Qui sont les Français qui refusent la vaccination contre le Covid?

COVID-19 - Neuf mois après le début de la campagne vaccinale, certains Français ne sont toujours pas convaincus de la nécessité de se faire vacciner contre le Covid-19. Seuls 56,6 % de la population a réalisé un schéma vaccinal complet et 67,6 %...

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Conseil constitutionnel le 5 août 2021

COVID-19 - Neuf mois après le début de la campagne vaccinale, certains Français ne sont toujours pas convaincus de la nécessité de se faire vacciner contre le Covid-19. Seuls 56,6 % de la population a réalisé un schéma vaccinal complet et 67,6 % ont reçu une 1ère dose. Dans un contexte inquiétant, illustré par les exemples de la Martinique et de la Guadeloupe entrés dans une nouvelle phase de confinement renforcé, l’exécutif ne cesse de rappeler l’importance de vacciner le plus grand nombre pour sortir de la crise sanitaire.

Pourtant le vaccin divise et continue de susciter le débat. Alors que le gouvernement affirme que ne pas se vacciner c’est être irresponsable, d’autres estiment que ces personnes n’ont pas les moyens intellectuels ou matériels pour comprendre la nécessité de se faire vacciner.

Les reproches que l’on fait aux personnes non vaccinées sont peut-être aussi nombreux que les raisons de ne pas l’être. Parmi celles-ci, le facteur matériel est peut-être le plus surprenant. En effet, malgré la gratuité du vaccin, des données ont démontré qu’il existe une corrélation entre niveau de revenu et taux de vaccination.

Chercheuse au CNRS, Florence Debarre travaille sur la modélisation en biologie de l’évolution. Si les statistiques sur le taux de vaccination ne font pas partie de son domaine de prédilection, les questions soulevées par le pass sanitaire et l’obligation vaccinale ont interpellé la chercheuse lorsqu’elle s’est aperçue qu’il existait des données montrant une corrélation entre le niveau de revenu d’une commune et le taux de vaccination de ses habitants. Mais les riches acceptent-ils vraiment plus facilement de se faire vacciner que les plus modestes? Elle a creusé la question. Et selon elle, la vaccination met en exergue, au même titre que l’épidémie elle-même, les disparités sociales.

“Les inégalités sociales de santé sont connues et documentés mais quand j’ai tracé ma 1ère figure et que j’ai vu l’ampleur de l’effet, j’ai été surprise et choquée d’en prendre conscience. Je me suis dit qu’il fallait le partager et le faire savoir afin d’identifier comment rectifier le tir,” a expliqué la chercheuse au HuffPost.

En croisant la richesse d’une localité avec le revenu médian puis avec le pourcentage des ménages imposables, la tendance s’est confirmée. Mais pour la chercheuse, cela ne signifie pas qu’il existe un rapport de causalité. “Ce n’est pas parce qu’on est sur une commune riche qu’il y a directement un effet sur le taux de vaccination, c’est un indicateur de plein d’autres choses”, estime-t-elle.

Un vaccin gratuit ne signifie pas que tout le monde y a accès

Mais comment expliquer que le taux de vaccination soit plus faible dans les communes dont le revenu des habitants est le moins élevé? Plusieurs éléments doivent être pris en compte comme l’accès au soin ou le fait de pouvoir prendre rendez-vous sur une plateforme numérique. En janvier, les centres de vaccination de Seine-Saint-Denis (département le plus pauvre de France) ont vu affluer une patientèle qui venaient de quartiers plus aisés, “tablette à la main”, a montré une enquête de Libération.

Car la gratuité du vaccin ne signifie pas que tout le monde y a accès. “Il faut être informé, avoir les mêmes chances d’aller se faire vacciner. On nous dit qu’on peut bénéficier de l’autorisation spéciale d’absence mais on n’est pas toujours dans la position de la demander à son employeur et de la prendre, surtout si on exerce un emploi non déclaré” souligne Florence Debarre.

 

Nous avons oublié que les précaires ont été les 1ers touchés par l’épidémie."Lucie Guimier, docteure en géopolitique, spécialisée en santé publique

La précarité ne serait donc pas un facteur qui pousse à refuser le vaccin mais un frein. Ce qui influencerait la prise de décision des moins aisés est davantage le fait “d’avoir ou non contracté le virus”, selon Lucie Guimier, docteure en géopolitique, spécialisée en santé publique. “Nous avons oublié que les précaires ont été les 1ers touchés par l’épidémie. Ces personnes ont déjà eu le Covid, et une partie se dit que l’ayant déjà eu, elles sont immunisées, ou n’auront peut-être besoin que d’une seule injection”, développe-t-elle.

D’après la spécialiste, le statut social joue un rôle plus important que le revenu. Il doit être pris comme un indicateur et non comme un effet de causalité. “Il y a bien sûr une corrélation avec le revenu, mais ce n’est pas le facteur clé. Il faut prendre aussi en compte, le diplôme, la géographie. Si vous êtes dans un contexte où il n’y a que des antivax (ou l’inverse), cela va vous influencer. Vous pouvez avoir beaucoup de diplômes, un salaire peu élevé et être pro-vaccin. Ou avoir peu de diplômes, être riche et anti-vaccin. Le rôle que joue le revenu reste à pondérer, précise Lucie Guimier. Le fait de se sentir déclassé quand vous avez peu de revenus peut jouer sur le fait de devenir anti-vaccin. Ce qu’il faut regarder, c’est l’intégration dans la société. Ce n’est pas lié au revenu mais à notre manière d’être dans le système.”

Une crédibilité en berne

C’est la raison pour laquelle il est difficile d’établir un profil type de personne non vaccinée. Si le diplôme, le lieu de résidence, la profession exercée, le fait d’avoir contracté le coronavirus ou non et d’avoir eu une forme grave ou longue, entrent aussi en compte, il faut ajouter aussi facteurs personnels et politiques, comme le montre une étude publiée en juin sur medrxiv.org.

Les sociologues Alexis Spire, Nathalie Bajos et Léna Silberzan ont recueilli les témoignages de 86.000 personnes sur la vaccination anti-Covid. Ils ont découvert que les jeunes, les femmes et les personnes les plus modestes montraient le plus d’hésitation et de rejet de la vaccination. Parmi les raisons évoquées, on retrouve chez les femmes en âge de procréer, la crainte d’effets à long terme sur la fertilité. La place qu’elles occupent dans la société “les rendant plus sensibles que les hommes aux risques à long terme et plus craintives face aux changements technologiques rapides,” précise le compte rendu de l’étude.

Puis, il y a ceux que l’on considère “en bas de l’échelle sociale, en termes de niveau d’éducation, de ressources financières et de statut d’immigration.” L’étude a démontré que cette catégorie de personnes refusait le vaccin par défiance du pouvoir politique en place plus que par crainte ou hésitation. Cette catégorie n’est pas la seule à remettre en question le pouvoir politique. Selon Jocelyne Raude, spécialiste de la santé à l’école des hautes études en santé publique, certains Français expriment un manque de confiance similaire.

Il serait une réaction aux affaires mettant en cause les responsables politiques et les autorités de santé. Dès les années 90, une campagne de vaccination pour l’hépatite B ciblant les enfants a coïncidé avec l’apparition de cas de sclérose en plaque. Un an plus tard, survenait le scandale du sang contaminé, qui a entaché la confiance du public envers le gouvernement mais aussi les experts de la santé. Au cours des années 2000, c’est la commande de 94 millions de vaccins pour lutter contre le virus H1N1 qui ajoute une nouvelle raison de douter de la crédibilité des autorités. Le scandale du Médiator mettant sur le banc des accusés le groupe pharmaceutique Servier mais aussi des fonctionnaires payés en tant que consultants pharmaceutiques pour homicide involontaire s’est ajouté aux raisons de douter.

Ce rejet de l’autorité n’est pas gratuit. Il se base aussi sur des maladresses.Lucie Guimier, docteure en géopolitique, spécialisée en santé publique.

En Martinique, où le taux de vaccination est parmi les plus faibles, c’est l’affaire du chlordécone, un pesticide toxique, qui a entraîné une défiance de la population envers Paris.

Cette perte de crédibilité est également le résultat d’une gestion de l’épidémie laborieuse selon Lucie Guimier. “Ce rejet de l’autorité n’est pas gratuit. Il se base aussi sur des maladresses commises depuis le début de la pandémie. Cela a commencé quand le président Macron a dit aux gens d’aller au cinéma, au théâtre une dizaine de jours avant d’annoncer un confinement. Il y a eu aussi beaucoup de maladresses et d’erreurs en terme de communication. Les discours sur le port du masque ont progressé selon le stock dont disposait l’État et ça aussi ça a été catastrophique sur la confiance. Je ne dis pas que si la communication avait été parfaite il n’y aurait pas eu de rejet. On est en France, on a une tradition de remise en cause du discours étatique”, souligne la géopolitologue.

Récupérations

Cette défiance et les scandales sanitaires deviennent aussi une source d’arguments pour les antivax de la 1ère heure et les complotistes. Ces deux types de militants sont présents dans dans les rassemblements contre le pass sanitaire aux côtés de personnes qui manifestent pour préserver leur liberté individuelle plus que contre le vaccin.

Lucie Guimier perçoit la notion de liberté individuelle comme un facteur central. Celui-ci est très important parce qu’il aide à faire le lien entre les militants anti-vaccin historique et certains “mouvements politiques frontistes ou de droite dure.” “Prenons l’exemple du Sud-est où se mêlent votes écolo, frontistes ou droite dure. Pendant les régionales dans le Var, cela se jouait entre la droite extrême et la droite dure. Ce sont des territoires moins vaccinés que le reste du pays. Il faut vraiment imaginer que selon les territoires, le refus s’expliquera différemment parce que certaines composantes vont s’imposer. Dans le Var, on sait qu’il y a beaucoup de professions libérales qui vont voter à droite et qui auront un discours anti état et surtout pro liberté individuelles”, note-t-elle.

La spécialiste précise cependant qu’on ne devait pas tenter d’établir de liens directs entre les résultats des élections d’une région et le taux de vaccination. “Si on regarde les Hauts-de-Seine qui sont à droite mais très vaccinés, on remarque que ça ne fonctionne plus, souligne Lucie Guimier. C’est très complexe et multifactoriel. Il faut voir avec d’autres éléments. C’est pour ça qu’il faut corréler à la fois les données politiques et géographiques qui permettent d’expliquer pourquoi on est vacciné dans le 92 alors qu’on vote à droite et pourquoi ça n’est pas le cas dans le Var alors qu’on vote aussi à droite.”

Chaque territoire présente des spécificités qui rendent le rapport entre revenus d’une commune et taux de vaccination difficile à analyser. La chercheuse Florence Debarre évoque “l’effet frontière Suisse” où on peut noter un taux de vaccination anormalement faible par rapport à la supposé richesse de l’Ain et des communautés de commune frontalières. Un phénomène que même l’agence régionale de santé et les préfectures du Jura et du Doubs ne savent pas expliquer mais pour laquelle Lucie Guimier a une théorie. “J’ai fait des enquêtes dans l’Ain pendant ma thèse et c’est un territoire plutôt pro-vaccin, où même si on n’est pas en accord avec la politique du président Macron on ne se soulève pas contre l’autorité centrale. Dans cette région, beaucoup travaillent en Suisse, ils ont pu s’y faire vacciner parce que le vaccin y a été disponible plus tôt”, suppose la géopolitologue.

La Seine-Saint-Denis, département pointé du doigt pendant le 1er confinement pour son taux élevé d’amendes reçues pour non port du masque et plus récemment pour son taux de vaccination faible, a vu son le nombre de vaccination augmenter après les annonces du 12 juillet. “Je craignais que la ruée sur Doctolib à la suite de ces annonces renforcent les inégalités. Et que ce soit surtout ceux qui ont les moyens de partir en vacances qui soient encouragés à se faire vacciner avec la mise en place du pass sanitaire. En fait, les données sorties récemment montrent qu’il y a une hausse plus forte de la vaccination dans des localités plus défavorisées. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a eu un renforcement de campagne ciblée,” a expliqué Florence Debarre.

Passionnée par le sujet, la chercheuse travaille actuellement sur un moyen de trouver l’indicateur le plus déterminant pour expliquer les choix en matière de vaccination.

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