Qui était Roberto Rossellini, l’inventeur du cinéma moderne ?

Comment un type qui n’a quasiment rien fait de sa vie avant ses 35 ans à part dilapider son héritage en filles et en voitures de course, un bourgeois romain charmeur et superficiel, jusque-là auteur de trois films imprégnés des relents du fascisme...

Qui était Roberto Rossellini, l’inventeur du cinéma moderne ?

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Comment un type qui n’a quasiment rien fait de sa vie avant ses 35 ans à part dilapider son héritage en filles et en voitures de course, un bourgeois romain charmeur et superficiel, jusque-là auteur de trois films imprégnés des relents du fascisme ambiant, a-t-il pu tourner, alors que les Allemands occupent encore Rome, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le film considéré aujourd’hui comme l’acte de naissance du cinéma néo-réaliste : Rome, ville ouverte ?

Autre question : pourquoi certains de ses collaborateurs sur Rome, ville ouverte ont-ils essayé de s’arroger la paternité du film, tentant d’amoindrir la part que Rossellini a pu tenir dans son élaboration ?

La 1ère réponse est : par jalousie bien sûr, pour s’approprier une part du succès. Mais pas seulement. Tous ces gens-là, d’une certaine manière, ont raison. Parce que Rossellini, tous les témoignages concordent, a une intelligence synthétique exceptionnelle. Comme Renoir, Rossellini est une éponge qui absorbe puis rend tout ce qu’elle a absorbé, y compris le travail de ses collaborateurs.

Anna Magnani dans Rome, ville ouverte de Rossellini (capture d’écran)

>> À lire aussi : Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Europe 51” sur LaCinetek

Rome, ville ouverte est, par certains aspects, un film du scénariste (communiste) Sergio Amidei ; c’est aussi un film d’Aldo Fabrizi (ce comique célèbre en Italie qui se révèle extraordinaire dans le rôle d’un prêtre résistant et martyr), un film de Federico Fellini (coscénariste), un film de tous les scénaristes qui ont travaillé dessus sans jamais être crédités (ou payés…), un film des communistes et des chrétiens italiens, un film d’une nation, peut-être. Les films de Rossellini étaient mussoliniens sous Mussolini, mais comme il fréquentait déjà des cercles communistes, ces films ne sont pas tout à fait fascistes. Rome… est bel et bien le reflet des diverses influences (idéologiques, religieuses et politiques) qui le submergeaient à la libération de l’Italie. Et s’il est constamment question de grâce, de religion, de révolution ou de renaissance dans tous ses films, c’est parce que le monde et le pays dans lesquels vit le cinéaste sont travaillés par ces questions.

Il aimait la technique mais en même temps la détestait

Le génie de Rossellini, dès Rome…, et qui n’appartient cette fois-ci qu’à lui, c’est sa décision folle de faire un film au moment où cela est quasi impossible (pas de pellicule, pas d’argent, plus de cinéma), parce qu’il sent qu’il faut le faire. Et c’est aussi son incroyable capacité à refuser une idéologie pour les faire cohabiter toutes ensemble -­ l’homme et l’œuvre ont souvent été rejetés pour cette raison. Tout son cinéma et sa personnalité reflètent ces contradictions, jusqu’à sa mort même : en 1977, il a droit à deux cérémonies d’obsèques, l’une organisée par les communistes, en présence de sa dépouille, et l’autre dans une église…

Ce n’est pas un hasard si les titres de ses films sont plutôt inhabituels : Europe 51Allemagne année zéro, etc. Les personnages sont le fruit ambigu de leur époque, de l’histoire, et la révèlent, concentrée, comme si leurs visages (Rossellini est aussi le peintre des visages) étaient des miroirs concentriques. Ces titres distanciés de leur sujet attirent l’attention, les re-situent dans leur contexte historique.

Rossellini était un cinéaste hors du commun. Il arrivait qu’il confiât la réalisation de certaines scènes à ses assistants (le 1er plan jamais tourné par Fellini, c’est dans Païsa). Il aimait la technique (il inventa notamment un zoom électrique qu’il dirigeait lui-même pendant les prises – on pourrait le décrire comme un cinéaste “polytechnicien”) et en même temps la détestait.

Homme impatient (consommateur de cocaïne), inconstant, Rossellini aimait ou feignait d’aimer bâcler, tourner vite, comme s’il se désintéressait soudain du film en cours, pensant déjà au suivant. Comme l’a souvent raconté sa fille Isabella, il passait aussi une bonne partie de sa vie dans son lit, qu’il considérait comme son bureau.

>> À lire aussi : Ingrid Bergman et Isabella Rossellini : la liberté en héritage

La rencontre avec Bergman

Le tournage d’Allemagne année zéro est hallucinant : Rossellini ne cesse de fuir Berlin et le tournage, simulant même une maladie, pour retrouver à Paris ou à Rome son amoureuse fougueuse et jalouse Anna Magnani (l’actrice la plus aimée d’Italie renversa, dit-on, un soir de colère, un plat de pâtes sur la tête de Rossellini dans un restaurant), et le tout en voiture sur les routes de 1947 ! Comme le disait Truffaut, qui fut lui aussi son assistant (mais dont le travail n’aboutit à aucun film…), celui-ci “aimait plus la vie que le cinéma”, et plus que tout les femmes, beaucoup de femmes, dont bien sûr Ingrid Bergman, qui fut l’une de ses épouses et avec laquelle il eut trois enfants.

La rencontre avec Bergman est avant tout une grande aventure artistique, qui a marqué une étape majeure dans l’histoire du cinéma. L’histoire est célèbre mais elle mérite d’être redite : un jour, à New York, Ingrid Bergman, qui est déjà une star, entre un peu par hasard dans une salle de cinéma où l’on passe Rome, ville ouverte de Rossellini. Fascinée, remuée, impressionnée, elle écrit l’une des plus belles lettres du monde au réalisateur, qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam :

“Cher M. Rossellini, j’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Païsa, et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui cause très bien anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que “ti amo”, alors je suis prête à venir faire un film avec vous.
Ingrid Bergman”

Rossellini ne sait pas qui est cette Ingrid Bergman (il ne va jamais au cinéma, il s’y endort toujours…). Il se renseigne et lui répond finalement en lui disant, en substance mais plus longuement, ce qu’avait répondu Verlaine à une lettre accompagnée de poèmes envoyée par un ado nommé Rimbaud : “On vous attend.” Rossellini et Bergman se rencontrent une 1ère fois à Londres, presque en secret (ils sont tous deux mariés – et leurs divorces respectifs leur vaudront d’être bannis d’Amérique et conspués par l’Italie catholique où le divorce n’existe même pas à l’époque).

Ingrid Bergman dans Stromboli de Rossellini (capture d’écran)

Une oeuvre fougueuse

On dit arbitrairement et pour simplifier que la Renaissance naît au moment où Christophe Colomb met le pied sans le savoir sur une île américaine, en 1492. Le cinéma moderne naît avec la collaboration entre Bergman et Rossellini : essentiellement Stromboli, Voyage en Italie, Europe 51. Des films où une femme étrangère et riche se retrouve confrontée à la réalité, la pauvreté, la violence sociale de l’Italie de l’après-guerre et de l’après-fascisme, une terra incognita où la star hollywoodienne n’a pas tellement besoin de jouer pour exprimer son malaise face à un monde qu’elle ignore. C’est de cette friction entre la sophistication d’une grande actrice et un peuple vaincu, fruste, rugueux, filmée d’une manière quasi-documentaire, que naît un cinéma qui encore aujourd’hui n’a rien perdu de sa force.

Ingrid Bergman dans Europe 51 de Roberto Rossellini (capture d’écran)

La modernité de Rossellini, c’est de ne pas plier les personnages aux règles narratives du cinéma classique, mais au contraire de plier le récit aux mouvements, extérieurs et intérieurs, des hommes. Le résultat est une œuvre fougueuse, vive, sèche, directe, libidinale, où les personnages ne sont pas envisagés comme les boulons d’un récit mais comme ses créateurs. Ou les ellipses laissent libre champ à l’imagination du spectateur. Le grand critique de cinéma André Bazin, grand “passeur” du cinéma de Rossellini, avait trouvé des mots magiques pour définir le style de son cinéma (il parlait ici de Païsa) : “[Les faits] n’engrènent pas l’un sur l’autre comme une chaîne sur un pignon. L’esprit doit enjamber d’un fait sur l’autre, comme on saute de pierre en pierre pour traverser une rivière.”

Rétrospective Rossellini “Une vie de cinémas” du 30 juin au 6 juillet, neuf films en version restaurée distribués par Bac films (ils seront également présentés au festival de La Rochelle) :

1945 : ROME, VILLE OUVERTE (ROMA, CITTÀ APERTA)
1946 : PAÏSA (PAISÀ)
1948 : ALLEMAGNE ANNÉE ZÉRO (GERMANIA ANNO ZERO)
1948 : L’AMORE
1950 : STROMBOLI (STROMBOLI TERRA DI DIO)
1952 : LA MACHINE À TUER LES MÉCHANTS (LA MACCHINA AMMAZZACATTIVI)

1954 : VOYAGE EN ITALIE (VIAGGIO IN ITALIA)
1954 : LA PEUR (ANGST)
1957 : INDIA MÈRE PATRIE (INDIA MATRI BUHMI)