“Raya et le dernier dragon”, bons baisers d’Asie du Sud-Est
C’est une vieille tradition du cinéma d’animation, comme de la bande dessinée (Tintin en tête) et de la fiction jeunesse en général, que de faire découvrir le monde aux enfants en restituant sous une forme en ligne claire un atlas des pays...
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C’est une vieille tradition du cinéma d’animation, comme de la bande dessinée (Tintin en tête) et de la fiction jeunesse en général, que de faire découvrir le monde aux enfants en restituant sous une forme en ligne claire un atlas des pays et des civilisations. Tradition que Disney a embrassé à ses débuts (Saludos Amigos, mélange d’animation et de documentaire ethnographique sur l’Amérique du Sud), avant de lui préférer les contes à princesses et les aventures d’animaux parlants.
Le studio l’a récemment réinvesti avec des projets comme Vaiana (sur les cultures polynésiennes) ou le Coco de Pixar (sur le Jour des morts au Mexique) à des fins d’inclusivité et de conquêtes de nouveaux publics, mais ces deux films se sont heurtés à des protestations liées à des stéréotypes folkloriques (pour le 1er) ou au trademarking d’emblèmes culturels non protégés (pour le second).
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Avec Raya, c’est sur un territoire assez rarement abordé par ce genre de cartes postales que s’aventure le studio : les cultures d’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire pêle-mêle le Vietnam, la Thaïlande, le Cambodge, l’Indonésie, Singapour… réunies en un pays imaginaire, Kumandra, fait de forêts humides et de lagunes parsemées d’îlots rocheux, de villes de pêcheurs à cabanes sur pilotis, de dragons d’eau, de palmeraies et de temples-montagnes. Disney allie en quelque sorte sa vocation classique de féerie et ses nouvelles velléités de vulgarisateur géographique, en se prémunissant contre d’éventuelles controverses par l’entremise de la fantaisie pure – le film ne pouvant mal représenter personne puisqu’il se contente de “s’inspirer”, certes avec une recherche paradoxale d’authenticité, mais sans mentionner de traditions ou de lieux existants.
Carte postale réussieAlors que ses plus récentes tentatives de “rendre hommage” à des cultures étrangères, comme par exemple dans les remakes live de Mulan ou Aladdin, laissaient à la bouche un désagréable goût de flagornerie arriviste (à l’exception de Coco, mais c’était Pixar), le studio semble ici enfin trouver la clé de l’exercice et réussir à donner à son film un rendu naturel, doté d’une forme de sincérité apaisée (quoique cela puisse signifier pour un film d’animation à 100 millions de dollars). On pourrait paresseusement l’imputer à l’armada d’anthropologues, artistes martiaux, cuisiniers, danseurs, linguistes et architectes autochtones recrutés par le film pour parfaire le tir – mais leur présence n’est pas une nouveauté pour un projet de ce type. Peut-être est-ce plutôt parce que le terrain géographique est inhabituel, et donc encore à peu près vierge d’automatismes caricaturaux ?
Toujours est-il que Raya se tient, ne ressemble étrangement pas à une nouvelle opération de communication rondement conduite par le service inclusivité décoloniale de la firme. Quelque chose prend corps, coïncide naturellement, entre le corpus civilisationnel sud-asiatique et l’usine à imaginaires de Disney, qui semble enfin capable de conjuguer son identité propre à ses nouvelles prétentions de grand imagier voyageur.
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Kumandra se donne chaleureusement à habiter, à explorer, à apprivoiser, avec l’aide d’une intrigue elle-même pétrie de géographie et d’anthropologie, évoquant le jeu vidéo (5 tribus à réconcilier en allant chercher des fragments de pierre magique dans 5 régions à climats différents : désert, forêt, etc.), conduite par une héroïne comme une synthèse entre Lara Croft (archéologue habituée des temples à pièges) et la Rey de Star Wars (pilleuse de ruines orpheline dans un monde désertifié). Évidemment, mais cela commence à sembler de l’histoire ancienne, il n’est plus question de lui coller une intrigue sentimentale.
Un soupçon de douteUn regret tout de même : que le film ait un peu trop douté de sa magie, et donc chargé la mule en termes de comédie et de second degré. Le personnage de Sisu, dragon doublé par Awkwafina en VO et Géraldine Nakache en VF, est à ce titre une vraie calamité, alourdissant chaque scène de sa gaucherie aussi attendue qu’artificielle, comme s’il n’était pas possible de prendre réellement au sérieux la tentative de féerie. C’est pourtant en assumant jusqu’au bout le registre épique que le studio a réussi son plus grand succès de la décennie écoulée (La Reine des Neiges 1 et 2). Il aurait pu persister.
“La 1ère image qui a compté pour moi, ce n’est pas une image de cinéma, c’est l’atlas de géographie”, disait Serge Daney dans un célèbre entretien avec Serge Toubiana. Disney, qui a fourni à la majeure partie de la population mondiale ses 1ères images, tente donc désormais de faire se superposer les deux. Pour la 1ère fois, la recette commence à peu près à fonctionner – mais pour construire un atlas, il faut beaucoup de pages. Le prochain film, Encanto, tentera d’en écrire une nouvelle dans les montagnes colombiennes. A voir.