Rapport Sauvé : pourquoi oublions-nous sans cesse l'ampleur de la pédocriminalité

PÉDOCRIMINALITÉ - Depuis trois ans, Charlotte Pudlowski enquête sur le sujet. À 26 ans, elle a découvert que sa mère avait été victime d’inceste dans son enfance. Depuis, la journaliste et cofondatrice du studio de podcasts Louie Media a voulu...

Rapport Sauvé : pourquoi oublions-nous sans cesse l'ampleur de la pédocriminalité

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PÉDOCRIMINALITÉ - Depuis trois ans, Charlotte Pudlowski enquête sur le sujet. À 26 ans, elle a découvert que sa mère avait été victime d’inceste dans son enfance. Depuis, la journaliste et cofondatrice du studio de podcasts Louie Media a voulu comprendre les raisons pour lesquelles elle n’en avait jamais parlé et pourquoi, vu l’ampleur de ces violences, on en parlait si peu. Son enquête, Ou peut-être une nuit déclinée dans un podcast à l’automne 2020 est sortie dans une version augmentée en librairie chez Grasset fin septembre. 

Une sortie concomitante avec la publication du rapport mardi 5 octobre de la Commission Sauvé sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Église. Les chiffres effrayants du nombre de victimes ont fait la Une tout comme le travail titanesque de la commission.

Mais ne découvrons-nous que maintenant l’ampleur du problème? Comment et pourquoi ce qui semble être un problème systémique n’est pas au cœur de toutes nos discussions? Charlotte Pudlowski décrypte le fondement de ce qu’elle appelle une “amnésie perpétuelle” qui fait son œuvre malgré les chiffres, les témoignages sur le sujet.

Le sous-titre de votre livre est “la guerre du silence”. Quels sont les tenants et aboutissants de cette guerre? Existe-t-elle aussi dans l’Église?

La thèse que je défends dans mon livre s’articule autour de cette idée: une des armes du patriarcat, c’est le silence. On essaie de faire taire les femmes et les enfants, de les empêcher de s’exprimer, on essaie de leur confisquer la parole depuis la nuit des temps. Ainsi, les femmes ne peuvent pas s’exprimer et exister à part entière dans la société. 

Le patriarcat, c’est l’idée que la société se fonde sur l’autorité toute puissante d’un homme, le pater, le père de famille. Le mot “pape” provient de la même racine que le père. L’Église est, en ce sens, un sous-système du patriarcat. 

Quel regard portez-vous sur les réactions suite à la publication des conclusions et recommandations de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (Ciase)? 

L’attention reste très concentrée sur l’Église, on fait comme si c’était un problème qui lui était propre. On fait très peu de liens entre ce rapport, ce qui a été défriché et analysé, le travail de cette commission et ce qu’il s’est passé l’année dernière, la sortie du livre de Camille Kouchner, La Familia Grande (livre dans lequel l’autrice explique les violences sexuelles de son beau-père, Olivier Duhamel à l’égard de son frère, NDLR).

Les chiffres avancés par la Ciase sont extrêmement choquants dans le sens où ils dévoilent l’ampleur d’une violence inouïe. Mais, ils ne devraient pas être surprenants. Ils sont à peu près cohérents avec ce qui a été dit l’année dernière dans les médias quand on a parlé du taux de prévalence de l’inceste dans les familles, quand on a parlé du fait que les agresseurs étaient à 98% des hommes.

Depuis que le rapport Sauvé est paru, on cause de réformer l’Église, du célibat des prêtres, du rapport au secret dans la religion catholique. Mais le problème des abus sexuels n’est pas propre à l’Église, les chiffres sont cohérents avec ce qu’il se passe dans le reste de la société.

Il y a un problème au fondement de notre société; c'est celui du fonctionnement pyramidal de notre société avec un homme qui a autorité sur le corps des autres.

 

On dit que l’Église est le deuxième type d’institution où les enfants sont le plus en danger. Le 1er, c’est la famille. On en cause comme si c’était deux choses séparées, il y a un problème dans l’Église et un problème dans la famille. Mais c’est parce qu’il y a un problème au fondement de notre société tout entière. Ce problème c’est celui du fonctionnement pyramidal de notre société avec un homme qui a autorité sur le corps des autres.

Comment expliquez-vous cette amnésie permanente? On connait les chiffres, ils sont rappelés régulièrement, mais on finit toujours par les oublier à nouveau...

Nous sommes construits pour ne pas voir. Dans les familles où il y a de l’inceste, il y a un silence construit consciemment par l’agresseur, qu’il s’agisse du grand-père, du père, du frère, de l’oncle. L’agresseur profère des menaces explicites ou implicites, du chantage affectif, il fait régner le silence sur toutes les conversations. Ainsi, il n’y a jamais un moment où l’enfant peut se sentir écouté, entendu, libre de causer. Et puis il y a l’entourage, puisque l’inceste ne débarque jamais de nulle part. Il s’agit souvent des familles où le silence est tenu depuis des générations. C’est un système éducatif qui est en place.

Et dans le reste de la société?

Mais, même dans les familles où il n’y a pas d’inceste, on est quand même habitué à ce silence. Si on reprend le chiffre selon lequel il y a deux à trois enfants par classe de CM2 qui sont victimes d’inceste, il faut se dire que les 27 autres, ils grandissent à côté d’enfants qui sont victimes et qui souffrent physiquement, psychiquement, qui ont du mal à suivre en classe, qui, peut-être, ont des gestes déplacés alors qu’ils ont 7, 8, 9 ou 10 ans et que ce sont des gestes qu’ils ne devraient pas connaître ou qui ne devraient pas leur venir. Face à ça, on est habitué à ne rien dire.

On voit ces enfants qui souffrent et il ne se passe rien. Ils ne sont pas pris en compte. C’est normal qu’ils soient au fond de la classe, c’est normal qu’ils s’endorment en classe parce qu’ils ne dorment pas la nuit de peur d’être agressés. Nous sommes tous habitués collectivement à nier le problème.

Je pense par ailleurs que si on acceptait de voir l’ampleur du problème, il faudrait vivre dans une culpabilité terrible. Autrement dit, vivre avec cette douleur de se dire que nos enfants, les enfants de nos amis ou les enfants qu’ils fréquentent sont victimes de violences, mais qu’on n’y fait rien. Ou alors décider de faire, mais c’est un travail harassant et épuisant qui demande un courage et une énergie folle. Fermer les yeux, c’est préserver son confort, nier le problème, c’est le confort auquel on a été habitué et qui permet à l’ordre des choses de se perpétuer. 

Si on croit vraiment qu’on changeant le célibat des prêtres, on va protéger les enfants, c’est une erreur fondamentale. Dans les familles où l’inceste est présent, il n’y a pas de célibat imposé et les enfants sont violés."

 

Face à cette amnésie collective perpétuelle, comment rester optimiste? Prendrons-nous conscience un jour durablement de ce problème? 

Là où je suis optimiste, c’est qu’il y a des choses qui sont dites. Ce rapport Sauvé, il paraît très fouillé, très détaillé, très sérieux. Les médias en ont parlé. Il y a une prise de conscience de certaines personnes. Ce qui me rend optimiste c’est aussi que la pensée féministe est de plus en plus accessible dans les librairies, dans les médias. Mais, là où j’ai du mal à rester optimiste, c’est concernant le fait qu’on le voit comme si c’était un problème propre à l’Église. Le livre de Camille Kouchner n’est pas sorti il y a cinq ou dix ans. Ce best-seller, les gens l’ont lu il y a quelques mois. Il est sorti il y a moins d’un an. Le Monde qui dit que l’inceste est un problème massif, c’était il y a moins d’un an. Et pour autant, on ne connecte pas les deux. 

Les gens qui sont étonnés par ces chiffres, qu’est-ce qu’ils ont lu ces derniers mois? Comment peuvent-ils se dire surpris? C’est un recommencement perpétuel. On redécouvre et on isole. Ah, il y a un problème dans l’Église, dans le cinéma, dans le sport, dans l’industrie musicale, dans les grandes écoles. Mais, en fait, il y a un problème dans l’ordre social tel qu’il est construit. Il y a un mot pour ça, il déplaît aux réactionnaires, mais c’est le patriarcat. N’en déplaise à Alain Finkielkraut qui dit que les féministes ont gagné, c’est ce qu’on essaie de déconstruire. Il y a toujours une mainmise des hommes sur les femmes et les enfants, ils confisquent la parole et permettent à l’ordre des choses de se perpétuer. 

Notre structure sociale profonde doit être renversée, réinventée. Cette décorrélation qu’on fait, c’est une manière de rester dans le déni. Si on croit vraiment qu’on changeant le célibat des prêtres, on va permettre de protéger les enfants et de permettre qu’ils ne se fassent plus violer, c’est une erreur fondamentale. Dans les familles où l’inceste est présent, il n’y a pas de célibat imposé et les enfants sont violés. C’est manifestement que le problème n’est pas là. 

On est au début de la campagne présidentielle et ce rapport soulève un lourd problème de société, mais cela engendre peu de réactions politiques, pourquoi? 

Je n’ai pas l’impression qu’il y a peu de réactions politiques, j’ai l’impression qu’elles se fourvoient. Quand Nicolas Sarkozy explique qu’il y a un problème avec l’Église catholique comme si c’était spécifique ou qu’il dit que le problème c’était surtout dans les années 70, avec mai 68, c’est une manière de déplacer le problème et de refuser de voir son origine. 

Adrien Taquet a salué le rapport et il avait déjà lancé la commission inceste. Que faire de plus? Le peu de réactions ne m’étonne pas puisque, par définition, les politiques sont au cœur du pouvoir, ils sont aux responsabilités et c’est pour eux que c’est le plus difficile de déconstruire l’essence même du pouvoir. 

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