplier sur les réseaux sociaux. Chacun rappelant à quel point K-Hand fut une source d’inspiration pour la scène électronique mondiale avec son génie de la rythmique et son habilité à mixer soul, techno, hardcore et acid. Et ce jusqu’à la fin, ses bookings – des raves aux petits clubs underground, des festivals gigantesques aux sessions Boiler Room – étaient nombreux, la preuve ultime du respect immense que la club culture (qui lui devait beaucoup) lui vouait.
Mad respect for Kelli Hand. We finally met in London of all places a few years ago. Those Acacia records; she was pioneering! You leave us with an inspirational Detroit music legacy. Thank you. Rest eternal, K-Hand pic.twitter.com/wmxyn3EtXK
— Mike Servito (@mikeservito) August 4, 2021
>> À lire aussi : Paul Johnson, légende de la house, est mort
Detroit ConfidentialOn sait peu de choses sur Kelli Hand, sinon qu’elle est née en 1966 à Detroit et qu’adolescente, déjà fascinée par le clubbing, elle est une habituée du Paradise Garage – le club mythique créé à la démesure de Larry Levan, le grand-père de tous les DJs actuel·les –, quand elle ne se rend pas à Chicago pour écouter Ron Hardy au Music Box. “J’ai commencé à me passionner pour la dance music quand on allait fréquemment avec des amis à New York pour danser au Paradise Garage, déclarait-elle au site Gridface en 2010. Le club était incroyable, il n’y a pas de mots pour en décrire l’ambiance, et tous les gens qui ont eu la chance d’y pénétrer ne diront pas le contraire. C’était une période où il n’y avait pas, comme aujourd’hui, d’immenses DJs partout et Larry était un des rares de la profession qui remixait des gros tubes pour qu’ils puissent être joués au Paradise Garage, il passait les morceaux qu’il aimait, pas ce que le public attendait et ça faisait toute la différence. On passait le week-end sur le dancefloor et au petit matin je filais dans les magasins de disques pour essayer de trouver les disques que Larry avait joué, je les ramenais chez moi et je m’entraînais à les mixer dans ma chambre.”
Amie avec Frankie Knuckles, Ron Hardy ou Ken Collier (un des DJs et producteurs de techno parmi les pionniers de Detroit et malheureusement trop peu connu), elle se lance dans le deejaying au début des nineties poussée par ce dernier qui lui offre une résidence au Zipper de Detroit (un des clubs qui devient plus tard l’épicentre de la techno naissante avec le Heaven et le Music Institute). La clientèle y est majoritairement féminine et adore danser sur ses sets survoltés qui durent tout le week-end. Mais, avec le sens de l’exigence qui est le sien, elle commence aussi à produire ses 1ers disques, histoire de ne pas avoir les mêmes morceaux à jouer que les autres DJs et d’imprimer sa patte sur le dancefloor.
Sa 1ère sortie, Think About It (1990), sous le pseudo Etat Solide, et déclinée en 4 versions qui vont de la house piano à la techno bruitiste et minimale, remercie tout particulièrement sur les notes de pochette le label Underground Resistance, balise de la techno, et les jeunes acteurs du mouvement que sont à l’époque Jeff Mills, Mike Banks, Mike Clark et Robert Hood. Tous ont alors eu la délicatesse de passer la voir quand elle composait son 1er morceau Hood et Clark, l’aidant même à finaliser l’enregistrement et la production. Fasciné par le résultat final, Jeff Mills lui propose de sortir l’EP sur Axis, son propre label, mais déjà réputée pour son caractère en acier trempé, Kelli refuse et en profite pour monter le sien : UK House Records.
Un an plus tard, elle le rebaptise Acacia Records, du nom d’une célèbre rue de Detroit où elle habite. C’est le point de départ d’une carrière sans failles et sans répit durant laquelle la productrice aligne les maxis (plus d’une centaine au total dans sa carrière) et 7 albums, multipliant les pseudos comme Queen Mecca, K-Hand, Kerohand, KMH ou encore Rhythm Formation (qu’elle forme avec le producteur Claude Young). Elle sera aussi la 1ère personne issue de la scène techno de Detroit à publier un maxi sur le label anglais Warp, tout en gérant d’une main de maître de fer le sien, Acacia, où elle accompagne les 1ers pas de futurs grands comme les Wamdue Kids, Hiroshi Morohashi ou Davina Bussey (qui chantait sur le classique Don’t You Want It produit et composé par Mad Mike).
Europa
Découverte en Europe au milieu des années 1990 sur des compilations séminales comme Berlin Detroit : A techno Alliance, Detroit : Beyond The Third Wave ou Pure Filth, qui témoignent de l’infiltration progressive de la techno sur le vieux continent, elle commence à mixer outre-Atlantique. Notamment en Allemagne, à Berlin, la mégalopole qui, après la chute du Mur, s’est transformée en gigantesque dancefloor brut de brut et tisse – à travers des clubs comme le Trésor (et le label du même nom) et le E-Werk – des liens indéfectibles avec la techno de Detroit, l’aidant à se développer et se faire connaître en dehors de la Motor City.
Trente ans plus tard, la culture club est passée de l’underground au mainstream, et grâce à une carrière et une volonté soutenues et sans relâche, K. Hand est plus que jamais une incontournable de la scène techno mondiale. Elle est invitée tous les week-ends à mixer dans les plus grands clubs, du Rex Club à Paris au Berghain à Berlin, du Smartbar à Chicago au Lux à Lisbonne. Elle continue également de produire, signant sur des labels comme Studio !K7, Tresor, Radikal Fear et gérant toujours son label Acacia, devenu une référence des musiques électroniques.
Pionnière
Surnommée “the First Lady of Detroit Techno” et figure de ce qu’on a appelé “la seconde vague des producteurs de Detroit”, K-Hand n’a malheureusement pas reçu tous les honneurs qu’elle méritait. Peut-être parce qu’elle a toujours refusé le jeu des étiquettes de bacs à disques, oscillant entre techno, house, ghettotech, minimal et deep-house, préférant s’adapter à l’humeur du dancefloor plutôt que de balancer des sets trop attendus et linéaires. Certainement à cause de son côté cash, qui disait les choses telles qu’elle les sentait. Sans doute parce qu’elle était une des rares femmes dans le deejaying à une époque où elles se comptaient sur les doigts d’une main.
Récemment signée sur Трип (pour “trip” en anglais), le label de Nina Kraviz qui ne tarit pas d’éloge sur Kelli, K-Hand, pragmatique comme à son habitude, refusait d’avoir un avis tranché sur la présence de plus en plus soutenue des femmes dans les musiques électroniques : “Le peu de filles que je vois ou croise lors de mes sets et qui jouent ou produisent des disques le font plutôt bien, certaines bien mieux que moi d’ailleurs, et je trouve très bien qu’il y ait enfin une part de gâteau pour tout le monde. Désormais le marché est saturé de femmes productrices aux quatre coins du monde, sont-elles sincères ou pas dans leur démarche, ce n’est pas à moi de le dire, j’aimerais juste rappeler que ce milieu est très dur et que le business de la musique n’est pas fait pour tout le monde !”
Décédée à 56 ans, K-Hand laisse derrière elle une traînée mythique, symbolique et mystique, celle d’une femme qui s’est toujours battue pour le dancefloor, restant fidèle aux valeurs de la techno originelle de Detroit et impressionnante par son habilité à mixer et transporter les clubbers vers des dimensions inconnues, quitte à résister fermement au digital et ne jouer principalement qu’avec des vinyles, tout en profitant au passage pour tacler la jeune génération de DJs, comme elle le déclarait en 2016 au Guardian : “Si la musique n’est pas pressée en vinyle, c’est qu’on n’est pas allé au bout de la logique. On a tous besoin de cette musique chaude et analogique et pas de ce son robotique déclenché par des souris d’ordinateurs. Depuis les années 2000, j’ai l’impression qu’on n’entend plus que des cliquetis électroniques générés par des ordinateurs. Beaucoup de jeunes producteurs·trices font de la musique en plaçant des blocs sur un écran, je ne dis pas que certain·es n’arrivent pas à faire de bons morceaux de cette manière, mais pour moi il ne s’agit pas de production mais plutôt d’une espèce de jeu vidéo !”